Les livres qui concernent la vie et le règne d’Henri IV s’adressent à un public particulier, dont l’intérêt a été éveillé en grande partie par le pouvoir politique avant même l’assassinat du souverain. En effet, nombre d’éléments de la légende du « bon roi Henri » sont élaborés de son vivant et la construction du mythe henricien repose sur la mise en œuvre d’une propagande qui commence avec le début du règne de ce roi, à laquelle ont largement contribué ses ministres, dont Sully. La tragique disparition du monarque consacre la dimension épique du personnage royal. Historiographes et chroniqueurs du XVIIe siècle reprennent cette héroïsation, et la plupart des régimes politiques qui se succèdent en France, monarchistes, impériaux ou républicains, réélaborent la figure henricienne du roi sauveur pour l’adapter à leurs propres conditions historiques, ce qui conduit à en accentuer la portée. Conscients ou inconscients, les vecteurs de la mémoire d’Henri IV se recrutent autant parmi les érudits, les romanciers que les hommes politiques. De fait, le règne réparateur d’Henri IV se trouve abondamment illustré par les images d’Epinal que la République contribue aussi à diffuser dès le XIXe siècle (« la poule au pot »…). La promotion d’un souverain restaurateur de la paix, grâce à la conclusion du traité de Vervins (1598) mettant fin à la guerre avec l’empire ibérique de Philippe II, et celle du roi promoteur de la Tolérance religieuse par l’Edit de Nantes, ont depuis longtemps fait oublier d’autres aspects du caractère de ce monarque : autoritaire, irascible et ingrat (le « ladre vert »), ce qui préfigure d’autres souverains, plus absolutistes.
Cette ambivalence au cœur même du sujet explique la multiplication des ouvrages concernant le « bon roi Henri ». Jean-Claude Cuignet a déjà réalisé un Itinéraire d’Henri IV (sous-titré Les 20 597 jours de sa vie, Atlantica, 1997) fort pratique qui permet de suivre à jour après jours, sur plusieurs décennies, les nombreux déplacements du roi, puisque sa cour a été longtemps itinérante.Avec le Dictionnaire Henri IV, Jean-Claude Cuignet récidive donc une décennie après s’être attaché une première fois aux pas de ce roi. En dépit de ce titre qui laisse suggérer un « nouveau » dictionnaire sur le modèle des volumineux et riches volumes publiés ces vingt dernières années sur la Renaissance, les Lumières, ou les guerres de Religion, le Dictionnaire Henri IV se situe à mi-chemin entre un mémento et une nouvelle encyclopédie historique. Cela ne nuit pas à sa clarté, bien au contraire, puisqu’il s’agit d’un livre accessible, rapidement utilisable, très pratique d’emploi grâce à son format, proche de celui du livre de poche, malgré ses quelque 600 pages. De plus, l’ouvrage ajoute au dispositif habituel du dictionnaire une originalité que l’on repère dès la table des matières. Les premières pages s’ouvrent sur une table des dates et jours pour chaque année, de 1553 (naissance d’Henri) à 1610. Elles sont suivies par un tableau chronologique succinct qui permet de s’orienter rapidement, alors qu’une autre chronologie lui succède, très détaillée cette fois, pour mieux suivre les faits et gestes du Béarnais. Une généalogie très simplifiée, sans dates, et un schéma synthétique des souverains français au XVIe siècle terminent cette première partie, qui précède le dictionnaire proprement dit. Ces éléments divers sont destinés à l’amateur, désireux d’une première prise de contact pour comprendre le parcours complexe d’Henri IV et les péripéties de son époque.L’essentiel de l’ouvrage (p.37-503) est composé du dictionnaire, c’est-à-dire du classement des entrées par ordre alphabétique. Evidemment, un tel classement ne destine pas l’ensemble de ce travail à être lu comme un tout ; il peut prétendre plutôt à une fonction d’instrument pour se référer aux documents ayant trait au règne d’Henri IV. Ces entrées sont le plus souvent d’ordre biographique (Schomberg, Estrées, Montmorency…), géographique (Chenonceaux, Pontoise, Rouen…) thématique (conseils, édits, population…), voire simplement événementiel (on trouve les guerres de Religion à la lettre G, les sièges de certaines villes comme Marvejols, Rouen ou La Rochelle… à la lettre S). Un astérisque signale dans le texte des renvois pour permettre au lecteur de poursuivre par la lecture en consultant d’autres entrées qui peuvent intéresser sa quête henricienne. Certains articles sont inattendus, comme celui placé à C pour Cheval : l’auteur y consigne les durées moyennes de chevauchées, les temps pour accomplir certains par ce moyen de locomotion ; il précise que Henri IV avait créé l’Académie d’équitation de Saumur (renvoi à cette entrée), mais en revanche, on n’y trouve pas de mention de Pluvinel, ni d’astérisque pour y renvoyer, alors que l’activité hippique de ce personnage était importante, et cela bien que l’auteur lui consacre une entrée à la lettre P. De même, l’absence de mention du travail d’Ellery Schalk, L’épée et le sang, Paris, 1996, malgré son intérêt pour ledit Pluvinel, limite un certain approfondissement.

Ce Dictionnaire est donc surtout un ouvrage destiné à une large diffusion. Et de fait, il répond à cette attente entre autres par les nombreux encarts insérés parmi les entrées, encarts qui prennent la forme de mises au point. Ainsi, l’auteur expose les équivalences actuelles des poids et mesures des XVIe et XVIIe siècles. L’entrée Paris se trouve très développée dans un long encart subdivisé en 27 sous-catégories, depuis Abbayes et couvents, jusqu’à Urbanisme. Etonnamment, une entrée à H est aussi consacrée à Henri IV ; elle occupe alors quelque 40 pages sous cette même forme d’encart, subdivisés en plus de 50 sous-catégories, dont certaines sont distrayantes et originales ; à accent, par exemple, l’auteur va à l’encontre du stéréotype de la langue rocailleuse du souverain pour insister sur la faiblesse des traces de son éducation méridionale ; à Charles de Gaulle, il fait le parallèle entre les deux hommes puisque leur pouvoir a fait appel à cette mystique de la résistance qu’a déployé leur propagande politique ; à enfants, un tableau de la postérité royale, légitime et illégitime, évite à l’amateur d’avoir à compulser les volumineuses biographies consacrées au « vert galant », pour obtenir un relevé précis des 22 descendants immédiats.

La troisième et dernière partie du volume, forte d’une centaine de pages, est formée d’annexes au dictionnaire. Parmi celles-ci, on trouve un corpus de textes, pour certains fondateurs de la mythologie henricienne ; parmi lesquels figure l’intégralité du texte de l’Edit de Nantes, suivi de sept messages et discours politiques d’Henri IV adressés de 1586 (« Aux grands corps du Royaume : Clergé, Noblesse, Tiers-état et Notables de Paris ») à 1599, et inclut les trois lignes célèbres prononcées par Henri devant ses soldats à la bataille d’Ivry dont la fameuse phrase « … ralliez-vous à mon panache blanc ». Des lettres reçues par le souverain écrites par sa mère (Jeanne d’Albret), par sa belle-mère (Catherine de Médicis), par la reine d’Angleterre Elizabeth, Montaigne et d’autres, se trouvent reproduites ici, juste après un choix d’une quinzaine de lettres écrites par Henri IV à certaines de ses diverses maîtresses (Corisande, Gabriele d’Estrées), à plusieurs ministres, dont Sully bien entendu.
Enfin, toujours dans les annexes, Jean-Claude Cuignet a choisi de placer quelques extraits de pièces poétiques et littéraires émanant souvent d’auteurs célèbres tels que Marot, Agrippa d’Aubigné, Ronsard ou Voltaire. Tout cela complète un dispositif mis en place pour dessiner les activités du « bon roi Henri ». Il s’agit d’une œuvre salutaire de diffusion de textes généralement bien connus des spécialistes, mais qui sont parfois ignorés du « grand public ». Cette restitution reflète l’image que l’on a voulu donner du souverain à certains moments. Si ces annexes sont donc les bienvenues, on peut néanmoins regretter l’absence de références et de mentions des sources auxquelles Jean-Claude Cuignet a puisées, rendant plus difficile le prolongement de son travail. La bibliographie limitée ne peut combler ce manque, même si une discographie de trois CD s’y ajoute.

On le voit, cet ouvrage destiné à toucher un large public offre de nombreuses possibilités de lecture, grâce à sa grande variété des entrées, et il permet aux amateurs de préciser leur connaissance sur le souverain le plus populaire de l’histoire de France, avant de s’attacher à des travaux universitaires plus spécialisés.

Alain Hugon C.R.H.Q UMR CNRS 6583 /Université de Caen Basse-Normandie
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