La croissance urbaine que connaît l’Afrique s’accompagne du passage de la ville compacte à la ville étalée. Aux marges des agglomérations, apparaissent des espaces périurbains. Peu étudiés, ils sont pourtant au cœur de l’urbanisation en cours. C’est là que se joue l’avenir de la ville africaine. C’est du moins l’hypothèse que fait Aristide Yemmafouo, enseignant-chercheur en géographe à l’Université de Dschang (une ville de l’ouest du Cameroun), qui publie ici le premier ouvrage sur les espaces périurbains africains. Ce texte est tiré de la thèse de doctorat qu’il a soutenu en 2009.

Lire les espaces périurbains africains n’est pas aisé car l’armature conceptuelle a disposition est occidentale et plus particulièrement française. Les espaces périurbains camerounais ne peuvent se comprendre qu’en les replaçant dans le contexte urbain africain (ville coloniale / ville nouvelle / ville spontanée et anarchique). L’urbanisation des villes africaines est le résultat de l’exode rural massif qui a eu lieu au lendemain des indépendances. La périurbanisation (apparue dans les années 1980) s’explique par un double processus :
– la gentrification des centres urbains petit à petit réservés à la nouvelle bourgeoisie.
– Le désir d’avoir un chez-soi partagé par les classes moyennes, qui trouvent en périphérie un accès au terrain plus aisé.
L’installation dans le périurbain ne se fait pas directement : le rural s’installe d’abord en ville puis quitte celle-ci au profit des espaces périurbains. Ces ménages pratiquent une double activité (commerce et agriculture – le « vivrier marchand »). Ils se rendent à la ville grâce à des petites motos chinoises.

La question foncière est centrale pour comprendre ce qui se joue dans ces espaces. Elle fait la spécificité du périurbain africain. Dans les pays occidentaux, la périurbanisation s’explique surtout par le développement des transports et plus généralement l’accessibilité des espaces périphériques même si la question foncière n’est pas négligeable. En Afrique, prendre en compte le statut de la terre est essentiel pour comprendre ce qui se joue dans ces espaces. La propriété foncière, comme on la connaît dans notre pays, n’existe pas. La terre appartient à un groupe qui la reçoit du représentant de l’ancêtre fondateur de la chefferie (droit coutumier). La terre ne se vend pas. Elle est un outil de production et de reproduction sociale. Cette conception foncière traditionnelle se heurte au droit moderne (droit écrit) et c’est pourquoi de nombreux propriétaires périurbains ont fait immatriculer leurs terres afin de faire valoir leurs droits sur celle-ci (obligation de prouver que le terrain était occupé avant 1974 et qu’il est mis en valeur). Ces propriétaires périurbains sont accusés d’alimenter la spéculation en refusant de céder leurs terres actuellement. Ces mesures entrent en opposition avec la loi foncière camerounaise qui autorise tout Camerounais à s’installer où il veut !

Cet imbroglio juridique est particulièrement exploité dans cet espace d’entre-deux qu’est le périurbain. « (…) Les acteurs exploitent plutôt les faiblesses de la législation foncière et urbanistique en vigueur pour établir leurs propres lois. » (p. 99) La mise en place progressive de l’immatriculation des terrains permet leur cession. Ce sont les jeunes autochtones qui vendent des parcelles à des jeunes allochtones afin de récupérer des fonds (financement d’études, achat d’un fonds de commerce…). Cela doit tout de même se faire avec l’accord du chef de la chefferie (qui à l’occasion reçoit des cadeaux). Des promoteurs privés peuvent aussi acquérir des parcelles afin de répondre à la demande en logements des urbains. Ils se substituent à des structures parapubliques chargées de ces prérogatives au nom de l’Etat mais dont l’action est inefficace. Le rôle de ces promoteurs est à relativiser en raison de l’importance de l’auto-construction. En dehors de ces transferts de propriétés, il existe un grand nombre de situations intermédiaires : location et prêt de terrain à des fins agricoles (en attendant que le propriétaire ait réuni assez d’argent pour construire sa maison), location et logement gratuit (dans le cadre de solidarités familiales) en échange de son entretien.

Ces mutations foncières ont des répercussions paysagères. Les maisons sont de plus en plus réalisées en dur et celles en brique de terre disparaissent. Elles témoignent de la richesse de leurs habitants et sont identifiées comme telles par le voisinage. Les espaces périurbains présentent un urbanisme très divers (lotissement planifié, habitat informel) où l’agriculture tient une grande place (jardin de case, maraîchage, élevage, agroforesterie : avocatier, safoutier, goyavier…). Une façon de garder « un pied dedans, un pied dehors » (Chaléard et Dubresson, 1989).

Catherine Didier-Fèvre © Les Clionautes