L’ouvrage ne se veut pas un simple récit détaillé de la bataille même s’il en présente une bonne synthèse dans sa première partie. Il s’intéresse également au vécu des combattants et à ce qui fait les spécificités de cet affrontement. Enfin, il nous présente les différents aspects du mythe pris par cette bataille en France et en Allemagne.
La bataille
L’étude se concentre uniquement sur l’année 1916 et rappelle, cartes à l’appui, les principaux moments de l’offensive allemande et de la contre-offensive française. Les auteurs rejettent la vision traditionnelle qui voudrait que Falkenhayn ait lancé la bataille pour « saigner à blanc » l’armée française. Cette idée n’est apparue qu’après coup pour justifier la poursuite des combats. Par contre la réduction du saillant apparaissait comme un élément important pour raccourcir le front allemand.
Les succès initiaux allemands s’expliquent autant par l’effet de surprise engendré par une attaque dans ce secteur qu’aux tactiques employées, notamment d’encagement de zones avec l’artillerie et d’emploi de lance-flammes. Mais les Français ont bénéficié du mauvais temps qui a retardé l’offensive allemande et qui leur a permis de renforcer un secteur où ils pensaient livrer une bataille secondaire.
La bataille dure car une fois passé les succès initiaux, les allemands, trop avancés sur la rive droite de la Meuse, lancent aussi une offensive sur la rive gauche avant de stopper leur effort en raison de l’attaque alliée sur la Somme. Côté français on encourage une posture plus offensive et on va se donner les moyens logistiques de résister puis de partir à la reconquête du terrain perdu sur la rive droite à partir de l’été.
Les auteurs vont nous décrire les évolutions de l’organisation des troupes et de l’armement qu’impliquent tous ces efforts : du rôle de l’artillerie et de l’aviation à celui des grenades…L’expérience combattante
Le vécu des combattants des deux camps fait l’objet de la seconde partie du livre. Une partie où l’on prend conscience du déséquilibre existant entre les nombreux témoignages français et le nombre plus restreints de récits allemands. Une explication qui vient du maintien en ligne d’un nombre limité d’unités allemandes (moins d’une cinquantaine de divisions) qui reçoivent des renforts pour remplacer les pertes subies mais ne sont pas retirées du front . Alors que côté français, le système de la relève aboutit à une noria bien plus grande, en 1916 près des trois quarts des divisions (et donc des combattants) sont passées par Verdun. Conséquences, une meilleure connaissance et une meilleure organisation du terrain par les unités allemandes qui s’installent dans la durée. La description des montées vers Verdun le long de la voie sacrée ou dans les boyaux qui mènent en première ligne permet de saisir le point de vue du combattant.
Un combattant qui va souffrir à Verdun, même si, contrairement aux idées reçues, la bataille, malgré sa durée n’est pas la plus meurtrière de 1916. La vie en ligne sous les bombardements et au milieu des cadavres est un calvaire comme nous le montre les auteurs. A Verdun le terrain est spécifique, on va se battre dans un secteur fait de collines et ravins qui favorisent les infiltrations de troupes et les combats de petites unités tout en empêchant de creuser des tranchées profondes. Le rôle et les conditions des relèves comme la question des prisonniers ne sont pas oubliés.
Le mythe
Dans cette partie là, encore plus que dans le reste de l’ouvrage, les auteurs pointent la disproportion des sources et témoignages sur le thème. Côté allemand une grande partie des archives a disparu lors des bombardements alliés de la Seconde Guerre mondiale, tandis que les témoignages publiés sur Verdun ne sont qu’une partie de ceux que l’on trouve sur la Grande Guerre. Côté français, les archives sont là, les témoignages nombreux, et la bataille est perçue comme la plus dure de toutes.
La décision de défendre Verdun est autant politique que militaire, elle fait du lieu un symbole qui capte l’attention de la presse en ce début d’année 1916, et qui va contribuer à bâtir l’image de Pétain dés 1916. La fin de la bataille n’arrête pas la construction de la mémoire. Aux initiatives des autorités locales, s’ajoutent celles de personnalités comme l’évêque Ginisty à l’origine de l’Ossuaire. Les monuments se multiplient, la plupart sur la rive droite, rive symbole de la bataille.
Très rapidement Verdun, devient un des hauts-lieux d’un tourisme de champ de bataille qui se développe. Tourisme favorisé par la nature du terrain et l’intensité des combats qui empêchent toute remise en état comme en témoignent les 6 villages détruits et la zone rouge. Verdun devient le lieu de la mémoire des combattants mais également de toute la nation.
La mémoire allemande du lieu est plus réduite. La presse couvre la bataille comme n’importe quelle autre mais publie peu de photos à la différence de la Somme. Après guerre les publications d’anciens combattants n’accordent guère d’importance à la bataille. Ce n’est que vers la fin des années vingt et durant les années trente que Verdun et des lieux comme Douaumont prirent une place importante dans la mémoire de la guerre.
Enfin, l’ouvrage se termine par l’étude de la place accordée à la bataille de Verdun dans l’enseignement français comme allemand. Ainsi que par la manière dont le lieu est devenu symbole du rapprochement franco-allemand.
Un ouvrage stimulant car il va bien au-delà de l’histoire bataille traditionnelle sur Verdun et permet une mise au point historiographique sur le sujet. Les trois thèmes principaux qui structurent l’ouvrage permettent une vision globale d’un moment de la Grande Guerre qui se trouve présent dans nos programmes d’enseignement. Du récit des combats à l’expérience combattante et aux enjeux mémoriels qui en ont découlé. Le style des auteurs rend sa lecture tout à fait agréable, tandis que les cartes, graphiques et témoignages utilisés peuvent constituer autant de pistes de départs pour des travaux.
Compte-rendu de François Trébosc, professeur d’histoire géographie au lycée Jean Vigo, Millau