La nouvelle BD de la collection Les Reines de Sang de Delcourt nous plonge dans la Rome antique et dans les querelles de pouvoir au plus haut sommet de l’État romain. Elle s’inscrit dans une pentalogie composée des 3 tomes consacrés à Agrippine, dont un n’est pas encore paru, et celui sur Popée, à paraître prochainement également.
Au cœur du destin de ces femmes de la haute noblesse romaine, plusieurs questions essentielles sur la manière dont la société romaine les envisage, les exploite, les force à survivre, et comment elles parviennent, ou non, à forcer les voies qui leur sont tracées. Pour bien comprendre cela, il nous faut recommander l’excellente biographie réalisée par Virginie Girod sur Agrippine et son livre sur les douze Césars qui laisse une place importante à la place politique des femmes dans l’entourage des hommes au sommet de l’empire romain.
Dans ce volume, nous suivons donc le parcours de Valeria Messalina, femme de l’empereur Claude (41-54). Trois sources essentielles pour retracer la vie de cette femme à la réputation sulfureuse, Juvénal, Tacite et Suétone, dont on peut légitimement s’interroger sur leur fiabilité, tant leur haine des Julio-Claudiens était tenace. La scène d’entrée de la BD nous met dans le ton : Messaline est assassinée et celui qui lui ôte la vie la couvre d’injures et d’obscénités.
Valeria démarre dans la vie avec un atout qui est aussi un handicap : sa beauté. Considérée comme la jeune femme la plus belle de Rome, elle est mariée, évidemment contre son gré, dès son plus jeune âge à Claude, un homme handicapé et méprisé par l’aristocratie romaine, mais qui devient empereur après l’assassinat de Caligula en 41. Cette bascule du destin la pousse dans un monde qu’elle maîtrise mal, celui des intrigues de cours et des arcanes du pouvoir.
Dans ce milieu où la question de la survie est essentielle, où se multiplient les scènes d’humiliation, de manipulation, où se mêlent les enjeux politiques, économiques, sociaux, où l’image est primordiale et les moments de joie rares, Messaline doit garder sa place, assurer une descendance à l’Empereur et rapidement savoir à qui accorder sa confiance. Les auteurs de la BD lui font choisir un miroir, où un double machiavélique l’entraîne progressivement vers sa chute en lui faisant organiser complots, assassinats, rencontres avec des amants et sorties nocturnes dangereuses.
Dans une relation maritale où l’amour n’existe pas, parfaitement consciente de sa beauté, Messaline est portraiturée par les sources comme une femme manipulatrice, emportée par ses pulsions sexuelles, attirée par des amants multiples, au grand dam d’un Claude qui fait semblant de ne rien voir pendant longtemps.
Cependant, certains assassinats, de par leur ampleur stratégique, amènent Claude à se méfier de sa femme et à la faire surveiller de plus en plus près, tandis qu’elle ne s’aperçoit pas de la présence dans son ombre, d’une adversaire encore plus coriace en la personne d’Agrippine.
Servie par un dessin et des couleurs toujours impeccables, mais sans risque ni réelle personnalité, comme c’est souvent le cas dans cette collection, cette BD nous fait pénétrer le quotidien d’une femme qui a essayé de reprendre le contrôle de sa vie, quand tout autour d’elle l’empêchait.
Punie de la damnatio mémoriae, insultée par les sources, elle est replacée ici dans un contexte beaucoup plus complexe, non pas pour être réhabilitée, mais pour être tout simplement comprise.