« On me bénira autant dans dix ans qu’on me hait peut-être aujourd’hui. » (p 146)
A l’occasion du bicentenaire de la mort de l’Empereur des Français Napoléon Ier, les éditions Arléa rééditent l’ouvrage de son Grand Ecuyer, le Général de Caulaincourt, En traineau avec l’Empereur. Ces écrits ont une saveur particulière : alors que le complot du général Malet est éventé et en pleine campagne de Russie, Napoléon Ier rentre en France avec Caulaincourt, les deux hommes partageant le même traineau. Durant ces quatorze jours et quatorze nuits, Armand de Caulaincourt deviendra le confident de l’Empereur, se voyant exposer les idées politiques et militaires de ce dernier et subissant aussi ses railleries. Le soir, à la halte, le Grand Ecuyer consigne les moments-clé de sa journée et les anecdotes concernant Napoléon Ier. Durant cette fuite en avant se dessine ainsi le portrait d’un Napoléon encore maître d’une partie de l’Europe, mais aussi celle d’un homme plus simple, énergique et taquin.
Le texte de Caulaincourt est précieux : en effet, durant cette course de Smogorni à Paris, le lecteur partage les réflexions lancinantes de Napoléon sur cette Retraite de Russie, qu’il ne parvient à intégrer totalement. Les prédictions vigilantes de son Grand Ecuyer, relatées en début d’ouvrage, n’auront pas été entendues et auraient pu anticiper le désastre de la Grande Armée. Malgré sa clairvoyance négligée par l’Empereur, Caulaincourt s’avère respectueux dans la tenue de ses propos. On ne peut d’ailleurs douter à la lecture de la discrète admiration de ce dernier pour l’illustre personne qu’il accompagne. Cet attachement sincère ne l’empêche néanmoins pas de dessiner un portrait nuancé de l’Empereur, par petites touches. On y découvre un souverain ne tenant pas en place, au parler franc mais parfois trop direct avec ceux qu’il réprimande, tout autant que jouant les bons camarades et soucieux de ceux qui l’entourent. Les discussions partagées avec Caulaincourt sont avant tout d’ordre politique et militaire, mais au fil du trajet, des confidences sont distillées. Le lecteur appréciera la réserve et le sens de la pondération de Caulaincourt, que l’on imagine fort bien à travers son récit.
Si l’ouvrage en lui-même est une source d’informations intéressantes, il est néanmoins dommage qu’Arléa n’ai proposé qu’une présentation de trois pages des notes de Caulaincourt. En effet, c’est Christophe Bourrachot qui introduit ce récit, de façon succinte. Aucune contextualisation n’est proposée, ni même un possible éclairage sur la personnalité et l’action du général de Caulaincourt, pourtant sujet à débat*. Il eut été utile par ailleurs de glisser en fin d’ouvrage une carte représentant le trajet de l’Empereur, afin que les lieux mentionnés ne résonnent pas vainement dans l’esprit du lecteur. Enfin, les trop peu nombreuses notes de bas de page ne permettent pas de comprendre l’ensemble des références aux personnages mentionnés souvent par leur seul titre. La réédition d’un texte brut en cette année de bicentenaire s’avère donc un peu décevante. Pour prolonger la folle équipée de Caulaincourt, le lecteur pourra judicieusement se pencher sur l’ouvrage de Sylvain Tesson, Berezina : l’écrivain y partage son indéniable affection pour le Grand Ecuyer par des références au fil de la plume.
*Sur « l’homme de cœur et de droiture » qu’évoquait Napoléon, mais qui apparaît plus complexe au niveau diplomatique, lire l’excellent article d’Olivier Varlan « La « trahison » d’Armand-Louis de Caulaincourt : l’éthique d’un diplomate à la fin du Premier Empire », Histoire, économie & société, 2014/2 (33e année), p. 34-45.