« Quand j’étais enfant, je pensais que toutes les mamans avaient un numéro sur le bras ». Dans les premières pages, Richard Kolinka fait bien sûr référence au numéro 78599 tatoué sur le bras de sa mère Ginette. Et puis un jour, il tombe sur un album avec des photos de déportésvoir Un album d’Auschwitz – Comment les nazis ont photographié leurs crimes, Tal Bruttmann, Stefan Hördler, Christoph Kreutzmüller, Seuil, 2023 et il commence à comprendre. Depuis, Ginette a parlé, elle s’est mise à raconter. La déportation de Ginette Kolinka à Birkenau, c’est tout le sujet de cette passionnante et émouvante bande dessinée !

Tout au long de l’album, deux récits et deux époques s’entremêlent avec intelligence et fluidité. Le premier s’inscrit dans le temps présent, inspiré d’un des voyages de Ginette en Pologne avec des scolaires en octobre 2020 auxquels les scénaristes Victor Matet et Jean-David Morvan ont participé. Le second, basé sur ses souvenirs, nous plonge dans les années sombres et terribles de la Seconde Guerre mondiale. Cet aller-retour entre le passé et le présent, entre la mort et l’espoir, mélange subtile de force, d’humour et d’espérance est superbement mis en images par Efa, Cesc et Roger. Un aller-retour que nous suggère la splendide couverture.

1942 – Ginette Cherkasky est juive mais ne pratique pas. Avec sa famille, elle vit à Paris pendant l’occupation nazie. Parmi les nombreuses vexations et privations contre les Juifs, l’imposition d’un signe distinctif pour les Juifs est décidée en 1942 par les Allemands dans le cadre de l’organisation des déportations, dont les préparatifs débutent au même moment. A cette époque, Ginette prend cette obligation à la légère, elle est même plutôt fière d’être d’origine juive ! Aussi, en 1943, un nouvel administrateur provisoire est placé à la tête de l’entreprise Marzis de Léon Cherkasky et Léa Marcou, le père et la sœur de Ginette. Mais, un soir, un policier frappe à la porte de la famille pour les prévenir qu’ils ont été dénoncés, leur nom figure dans la liste de la prochaine rafle ! Les Cherkasky décident de fuir en zone non-occupée.

Après un passage par Angoulême, la famille se retrouve à Avignon. Les Cherkasky dissimulent leur identité en se faisant passer pour des orthodoxes d’origine russe. Tout s’effondre le 13 mars 1944 lorsque la police allemande, épaulée par des militants de l’ultra-droite collaborationniste, arrête Ginette, son père, son frère Gilbert et son neveu Georges Marcou. D’abord détenus à Avignon, ils sont tous envoyés aux Baumettes à Marseille puis, début avril, à Drancy. Le 13 avril 1944, Ginette et sa famille ainsi que Marceline Rosenberg et Simone Jacob sont embarquées dans des autobus pour la gare de Bobigny, destination Auschwitz-Birkenau. Une fois le convoi arrivé, la sélection fait son œuvre : Léon et Gilbert seront assassinés immédiatement, Ginette, Marceline et Simone seront « sélectionnées ». Après le passage par le Zentralsauna, les femmes sont envoyées dans le camp des femmes, la première tranche de Birkenau, le secteur BI. Les prisonnières du convoi 71 sont assujetties à un travail de force : des travaux de terrassement devant servir à construire la nouvelle rampe, à l’intérieur même du camp, afin d’amener au plus près les convois de la solution finale.

Fin octobre, face à l’avancée de l’Armée Rouge, les nazis évacuent Auschwitz. Pour Ginette, c’est le début d’un terrible périple de plusieurs mois jusqu’à Bergen-Belsen, Raghun et enfin Theresienstadt. Ce dernier n’est libéré par les Soviétiques que le 8 mai 1945. Ginette a contracté le typhus, elle ne pèse plus que 26 kilos, elle est la seule survivante parmi les déportés de sa famille. Aujourd’hui, elle a 98 ans et elle témoigne encore.

De la première à la dernière page, nous suivons avec émotion le destin tragique mais toujours teinté d’espoir de Ginette Kolinka. En fin d’ouvrage, un court dossier de l’historien Tal Bruttmann, agrémenté de photographies de Ginette et de sa famille ainsi que divers documents d’époque (journaux, dessins, …), vient parfaitement préciser ou compléter le propos. Cette bande dessinée est une vraie et belle réussite !

Pour les Clionautes, Armand Bruthiaux