Le grand chamboulement
Le livre est écrit par une journaliste sous la direction d’un expert scientifique et s’organise en sept thématiques. Il fait le point sur certaines inventions parfois à peine émergentes. A plusieurs reprises, on constate que se pose le problème de la viabilité économique de beaucoup de solutions. L’auteure cite ainsi le nom de certaines entreprises, parfois leader dans un domaine émergent, et qui ont disparu. « Les applications ayant pour seul débouché un marché de masse supportent difficilement les coûts engagés pour cultiver une ressource marine à l’échelle industrielle. » L’aspect scientifique est effectivement mis à la portée du non spécialiste. Quelques conseils regroupés sous l’intitulé « que faire ? » indiquent au lecteur responsable où s’informer s’il souhaite consommer du poisson parmi les espèces dont les stocks ne sont pas en danger ou encore comment connaitre la teneur en microbilles des produits qu’il consomme. L’auteure invite à examiner tout ce que permettent les océans. Elle rappelle, par exemple, que 50 % de l’oxygène provient de la mer. L’océan est à la fois destructeur de dioxyde de carbone et pourvoyeur d’oxygène. Elle souligne également que le krill est l’une des dernières grandes ressources sauvages de la planète et constitue une espèce clé de l’écosystème.
La chimie verte vire au bleu
Ce chapitre s’intéresse à plusieurs avantages des ressources marines. Elles cumulent plusieurs avantages car elles sont à la fois nombreuses et n’occupent pas de terres arables. Cependant aujourd’hui se posent aussi des problèmes comme celui des sacs plastiques qui forment ce que l’on résume parfois du nom de « 7ème continent ». L’auteure s’intéresse à l’impact des microbilles de plastiques qui font moins de 5 millimètres mais qu’on retrouve dans de nombreux endroits et organismes comme dans les concombres de mer. La mer offre en tout cas de réelles possibilités qui sont parfois déjà des réalités. Ainsi à Tel Aviv, un demi million de mètres cube d’eau est pompé quotidiennement à un kilomètre du rivage et, grâce à la technique de l’osmose inverse, cela fournit de l’eau potable à la ville. Le livre développe des aspects sans doute moins connus comme le cas de la société Capitalnano qui travaille à la réalisation d’une couche bio-sourcée et biodégradable fabriquée à partir de tissus de méduse.
La mer dans nos assiettes
La mer est aussi une pourvoyeuse de notre nourriture. Le livre s’arrête d’abord sur la défaunation à l’ère de l’Anthropocène mais montre qu’il est possible de reconstituer un stock de poissons. Cependant, il faut ensuite qu’une « volonté politique maintienne les conditions nécessaires à cet équilibre » reconstitué. Lorsque l’on évoque la pêche, il faut aussi tenir compte du problème des rejets de poissons car on estime qu’un quart des captures serait rejeté en Europe. Il y a également le problème des prises illégales qui représenteraient 15 % des volumes de poissons capturés. Anaïs Joseph s’intéresse ensuite à la question de l’aquaculture : s’agit-il d’une « planche de salut ou d’un radeau de la Méduse ? ». La pisciculture est en tout cas incontournable car elle produit autant de poissons que les captures en mer. Cependant, des problèmes se posent sur la gestion des fermes aquacole. L’auteure présente ensuite les hamburgers de méduses. On se rend compte combien il y a un aspect culturel de répulsion. Certes, les Européens ne mangent pas de méduse, mais les Chinois le font depuis plus d’un millénaire. Cependant, tout est relatif et les choses peuvent évoluer. En effet, le bulot était autrefois totalement dévalorisé avant de devenir la première espèce négociée aujourd’hui à la criée de Granville.
La mer à notre chevet
Il faut se souvenir que ce n’est que depuis les années 1950 que l’on explore réellement la mer de façon sous-marine. 10 % des 150 000 substances chimiques identifiées dans la nature proviennent des océans. C’est un marché jeune car les médicaments issus de la mer ont obtenu pour la plupart une autorisation vers 2000. Il reste donc beaucoup d’espèces marines non encore décrites. On lit en tout cas des choses étonnantes notamment lorsque l’auteure évoque Arenicola marina. C’est un ver incroyable car « l’hémoglobine de ver est capable de transporter 150 fois plus d’oxygène que l’hémoglobine humaine. Cette découverte ouvre de nouvelles perspectives pour la préservation des organes en attente de transplantation ». Les algues sont également formidables et offrent des perspectives dans le domaine des cosmétiques. Enfin, on peut relever que les eaux de ballast sont responsables chaque jour du transfert de 7 000 à 10 000 espèces dans le monde.
Plus besoin de terre ferme !
Le quartier d’Ijburg à l’est d’Amsterdam est constitué d’iles artificielles reliées entre elles et elles accueilleront bientôt 45 000 habitants. Il faut aussi se souvenir que plus de la moitié de l’humanité vit à moins de 60 kilomètres d’un littoral et ce chiffre devrait encore augmenter. L’auteure poursuit son tour d’horizon en précisant le nombre de croisiéristes : celui-ci a été multiplié par six en vingt-cinq ans. Mais la mer, ce sont aussi les autoroutes maritimes sur lesquelles circulaient un milliard de tonnes de marchandises en 1960 et 8,3 en 2010. Le coût du transport représente moins de 2 % du prix vendu, 1,5 % pour un téléviseur et 0,3 % pour une bouteille de whisky ! Si le conteneur est devenu incontournable, il faut quand même noter que 10 000 conteneurs seraient perdus chaque année, chiffre assez stupéfiant. Parmi les autres informations à retenir, il y a le fait que plus de 95 % de nos communications intercontinentales sont véhiculées par les océans.
Les mines se vident, cap sur la mer !
Anaïs Joseph poursuit son exploration des ressources de la mer en précisant, par exemple, que la société française utilise chaque année 400 millions de tonnes de sable.
Elle évoque le cas de Djakarta qui est parfois abordé dans les études de cas sur la ville en seconde. L’auteure pointe ensuite les ressources de la mer avec les encroutements de manganèse, les sulfures hydrothermaux et les nodules polymétalliques. Il faut se souvenir que sur les mers les plateformes pétrolières assurent plus du tiers de la production mondiale de pétrole et les réserves sont de plus en plus dans l’espace maritime. La dimension géopolitique n’est pas oubliée : ainsi, des récifs des Spratleys sont poldérisés et sont passés de 8 à 13 km2 en six mois.
Les énergies marines renouvelables (EMR)
Anaïs Joseph aborde l’aspect énergétique en fonction du degré de maturité des techniques. Celle des énergies tirées des marées qui existent depuis un demi siècle, celles tirées du vent en mer, des courants des vagues ou encore plus loin les énergies thermiques des mers. Les éoliennes sont déjà une réalité et fin 2015 en Europe il existait 84 parcs plutôt situés dans mer du Nord. Il est à noter qu’une éolienne en mer produit jusqu’à deux fois plus d’électricité que sa cousine terrestre grâce à des vents forts et réguliers. Le tour d’horizon se poursuit avec l’hydrolienne ou l’énergie thermique des mers. Cette dernière s’appuie sur la différence de température, mais le développement de cette énergie n’est envisageable que dans la ceinture intertropicale où les eaux de surface se maintiennent au dessus de 26 degrés.
L’auteure envisage aussi les évolutions possibles et recense les freins qui limitent le développement des énergies marines renouvelables comme leur coût élevé ou leur intermittence.
En conclusion, Anaïs Joseph rappelle qu’avec le second plus grand territoire maritime à l’échelle mondiale, répartis sur tous les océans, la France dispose d’un rôle géostratégique de premier ordre et d’un potentiel de ressources marines. Cet ouvrage permet en tout cas de mieux prendre conscience de toutes les possibilités offertes par la mer, soulignant bien ce qui existe déjà, ce qui arrive et ce qui pourrait arriver.
© Jean-Pierre Costille pour les Clionautes