John Demos est historien spécialiste de histoire sociale des États-Unis et plus spécialement des premiers migrants, il a enseigné à Yale. Dans son introduction il reconnaît avoir longtemps, dans ses études, ignoré les peuples autochtones. Il veut ici combler un manque en se tournant vers l’ethnohistoire tout en cédant à l’envie d’une histoire narrative. En reprenant les écrits qui relatent la vie d’Eunice Willams, fille de pasteur puritain du village de Deerfield, au nord de Boston, victime des guerres anglo-française qui en 1704 se retrouve à quatre ans captive des Mohawks. C’est une occasion de découvrir l’histoire d’une famille de Nouvelle Angleterre au XVIIIe siècle.
Les débuts
Un premier chapitre plante le décor des missions puritaines installées pour aider et civiliser les Indiens1. On y voit les contacts par le commerce des fourrures, l’avancée des colons canadiens et aussi des missions jésuites. L’auteur évoque les guerres indiennes et le climat de violence des années 1670-1680 et l’irruption dans ce monde de la guerre franco-anglaise avec l’offensive des troupes canadiennes et leurs alliés les « Indiens des Français » . Il présente la famille Willams, véritable héroïne de cet ouvrage : le pasteur, ses enfants et leur place éminente dans la société de Deerfield, dans l’actuel Maine.
Suivent neufs chapitres qui relatent la vie d’Eunice captive des Iroquois, de son père et de son frère Stephen qui sans cesse cherchent à la « libérer », une narration entrecoupée d’extraits de documents, lettres. Le récit bien documenté s’appuie sur des sources soumises à la critique : correspondances diverses, sermons, écrits du pasteur et de son fils, rapports des forces militaires, échanges diplomatiques. Il est complété d’une analyse historique des événements, du mode de vie dans la colonie, les conditions de la guerre et notamment les systèmes d’entente entre troupes coloniales et tribus amérindiennes. Un long récit puisqu’il commence par la capture en 1704 et se termine à la mort d’Eunice en 1785.
D’après le récit du pasteur, lui-même pris lors de l’attaque du village avec sa famille, l’auteur évoque le lent voyage des captifs vers Montréal et le rachat de quelques-uns aux Indiens, un échange de prisonniers entre Français et Anglais, opposition entre pasteurs puritains et jésuites canadiens.
Le chapitre Trois est consacré à l’analyse des écrits du pasteur Williams, aux pourparlers franco-anglais. Les conflits et escarmouches guerrières avec les Indiens des années 1708-1710 sont décrits et analysés.
Au chapitre suivant on suit les échanges diplomatiques à propos des captifs qui mettent en évidence deux approches différentes des relations avec les nations indiennes.
Au chapitre cinq le pasteur apprend le mariage de sa fille, triple horreur pour la famille, avec un Indien, un sauvage, un papiste. La fin du conflit en 1712 apporte une reprise du commerce entre territoires anglais, français et hollandais (Albany). Ces derniers sont sollicités par le pasteur pour négocier directement un retour de sa fille en Nouvelle Angleterre.
Le chapitre Six est consacré à une analyse de la situation dans la mission de Kahnawake, dans la prairie à l’ouest de Montréal où est captive Eunice : origine, motivation des diverses cérémonies, réalité de la cohabitation Canadiens-Amérindiens, au-delà de la légende jésuite. L’auteur s’interroge sur une fusion culturelle entre tradition iroquoise et catholicité. Au plan économique le village devient rapidement un centre de traite de fourrures avec les Français mais aussi, illégalement, avec les établissements hollandais de la baie d’Hudson décrit dans un mémorandum du gouverneur de Frontenac en 1681. Les Indiens de Kahnawake participent aussi aux guerres qui opposent Français et Anglais non sans confusion puisque des Iroquoiens2 sont présents dans les deux camps.
C’est une vie mouvementée que celle de cette communauté dans laquelle se trouve la fille du pasteur Willams. Sa vie est reconstituée au chapitre Sept grâce à divers récits des jésuites qui décrivent la mission dominée au XVIIIe siècle par les Mohawks, une occasion d’évoquer le mode d’organisation, la culture et les pratiques traditionnelles concernant le transfert du nom d’un défunt dont le nouveau récipiendaire reçoit les vertus et le rang au sein du groupe, les cérémonies marquent l’entrée dans la culture iroquoienne. Eunice devint ainsi A’ongote au sein de sa famille adoptive et Marguerite par son baptême catholique en 1713. Cette culture est décrite grâce aux écrits du père Lafitau, on y voit la liberté laissée aux jeunes qui peut expliquer que de nombreux captifs souhaitaient rester.
Le chapitre huit revient sur la place des captifs dans les relations diplomatiques franco_anglaises et sur les efforts de la famille Williams pour récupérer leur fille durant la période de paix entre 1713 et 1723. Après le père c’est son fils Stéphen, lui-même capturé puis libéré en 1704 et devenu pasteur, qui reprend à la fois les tractations pour libérer sa sœur et l’écriture de ce long combat.
Le récit de la vie d’Eunice – A’ongote est l’occasion d’une plongée dans la culture iroquoise
36 ans plus tard, au chapitre neuf, les enfants Williams se retrouvent à Albany, mais Eunice choisit la vie indienne, elle ne parle ni ne comprends plus l’anglais. C’est en Nouvelle Angleterre aussi l’époque du « Grand Réveil », forme exaltée e puritanisme. On note que lez seul souci de son frère n’est pas de savoir si sa sœur est heureuse mais de la ramener dans la « vraie » foi. Chaque visite de sa sœur, son mari indien hors du Canada est utilisée lors de sermons. La vie au sein de la communauté iroquoienne et le catholicisme l’emporte finalement en mars 1744 ils repartent vers le nord au moment où l’Angleterre déclare la guerre à la France : la King George’s war ou Guerre de succession d’Autriche (évoquée au chapitre 10). L’auteur rappelle le repli des Anglais vers le Sud face aux incursions des Français associés aux Indiens notamment les Mohawks de kahnawake pris entre l’alliance française et cousinage avec les Mohawks du Sud alliés des Anglais. La guerre prend fin officiellement en 1748 et le contact entre Eunice et fa famille Willams renoué. La grande histoire est rappelée à grands traits jusqu’au traité de Paris de 1763 où la France renonce au Canada.
Les protagonistes de ce récit ont survécu au conflit et Eunice revient en visite en 1761 même si elle ne parle toujours plus anglais. Elle ne désire pas s’installer en Nouvelle Angleterre malgré son veuvage en 1765 malgré le désir de son frère de la convertir.
Les Fins : Eunice Marguerite meurt en 1785 à 95 ans d’après les registres de la mission. L’auteur montre la suite des relations familiales entre les descendants iroquois et anglais qui demeurent dans l’idée de « civiliser » ces cousins sauvages.
Ce livre présente plusieurs intérêts : le démarche de l’historien, la découverte de la culture des Iroquoiens et la connaissance de la colonisation mouvementée de l’Amérique du Nord.
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1 L’auteur précise qu’il utilise ce terme, au lieu d’Amérindiens, pour restituer l’ambiance et respecter la lettre des textes qu’il utilise. Par commodité je conserverai ce choix.
2 J’ai choisi de conserver le mot choisi par l’auteur