Il a toujours été intéressant de lire ce que pensent nos voisins de nos événements nationaux. On pense bien sûr à la lecture de la période de Vichy par l’américain Robert Paxton qui remua les mémoires.
Pour les français, Verdun c’est un monument. Parfois inattaquable, parfois trop attaqué, qui charrie ses images de boue et de corps enchevêtrés, d’audace héroïque et de mort misérable sans dignité, ses attentes interminables et ses assaut violents. Une bataille qui évoque souvent quelque chose de gris, de sombre, de lourd à porter, en même temps qu’un grand moment de résistance face à l’assaut allemand. Quand j’étais jeune, on évoquait souvent le « match nul » et le « gâchis » de Verdun. Malcom Brown, historien britannique et co-auteur de docu-fiction pour la BBC sur le premier conflit mondial, a le mérite de replacer Verdun dans le contexte plus large de l’affrontement franco-allemand sur le front de l’est. Si, en effet, sur le terrain, le gain de territoire est quasiment nul en revanche, du point de vue stratégique le « saillant de Verdun » n’a pas été enfoncé. S’il l’avait été, conformément aux plans de Erich von Falkenhayn (l’alter-ego allemand de Joffre), l’armée allemande aurait pu facilement pousser sur Reims puis Paris. En ce sens, tenir Verdun était primordial, et le gouvernement Poincaré et les généraux Joffre, Nivelle et Pétain en ont fait une cause nationale.
Voila pour la grande histoire. Après c’est dans le détail que Malcom Brown envisage la bataille, avec un sens prononcé de l’approche géographique, des lieux, des bois, des collines. L’abstraction du grand champ de bataille ravagé, souvent évoqué quand on raconte Verdun, fait place à des vallons, des buttes, des aplombs rocheux. L’armement est, lui aussi, l’objet de nombreuses descriptions détaillées, notamment sur les différences de calibre et de canons dans les artilleries françaises et allemandes. Pour cette approche géographique et « technique » Malcom Brown rappelle l’américain Ken Burns dans sa façon d’appréhender les grandes batailles, comme dans ses séries télévisées sur la Guerre de Sécession ou sur la seconde guerre mondiale vue par les américains. La force du livre, c’est le témoignage des acteurs, qu’ils soient français, allemands, américains, britanniques, gradés ou non gradés, civils ou militaires. Et, comme avec Burns, il y a des moments de bravoure, d’horreur, de résignation, de rage et d’enthousiasme…Il raconte la chute du fort de Douaumont comme jamais : un fort délaissé, peu gardé, pris presque sans combat par les allemands mais qui devient, par la suite, un enjeu majeur pour ne pas perdre la face vis-à-vis de l’opinion publique. Une chute qui tranche avec celle du fort de Vaux où les soldats français, déshydratés et affaiblis, attentent une fin certaine dans les profondeurs des fortifications. Brown ne passe pas sous silence l’incompétence de Nivelle et de ses subordonnés, insensibles aux pertes, symboles de l’autisme de certains officiers supérieurs. Les plus lucides trouvent souvent la mort, comme le lieutenant-colonel Driant, tué dès les premières heures du combat. C’est aussi l’occasion de mieux comprendre pourquoi Pétain a été, à ce moment, considéré comme un héros national, bien avant l’épisode de Vichy.
Le livre de Malcom Brown se lit très bien, avec même un certain plaisir pour ceux qui s’intéressent à l’histoire militaire. Il porte un regard neuf et neutre sur cet événement majeur de la première guerre mondiale. Trois raisons pour y jeter un œil attentif.

Mathieu Souyris