Bruno Modica est chargé de cours en relations internationales à l’IEP de Lille
Les jeunes générations d’enseignants qui n’ont pas été de tous les combats sur le camp du Larzac, entre 1971 et 1981, ont peu de chance de connaître le nom de ce général de la France libre, compagnon de la Libération, qui un jour de mars 1957 a su dire non, non à la torture que les autorités civiles et militaires couvraient d’un voile pudique avant, quelques années plus tard de la justifier, comme le général Aussaresses.
Condamné à mort par le gouvernement de Vichy en 1940, à deux mois de forteresse en 1957, Jacques Pâris de la Bollardière quitte l’armée en 1961. Il consacrera sa vie à la non-violence, participera à tous les combats des années soixante dix contre les essais nucléaires, pour les droits des femmes.

Le film de Xavier Villetard, réalisé en 2004 aurait sans doute pu permettre de répondre à plusieurs questions qui se posent encore à propos de la guerre d’Algérie. Comment, et par quel processus infernal, seulement onze ans après la libération des camps, l’armée française, a-t-elle pu se retrouver du côté des bourreaux contre la liberté d’un peuple ?

Le choix du réalisateur n’a rien de didactique et les réponses aux questions que pourraient se poser les jeunes générations ne trouvent pas ici de réponse… Film intimiste sans doute, cette réalisation est rendue lumineuse par la présence de Simone de Bollardière, son épouse, qui l’a épaulé dans tous ses combats et qui perpétue aussi sa mémoire. Ce général se retrouve en 1945 comme l’officier le plus décoré de la France libre. Les mains de Simone caressent ses rubans et médailles comme des témoignages d’une histoire hors du commun. La Distingued Service Order, la plus haute décoration militaire britannique cohabite avec la Légion d’honneur belge, l’ordre de la libération et tant d’autres qui évoquent un cortège de morts.

L’officier de la France libre

C’est sans doute ces reliques et la voix de Jacques Pâris de La Bollardière sur fond d’images d’archives qui donnent au film sa dimension. On sait peu de chose de l’histoire en fait, ni du combat du Larzac, ni de l’histoire de la guerre d’Algérie ni de l’Indochine.
Dans la maison familiale où Simone et Jacques ont vécu avec leurs trois filles, les amis égrènent leurs souvenirs. Henri Alleg et Germaine Tillion, compagnons de combat viennent témoigner de la valeur morale de cet engagement qui est aussi le leur.

Alors, au fil des images ce sont ces mots qui pèsent… Sur Narvik en 1940 et cette première rencontre avec la guerre, sur la débâcle le départ vers l’Angleterre ou il parvient, le 18 juin 1940, un jour difficile à oublier.
« J’ai eu le sentiment d’un pays qui se décomposait », dit-il en voyant l’exode… C’est la guerre du désert en Syrie et en Libye, ce sont ces hommes, allemands, italiens, canadiens et australiens, français bien sûr qui meurent dans le respect de leurs adversaires et qui reposent mis en terre parfois par leurs ennemis.
La compassion de l’officier s’exerce aussi à l’égard de ces allemands dans leurs villes dévastées en 1945… « On pouvait alors sentir la réalité humaine effroyable d’un pays écrasé. Et aussi la part d’humanité qui peut être niée lorsque l’homme se fait bourreau… »
On pourra trouver des images fortes également (18e / 20e minute) et cette évocation de la guerre d’Indochine pendant laquelle « les combattants se respectaient », même si les hommes qui se battaient croyaient défendre la justice alors qu’ils faisaient la guerre à un peuple.
Dans cette évolution, que le film retrace en pointillés, la rupture de 1957 devient anecdotique, tout comme les rencontres avec Massu et Salan.

Nostalgie des seventies

C’est là que l’officier prestigieux franchit le Rubicon et brûle ses vaisseaux. Publiquement, il dénonce la torture en Algérie, croyant à tort que cela suffirait à réveiller les consciences. Elles resteront assoupies pour beaucoup et cela lui vaudra deux mois de forteresse et une mise au placard dans un service de la coloniale quelques temps avant les indépendances. Mais le départ de l’armée marque pour Simone et Jacques le début d’une nouvelle vie. Le couple uni depuis tant d’années qui avait subi la mise en quarantaine de la caste des officiers se retrouve dans ces combats d’avant-garde des années soixante et soixante dix. Moments de nostalgie pour ceux qui avaient vingt ans à l’époque du Larzac et de la lutte non violente contre l’extension d’un camp militaire. On y croisait alors Lanza del Vasto, l’apôtre de la non-violence mais aussi quelques militants devenus ministres de la République dans le cadre de l’ouverture…

Et puis, dominant ce film, le regard lumineux de « Simonette » compagne engagée, qui a su, par delà la disparition intervenue en 1986, continuer son propre combat.
Difficile alors d’exploiter ce film en tant que tel dans le cadre de la classe… le montage n’est pas évident mais cette évocation puissante peut amener à une reflexion sur le sens d’un engagement et sur la part que l’on attache à ses principes qui sont ceux de la république et du pays des droits de l’homme. S’il devait y avoir des héritiers des soldats de l’an II nul doute que Jacques Pâris de la Bollardière n’ait été de ceux là.

Bruno Modica © Clionautes