L’action de ce film se situe dans la seconde partie du règne d’Ivan le terrible, lorsque son comportement donne des signes de déséquilibre mental vers 1565. Lors de la première partie de son règne Ivan avait développé une administration, sur les terres conquises en Sibérie, un système fiscal basé sur le foncier et gouvernait entouré de conseillers nobles, les boyards. L’armée est également organisée autour de régiments de mousquetaires, les Strelitz.

Se croyant investi d’une mission divine dans une Russie en proie aux complots et au désordre, Ivan le Terrible instaure un pouvoir absolu, en écrasant avec une cruauté inouïe tous ceux qui peuvent le gêner.

A partir de 1564, après avoir quitté provisoirement Moscou, le Tsar crée une garde dévouée, l’opritchina, qui terrorise les populations. De retour à Moscou, après une fausse abdication, Ivan le terrible, s’engage dans une quête impossible. Concilier l’autorité dont il est seul détenteur et l’organisation de l’Église orthodoxe, privée de Métropolite. Il fait appel à son ami d’enfance, Filipp, pour occuper cette fonction. ce dernier, grand érudit ose se lever et dénoncer la tyrannie mystique du souverain.
Le récit du film oppose deux personnages, un Tsar que la folie du pouvoir conduit aux pires des extrémités et ce représentant de la modernité, une figure quasi christique qui finit par s’opposer à lui et qui le paie de sa vie.
Le film se découpe en plusieurs séquences qui aboutissent à cette image terrifiante, ce Tsar qui se retrouve tout seul dans une ville de Moscou où les habitants se terrent chez eux.

Dans ces différentes séquences, difficiles à comprendre si l’on n’est pas familier des rites orthodoxes, le Tsar s’adresse directement à Dieu, dans une approche mystique qui le conduit aux limites de l’hérésie.
Ce que le film montre, et on ne peut s’empêcher de penser à Staline, c’est la façon dont le pouvoir finit par dévorer ceux qui le détiennent. La logique infernale de l’aveu que l’on retrouve dans d’autres périodes amène à chaque fois les accusés, torturés de la plus sauvage des façons, à demander eux même le châtiment pour des crimes imaginaires.
Le film montre également des aspects particuliers de la mise en place de l’autocratie en Russie, et notamment ces images fortes lors de l’intronisation du Métropolite dans l’Église de l’Ascension. On voit alors se dessiner dans la déclaration de Filipp la volonté de séparer le Spirituel du Temporel, même si la logique du Christianisme orthodoxe ne le permet pas vraiment. Dans l’histoire de la Russie, Ivan le Terrible et après lui Pierre le Grand ont voulu soumettre le Patriarcat de Moscou à leur volonté, et s’émanciper de cette influence de l’Église tout en la soumettant.
Filipp apparaît comme un humaniste, ouvert à l’occident. Il s’intéresse aux travaux de Léonard comme ingénieur, mais l’Allemand André Staden, de la garde du Tsar détourne cette modernité pour en faire des instruments de torture dans une série d’images kafkaïennes. (cf. La Colonie pénitentiaire et sa machine de mort).
On appréciera aussi les scènes de combat dans la guerre de Livonie contre les Polonais avec un soin tout particulier porté à la reconstitution des uniformes et des armes.
Les images sont rudes, âpres, et amènent le spectateur à espérer la fin de cette histoire. La mort de Filipp, après des tortures, dans le monastère où il a été exilé, la volonté de faire disparaitre sa dépouille, est une sorte de parabole sur la volonté d’éradiquer la mémoire des hommes.

Un mythe s’est bâti au XXe siècle autour de la grandeur d’Ivan IV et a été entretenu par le film d’Eiseinstein (1943), une commande de Staline, désireux de réveiller le patriotisme russe face à l’invasion allemande.
Pourtant dans ce film, le cinéaste, dans la deuxième partie fait indirectement une critique de la folie mystique du Tsar qui peut évoquer la paranoïa de Staline, éliminant, comme son devancier ses proches.

Difficile d’accès si l’on est pas familier de l’histoire russe, ce film se révèle un peu décevant du point de vue de la mise en situation historique. On aurait pu espérer que l’histoire ne se limite pas à celle de la folie du Tsar mais évoque aussi cette construction de la Russie qui s’est faite par le fer et le sang et par la mise en place d’un pouvoir autocratique qui n’accepte que la soumission. Peut-être que Pavel Lounguine voulait aussi éviter que l’on puisse trouver la moindre justification à un pouvoir absolu, ce que bien des concitoyens du cinéaste ont tendance à faire, subissant la férule, à défaut du knout, d’un pouvoir autoritaire qui a succédé au communisme en recyclant les opritchniki de l’époque, les services de sécurité de l’État, dont bien des novi ruski, les nouveaux russes, sont issus.

Bruno Modica