En 2010, Télérama parlait de la France « moche » pour évoquer les grands centres commerciaux qui poussent à la périphérie des agglomérations. Au-delà de l’aspect esthétique d’autres enjeux (préservation de terres agricoles et de l’environnement, logique consumériste accrue) sont perceptibles. Et ce alors que les villes s’étalent de plus en plus et que les habitants des périphéries recourent de plus en plus à l’automobile. À partir d’un exemple local Victoire sur le béton permet une réflexion sur certains de ces enjeux.
Péri-urbanisation et projet « ludo-commercial »
« Oxylane » ! Rien que le nom utilisé par une grande enseigne française spécialisé dans le matériel sportif pour désigner la zone commerciale qu’elle entendait créer avait de quoi faire frémir. Un « village du sport et du bien-être » disait Decathlon devait sortir de terre en des lieux sans intérêt pour les concepteurs du projet car non commerciaux.
Phénomène géographique majeur des trente dernières années, la périurbanisation a vu l’aire urbaine de Montpellier s’agrandir considérablement. Aux quatre points cardinaux des zones commerciales importantes l’enserrent déjà depuis longtemps et une est fort proche du lieu choisi pour le futur centre « ludo-commercial ». Malgré ce, Decathlon pousse un nouveau projet au nord de la ville à proximité de villages, liés à la métropole, qui ont beaucoup grossi et dont la population est composée pour une part significative de CSP plus. C’est là, dans un espace ouvert que deux promeneurs remarquent, en septembre 2014, une pancarte annonçant l’avis d’une enquête publique sur un permis d’aménager, sur des terres longtemps agricoles, porté par l’enseigne Decathlon pour un projet baptisé « Oxylane ».
La ténacité d’une association dynamique
Phénomène connu des sociologues, la retraite laisse du temps et ceux qui en bénéficient jouent un rôle clef dans le monde associatif. Nos deux promeneurs retraités sont depuis quelque temps actifs dans une association environnementale. Ils font connaître, lors d’un événement local, ce qui aurait pu sans leur attention passer inaperçu de la plupart des habitants.
Un collectif appelé « Oxygène » naît après un temps autour du slogan « Des terres pas d’hypers ! » et regroupe des opposants au projet de Decathlon. S’y retrouvent des habitants du nord de la métropole. Certains d’entre eux ont des compétences juridiques, environnementales ou en termes d’analyse de dossiers techniques. Plusieurs ont des parcours militants et beaucoup font montre d’une grande ténacité, d’une capacité à tisser des liens avec d’autres associations locales voire nationales. Ils impulsent une mobilisation en multipliant les registres d’action (popularisation auprès des habitants du secteur, réunions publiques, recours juridiques nombreux auprès de diverses commissions, pétitions, manifestations, interpellation d’élus locaux et nationaux, semis symbolique sur le terrain, élaboration d’un contre-projet agricole…). José Bové alors député européen vient les soutenir et la Confédération paysanne s’implique activement dans cette lutte qui dure de 2014 à 2021 et défend la nécessité de redonner à ces terres leur vocation agricole. Même si le découragement pointe parfois, le sentiment que ce combat est légitime et la bonne ambiance au sein du collectif soude ses membres et les pousse à poursuivre dans cette voie. Et ce jusqu’à ce, qu’après des années de lutte, une de leurs actions amène Decathlon à renoncer au projet. La fronde de David a terrassé Goliath, le béton est repoussé même si le projet agricole n’a pu finalement voir le jour.
Une enquête sous forme de bande dessinée
Cet ouvrage, sous forme de bande dessinée, est le résultat d’une enquête menée par les deux auteurs. Laure Deville, la fille d’un couple d’opposants au projet, en a rédigé les textes et Aurélien Commeiras a assuré les illustrations avec de belles couleurs. Pour y parvenir les auteurs se sont appuyés sur la documentation interne et externe du collectif d’opposants, sur une étude de la presse, des pièces administratives et juridiques ainsi que sur des entretiens. Soit une enquête, qui tout en ne cachant pas le point de vue des auteurs favorables à cette lutte, est des plus rigoureuses. Même si le lecteur non montpelliérain aurait pu bénéficier d’éléments sociologiques plus amples sur le secteur géographique considéré, le résultat final est tout à fait convaincant.
Un ouvrage sur des enjeux locaux qu’on retrouve dans nombre de territoires des métropoles. Et à ce titre intéressant pour les géographes dont certains rappelleront les multiples contraintes liées à l’étalement urbain. Les plus écologistes des lecteurs seront convaincus par les arguments du collectif d’opposants et ceux qui seraient parfois découragés y trouveront matière à espoir.