Fabrice d’Almeida est un historien bien connu, auteur notamment de « Ressources inhumaines : la gestion des gardiens des camps de concentration » et intervenant régulier au sein de la Fabrique de l’histoire. Il publie cette histoire mondiale de la propagande qui s’étale sur tout le XXème siècle et va jusqu’à aujourd’hui.

Dès l’introduction, le terme est évidemment défini. Par propagande on entendra donc la « volonté de pénétrer les cerveaux et d’asservir la pensée…un ensemble de stratégies, de moyens et d’outils et/ou un système d’organisation qui vise à transformer les idées, les représentations et les comportements d’une population donnée ». L’ouvrage comporte une bibliographie.

Quels temps, quels lieux ?

Pourquoi avoir choisi un tel cadre chronologique ? L’auteur expose son choix car, à partir de 1900 environ, l’industrialisation des moyens de communication change la donne. Le temps étant défini, il reste à préciser que l’espace choisi s’étend cette fois au monde. Pour embrasser une telle variété, l’angle choisi est celui de verbes qui fournissent autant de déclinaisons du phénomène de la propagande. Chaque verbe est introduit par une double page qui en précise le sens, c’est-à-dire six entrées au total. Chaque verbe retenu est ensuite décliné selon un certain nombre de mots avec de 7 à 10 déclinaisons selon les cas. Le mot est « sous-titré » à chaque fois. L’ouvrage, et c’est heureux, fait la part belle à l’image avec des pleines pages, voire des doubles pages. De nombreux documents ne font pas partie des habituels sempiternellement reproduits dans les ouvrages consacrés à la propagande. Le texte est sur la page de gauche, remplie aux deux tiers, le tiers restant étant généralement le commentaire de l’image de droite. La suite du compte-rendu reprend chacune des sous-parties.

Mobiliser

Fabrice d’Almeida parle de 1914 et souligne d’abord que chaque belligérant pose son innocence comme préalable. Ce premier verbe par exemple est décliné autour des mots suivants : embrigadement, défilés, symboles, allégories, héros, diaboliser, sensibiliser et censure. Il montre aussi que diaboliser ses adversaires a pour conséquence d’empêcher toute négociation, toute intégration dans le jeu politique. Fabrice d’Almeida propose très souvent des rapprochements à travers les époques et les lieux : c’est d’ailleurs une des spécificités de ce livre. Ainsi pour les défilés sont évoqués dans le même texte le Sillon de Marc Sangnier, les défilés allemands de 1940 jusqu’aux reconfigurations des défilés américains et britanniques depuis le début des années 2000.

Convaincre

Le premier article est ici consacré à la doctrine qui a pour but d’asseoir une théorie. A la page 55 on trouve une entrée très intéressante autour du mot communautarisation, ou comme le dit le sous-titre, donner l’illusion d’une vie partagée. Le but est de favoriser une vie collective et de rester dans l’entre-soi de sa formation politique. Dans le même paragraphe, Fabrice d’Almeida choisit de parler de la SFIO, du parti communiste et du parti nazi. On pourra noter aussi le rôle des transports. Ainsi les Croix de Feu du colonel de La Rocque organisaient des meetings en pleine campagne grâce aux automobiles. Les socialistes français furent eux plutôt des adeptes du train pour rassembler leurs troupes. L’article se conclut sur les réunions actuelles en soulignant qu’aujourd’hui il ne s’agit plus de convaincre mais de persuader. Cette partie se termine en évoquant la radio, le cinéma et l’importance des slogans.

Séduire

Dans la panoplie de la propagande entre en ligne de compte la question de la séduction. On apprendra peut-être (page 81) que le nazisme produisit moins de 10 % de films idéologiques et se concentra sur la production de films policiers et de comédies légères. Ensuite, est abordée la scénographie avec l’exemple de la cérémonie qui suivit l’annonce de la nomination d’Hitler comme chancelier. Benno von Arendt imagine les décors et les costumes de la cérémonie. Ensuite, il y eut aussi des expositions, toujours pour faire passer les messages du régime nazi. Le régime a défini également des degrés dans l’adhésion qui pouvait se manifester avec un insigne doré pour ceux qui en étaient membres depuis plus de dix ans. Cette volonté de passer par dessus les époques aboutit parfois à de curieux télescopages avec à la page 97 l’entrée « activisme ». Les deux photographies de la page superposent sur ce thème la vue d’un autodafé mais aussi d’un kibboutz.

Persuader

La propagande chercha également parfois la désinformation. Ainsi, on découvre un ticket hallucinant venant de l’état-major japonais. Il s’agissait de tickets de reddition destinés aux soldats américains pour les inciter à se rendre. Sur ce document, on voit une femme nue, ce qui donne une idée de la manière dont les responsables japonais pensaient les GI’s. Se rendant, ils pourraient alors espérer ce qu’affichait ce ticket ! Certains passages du livre sont plus habituels comme l’entrée « trucage » avec la photographie d’Evgueni Khaldei. Néanmoins, le même article mélange Lincoln, le Parti communiste et Nicolas Sarkozy. L’entrée « démarchage » réserve deux surprises, avec la jeune Margaret Roberts, future Mme Thatcher, en campagne en 1951, mais aussi avec l’évocation d’un manuel de démarchage du PCF en 1956. Pour persuader l’interlocuteur, on peut aussi utiliser des chiffres et des comparaisons pour appuyer scientifiquement une argumentation. L’ouvrage propose aussi deux dessins très crus de Tomi Ungerer sur le Vietnam.

Communiquer

La propagande se doit aussi de communiquer le plus efficacement possible. On trouvera par exemple une affiche de l’UDC de 2010 pour interdire la nationalité suisse aux résidents étrangers condamnés pour crime. Certaines affiches vues récemment lors d’une votation s’appuient sur les mêmes ressorts populistes. On lira aussi un passage sur les spots négatifs aux Etats-Unis, avec un Barack Obama transformé en Joker, ou sur les « célèbres » montages de John Heartfeld.

Manipuler

La dernière partie de l’ouvrage se décline autour de la manipulation. On y rencontre Nixon et de façon plus globale un article sur le story telling comme clé de compréhension actuelle. Le livre de Fabrice d’Almeida choisit de coller le plus possible à l’actualité en envisageant l’importance des réseaux, jusqu’au terrifiant neuromarketing. L’une des études a « permis de démontrer que la connaissance d’une marque affectait le goût. En testant divers types de boissons au cola en aveugle, ils ont pu prouver que la marque Coca-Cola suffisait à produire dans le cerveau des effets déterminant une préférence chez les sujets observés. »

En conclusion, l’auteur dit : « la survie des techniques, voire des postures issues de la culture propagandiste, le déploiement d’un regard manipulateur militent donc pour sortir des schémas simplificateurs. Le concept de propagande garde une utilité pour décrire des modes de transmission politique dans le cadre d’une stratégie non avouée. ». Il souligne aussi tout au long du XXème siècle la professionnalisation d’une fonction consistant « à faire savoir ». Ce bel ouvrage de Fabrice d’Almeida offre donc un panorama véritablement large sur le phénomène de la propagande. Il met à disposition de nombreux documents, dont certains sont parfaitement utilisables en cours. Choisissant d’entrer par les thématiques, il passe par dessus une approche souvent plus traditionnelle par pays ou régime politique.

© Jean-Pierre Costille pour les Clionautes.