Guillaume DESMURS est un journaliste spécialisé dans l’univers outdoor et la montagne. Rédacteur en chef de nombreux magazines de ski et de montagne en France, il est déjà l’auteur aux éditions GLÉNAT de différents livres. Il réfléchit aussi à l’avenir des stations de ski avec le Think Tank LaMA Project. C’est avec ces compétences qu’il a rédigé cet ouvrage sur le passé, l’actuel et le futur des stations de sports d’hiver, particulièrement dans les Alpes françaises, mais aussi dans le monde entier.

AVANT LES STATIONS

L’Homme a toujours skié. Les skis sont d’abord utilisés avec curiosité, circonspection, et, rapidement, dans un but très pratique : pour les postiers montagnards, les alpinistes montant au refuge, mais aussi pour les contrebandiers, pour les militaires, pour les médecins ruraux ou pour les simples amateurs de vitesse et de santé. C’est dans les années 1840-1860 qu’émergent les skis avec leur taille de guêpe pour faciliter les courbes, les fixations et une gestuelle sous les pieds du Norvégien Sondre NORHEIM. Le tourisme hivernal commence en 1864 avec les Anglais…en Suisse, à Saint-Moritz. En 1903, la première école de ski en France est créée à Briançon. Puis les premières remontées mécaniques apparaissent en Suisse, à l’Alpe d’Huez ou Méribel. A cette époque, les villages de montagne subsistent encore au rythme ancestral des saisons. Avant la guerre, monter jusqu’à Val-d’Isère relevait de l’exploit. Il n’y avait pas de route, juste un sentier. Le téléphone et l’électricité n’étaient pas encore arrivés. Pourtant, la pratique su ski se développe dans les années 1930, toutefois réservée à une élite jeune.

De 1945 à 1980 : LA NAISSANCE DES STATIONS MODERNES

Les Trente Glorieuses, période économiquement faste de reconstruction d’après-guerre, appuyée sur une énergie bon marché, voit la naissance à une échelle industrielle des sports d’hiver. Courchevel, envisagée dès avant la fin de la Seconde Guerre Mondiale, apparaît comme le prototype de la station moderne, sous l’impulsion de l’architecte-urbaniste Laurent CHAPPIS. Emile ALLAIS a participé aux premières compétitions de ski alpin et  à la création de stations de ski aux Etats-Unis. Il prend la direction de la nouvelle station internationale de Courchevel. Il importe plusieurs idées d’outre-Atlantique. Il mécanise et systématise le damage des pistes, y adjoint un service des pistes avec des pisteurs chargés de l’entretien et de la sécurité. L’idée de domaine skiable, c’est-à-dire un espace pensé, entretenu et sécurisé pour les skieurs, est née. En une génération, les vallées de montagne passent de l’agropastoralisme au tourisme. Après Courchevel, on passe en effet d’un « aménagement » de la montagne à son « équipement », selon Laurent CHAPPIS. La neige devient une matière première qu’il s’agit d’exploiter : c’est l’époque du Plan Neige dans les années 1960 avec pour objectif de démocratiser une activité jusqu’alors réservée à quelques initiés. Avec le Plan Neige, on a conquis la montagne de façon organisée et massive. De véritables ensembles urbains sont alors créés à 1800 mètres d’altitude, dont La Plagne est une des stations de 3ème génération (créées ex nihilo) les plus emblématiques. Même les États-Unis s’en inspirent.

DE 1980 À 2010 : L’ÂGE D’OR

Croissance, innovation, internationalisation, montée en gamme, les stations de ski perfectionnent le modèle des années 1960 et le développent dans des dimensions inédites. La neige est domptée par les dameurs et nivoculteurs pour que, sous les semelles du skieur,  « se déroule le tapis docile d’une moquette moelleuse ». Des super domaines skiables sont inventés permettant d’en relier plusieurs. Le domaine des Trois-Vallées connecte ainsi 8 stations et revendique le tire de « plus grand domaine skiable du monde », couronne que lui disputent Les Portes du Soleil. L’économie du ski alpin se chiffre à plusieurs milliards d’euros en France et représente entre 5 et 10 % de l’économie touristique du pays. La seule vente des forfaits dépasse le milliard d’euros annuel. Les stations de ski représentant quelque 120 000 emplois directs. La fréquentation, stable depuis le début du siècle, se situe légèrement au-dessus des 50 millions de journées-skieurs. La France est ainsi le pays le mieux doté en stations de ski dans le monde. En 2018, on compte près de 3287 remontées mécaniques. Mais le modèle français reste unique et les stations de sports d’hiver ont une organisation très différente selon les pays. L’Autriche est un cas d’école ausculté depuis 40 ans par les stations françaises. Pour Alain BOULOGNE, ancien maire des Gets, « les Autrichiens ont construit des stations de 2500 lits et ont tout fait pour éviter le pic de fréquentation en multipliant les activités. Résultat, ces stations sont remplies 8 mois dans l’année et font le même chiffre d’affaires que Les Gets qui compte, elle, 15 000 lits, vides la moitié de l’année. »

ET DEMAIN LES STATIONS ?

Coût de l’énergie, réchauffement climatique, pollution, changement de comportement, crises internationales, tensions sur les ressources en eau : ces menaces interrogent les faiblesses d' »un modèle économique en bout de piste ». Les chiffres du CNRS sont sans appel : la durée d’enneigement a diminué d’une trentaine de jours au cours des 50 dernières années, en particulier à basse et moyenne altitude. Les stations doivent donc commencer à s’adapter à un futur où le ski et les sports d’hiver ne seront plus leur unique ressource. De plus, la fonte du permafrost fragilise l’implantation des pylônes et des gares d’arrivée des remontées mécaniques. Selon Pierre-Alexandre METRAL, en 2019, 168 des 584 stations françaises construites dans les années 1930 ont été abandonnées. Metabief, petite station vosgienne dont le sommet atteint 1400 mètres, a décidé d’arrêter le ski alpin d’ici 2030-2035…en se donnant 10 ans pour imaginer un nouveau modèle économique. Allons nous donc vers la fin des stations de ski pour aller vers de véritables stations de montagne avec le développement d’une vie à l’année en ayant la volonté de maintenir une vie de village et en relançant une dynamique pour éviter que les « locaux » soient poussés à habiter dans la vallée à cause des prix de l’immobilier. Zermatt en Suisse, ressemblerait-elle à la station parfaite, au modèle à suivre avec son accès en train, ses petites maisons de bois préservées, l’ambiance de village, les vieux hôtels charmants, son luxe charmants, son domaine skiable majestueux ou ses télésièges chauffants ? ou alors La Grave, « station minimaliste par l’équipement et maximaliste par l’expérience » ?

 

Au-delà d’un récit de l’histoire des stations de sports d’hiver, cet ouvrage richement illustré nous laisse à voir l’évolution des paysages de montagne par des photographies évocatrices, nous plonge également dans les publicités des années 30 à nos jours et nous permet donc de percevoir tout un imaginaire autour de la neige. C’est à la fois un livre d’Histoire (et d’histoires) et un livre de Géographie prospective, ouvrant sur une réflexion vers un autre modèle de développement, plus durable ?