Professeur émérite à l’université de Paris- Nanterre, co- fondatrice et vice- présidente de l’Historial de la Grande guerre de Péronne, et l’une des conceptrices du parcours historique du Mémorial de la Shoah à Paris, Annette Becker a consacré de nombreuses recherches et ouvrages, à la Grande Guerre, ses violences et ses mémoires, puis aux violences de guerre du XXème siècle jusqu’au génocide des Tutsis au Rwanda. Son ouvrage Retrouver la guerre publiée en 2000 écrit « à quatre mains « avec Stéphane Audoin-Rouzeau a profondément renouvelé notre manière de comprendre de « penser » la Grande Guerre. Elle a consacré de nombreux ouvrages à la situation des civils pendant la Grande Guerre. Elle s’est attachée à montrer comment les artistes, les écrivains et les intellectuels ont rendu compte des souffrances et des traumatismes des guerres.

L’ouvrage est un volume d’hommage à Annette Becker. Il comporte quarante et une contributions, écrites par des historiens, mais aussi par des artistes, organisées autour des thèmes de recherche d’ Annette Becker : les violences de guerre, les violences contre les civils , les mémoires et les commémorations des guerres et des génocides la mémoire des conflits dans le domaine artistique. L’ouvrage est aussi un dialogue intellectuel amical avec Annette Becker, les auteurs soulignant son engagement comme universitaire, mais aussi comme témoin, notamment au Rwanda. Toutes les contributions sont intéressantes mais pour ne pas trop allonger ce compte-rendu nous avons choisi de ne rendre compte que de quelques contributions. Il est toujours possible de consulter la table des matières de l’ouvrage.

Autour de son œuvre : d’une guerre à l’autre, histoire et arts, histoire et représentations, l’historienne face à la mémoire en France et dans le monde.

Maartje Abbenhuis montre qu’au début du XXe siècle, malgré l’existence du nationalisme, des violences d’Etat, des violences coloniales ( au Congo notamment) des génocides (celui des Hereros et Namas par les autorités coloniales allemandes en Afrique du Sud-Ouest) les conférences internationales de La Haye de 1899 (initiée par le tsar Nicolas II, qui l’eût cru) et de 1907 , ainsi que les Conventions qui en découlèrent cherchèrent à réguler les relations internationales en faisant prévaloir la négociation et surtout les principes du droit de la guerre comme la proportionnalité de la violence, la modération, le respect des populations civiles et des prisonniers. Le respect de ces principes apparaissait comme le symbole des sociétés civilisées.

C’est à cette aune que furent jugées les violences commises par les Britanniques au Soudan ou lors de la guerre des Boers, par les puissances occidentales en Chine lors de la révolte des Boxers ou les Italiens lors de la conquête de la Libye.

La presse japonaise loua la manière dont le Japon chercha à respecter les doit de la guerre (au moins en principe) lors de la guerre russo-japonaise de 1904-1905. Lors de guerres balkaniques, le bombardement de la ville bulgare de Varna par l’ empire ottoman fut condamné et la Fondation Carnegie publia un rapport sur les guerres balkaniques publié à nouveau en 1993. On comprend ainsi pourquoi, lors du déclenchement de la Première guerre mondiale, les Etats belligérants s’attachèrent à présenter leur engagement comme défensif ou pourquoi la violation par l’Allemagne de la neutralité belge fut considérée comme une transgression des règles du droit.

Les Conventions de La Haye n’empêchèrent pas les violences extrêmes de la Première guerre mondiale ; toutefois elles permirent aux contemporains d’évaluer les principes du droit et du non-droit et firent progresser l’idée qu’un secours devait être apporté aux victimes. Elles fournirent les outils grâce auxquels cette violence peut être mesurée et discutée.

Matteo Stefanori étudie la Légion garibaldienne en France. L’un des petit -fils de Garibaldi,Giuseppe « Peppino « Garibaldi ( 1879-1950) organise un corps de volontaires italiens il crée un corps de 2000 hommes au sein de la Légion étrangère, corps qui participa aux très durs combats de la forêt de l’ Argonne , la « mangeuse d’hommes) fin 1914 et début 1915 . Deux petits- fils de Garibaldi y trouvèrent la mort. La Légion garibaldienne fut décimée et dissoute par le gouvernement français . Les survivants rentrèrent en Italie, furent intégrés dans l’armée italienne et participèrent activement aux combats contre l’armée austro-hongroise dans les Dolomites leur objectif majeur étant de reconquérir les « terres irrédentes » ( Trente ,Trieste ,la Dalmatie) qui se trouvaient en possession de l’ empire austro -hongrois.

Les membres de la Légion garibaldienne qui ont rédigé leurs mémoires, les plus bourgeois, se réfèrent à l’exemple de leur « père fondateur » Giuseppe Garibaldi : un mélange d’ idéalisme patriotique et républicain et de recherche de l’action héroïque. Mais les références héroïques sont contredites par la dureté de l’expérience de la guerre industrielle et de la violence de masse. » La nuit on ne se repose pas, l’humidité nous empêche de dormir, les reins souffrent en raison de l’absence de paille ….La guerre n’est certainement pas belle… ah non , c’est une infamie infinie . » Comme le souligne un des commandants garibaldiens, le capitaine Oudanc, les soldats sont soumis au « mal des tranchées »,à une sensation de précarité constante.

Pierre Milza s’était demandé si cette Légion des volontaires garibaldiens n’annonçait pas l’engagement fasciste ,un certain nombre de volontaires, mais pas tous, ayant ensuite soutenu Mussolini et le régime fasciste. L’auteur est plus nuancé. Il souligne que si certains ont annoncé l’idéologie fasciste ( « est -ce le prélude d’une Epopée ,d’une grande Epopée sacrée par la race méditerranéenne toute entière ? »), d’autres sont restés fidèles aux idéaux de liberté des garibaldiens et ont été surtout traumatisés par la violence de masse.

Nicolas Beaupré étudie la manière dont les poètes combattants ont évoqué la dimension européenne du conflit. Il s’élève contre ceux qui parlent de « guerre civile européenne » et souligne au contraire le poids des nationalismes, l’ Europe ne représentant pas grand-chose pour l’immense majorité des contemporains. Pourtant, il est un art où la question européenne fut plus présente qu’ailleurs : la poésie. Des combattants comme le Français Jules Romains (« Europe « 1916) , l’ Alsacien Yvan Goll (Requiem fûr die Gefallenen von Europa 1917) les Allemands Johannes Becher (« An Europa » ,1916 ) ou Gerrit Engelke tué en octobre 1918 près de Cambrai (Rythmus des neuen Europas , recueil posthume de 1921) ont évoqué l’ Europe.

Ces recueils expriment la colère contre une Europe coupable etévoquent le martyr de tout un continent en particulier celui des jeunes soldats sacrifiés alors qu’ils appartiennent à la même patrie européenne. Certains poètes comme Marcel Martinet maudissent les peuples serviles qui ont accepté la guerre. Le poète Pierre -Jean Jouve dénonce la barbarie qui s’étend sur l’ Europe , critique les forces qui sont selon lui les principales responsables de la guerre – les rivalités nationales , la science ,l’argent- mais il envisage aussi l’avenir de l’ Europe.

De même, le poète Yvan Goll décrit le martyr de l’Europe : « La saignée de l’ Europe , le choléra dans les sombres ruelles des villes : la haine hurlante des esprits ……C’était le cœur de l’ Europe qui coulait ». La guerre a conduit au sacrifice de la jeunesse européenne. Certains poètes comme Geritt Engelke soulignent l’expérience commune :

Etais -tu devant Ypres détruite ? Moi aussi, j’étais là ;
A Saint -Mihiel qui faisandait ? Moi aussi j’ai connu cet endroit.

Le poète Johannes R – Becher évoque la solidarité des combattants :

Camarades ! Levez- vous ! arrachez -vous à votre solitude »

Mais de nombreux poètes envisagent une rédemption de l’Europe. Jules Romains conserve un espoir dans l Europe.Yvan Goll ou Charles Vildrac croient en une renaissance de l’ Europe,en la création d’un homme de paix et de raison. Henri Guilbeaux voit dans le Rhin un trait d’union européen. Certains évoquent les espoirs que font naître le socialisme et la révolution russe de mars 1917. En fin de compte cette expression ultra- minoritaire d’un européisme pacifiste montre une opposition aux cultures de guerre fondées sur les imaginaires patriotiques radicalisés entre 1914 et 1918.

Ils annoncent ce que seront les réflexions sur l’Europe dans les années 1920 : la guerre a-t-elle détruit la civilisation européenne, ou au contraire la guerre a-t-elle permis la construction d’une Europe nouvelle fondée sur l’expérience commune de l’horreur des tranchées ? L’union de l’Europe est-elle un préalable à la paix ou l’aboutissement de cette dernière ? Et quelle place réserver aux peuples français et allemand le long et de part et d’autre du Rhin ?

Alain Soubigou étudie les violences et les souffrances de guerre en pays tchèques. Fait peu connu, on apprend dans cette contribution que le général chargé de la sécurité de FrançoisFerdinand à Sarajevo, le général Oskar Potiorek ( 1853- 1933), général d’origine slovène, se montra ensuite par vengeance d’une extrême cruauté à l’encontre des civils serbes ( pendaison de centaines de civils serbes y compris des femmes) . Il fut ensuite relevé de ses fonctions pour incompétence, ne fut jamais jugé et termina ses jours dans un hôpital psychiatrique. Pour en revenir à la situation de la population des pays tchèques, l’auteur souligne la complexité de la situation. Les combattants tchèques ont combattu à 95% dans l’armée autrichienne mais certains ont aussi combattu dans les Légions de volontaires aux côtés de l’ Entente.

Certains de ces légionnaires sont connus car en 1917-1918, lors de la guerre civile russe, ils ont combattu les bolcheviks aux côtés des Alliés. Les soldats tchèques de l’armée autrichienne ont été les victimes du bellicisme des dirigeants autrichiens .Ils étaient peu concernés par une guerre qui les obligeait à tirer sur des Slaves sur le front russe ou le front serbe. Les ordres étaient donnés en allemand, ce qui conduisit à la capture de nombreux soldats. Sur 1,1 millions de soldats tués de l’empire austro-hongrois (sur 9 millions de mobilisés), plus de 207000 étaient tchèques ou slovaques. Les populations civiles souffrirent également de la guerre. Des auteurs d’écrits jugés hostiles à la guerre par les autorités autrichiennes furent pendus. Les très importantes réquisitions provoquèrent de graves pénuries et des disettes.

En 1917, la répression d’émeutes de la faim fit 26 victimes. Une explosion dans une usine de munitions due à la négligence d’un ingénieur autrichien, fit près de trois cents victimes. Il faut mentionner également la longue tradition pacifiste de la culture tchèque. Cependant la sortie de guerre ne se fit pas de manière brutale. Les combattants ont été réintégrés dans la société et n’ont pas constitué une masse de manœuvre militariste comme en Allemagne. Les dirigeants politiques, et en particulier le premier président de la République tchécoslovaque, Thomas Garrigue Masaryk, ont joué un important rôle de pédagogie Surtout ,la guerre a été la guerre fondatrice de la résurrection de l’ Etat tchèque et slovaque et la Première République demeure une référence dans les mémoires nationales.

Jan Lambertz étudie la situation des cimetières juifs allemands sous le régime nazi. Elle salue d’abord le travail de l’artiste conceptuel Jochen Gerz et de ses étudiants qui ont inventorié les 2146 cimetières juifs allemands et ont gravé des pavés portant le nom de ces cimetières. Ces pavés ont ensuite été placés de nuit sous une grande place de la ville de Sarrebruck, devant le palais de la ville qui fut sous le nazisme le siège de la gestapo. Ces pavés qu’il ne faut pas confondre avec les Stolpersteine (« pierres d’achoppement ») qui portent le nom des juifs déportés et assassinés ,ont été placés de nuit ,le nom du cimetière étant caché.

Jochen Gerz voulait signifier l’invisibilité, l’absence. De nombreux cimetières ont été vandalisés au moment de la nuit de cristal. Des arbres ont été abattus, des tombes vendues comme matériel de construction. Des dignitaires nazis s’en servent pour daller leurs jardins. Certains cimetières sont reconvertis en sites de stockage et en décharges. A Vienne, quelque 2000 tombes sont détruites pour construire un abri antiaérien. Il en est de même à Berlin. Certains cimetières servent de camps pour les prisonniers soviétiques. Les bombardements alliés détruisent également certains cimetières. » Les lignes raciales » sont observées dans l’Allemagne nazie. Dans les cimetières juifs sont inhumés les juifs qui se trouvent encore en Allemagne , mais aussi les travailleurs forcés ou les prisonniers soviétiques.

Plus tard ,on y inhume des soldats allemands ou des victimes de bombardements. Pourtant, les cimetières ne sont pas fermés ( en partie pour ne pas mêler juifs et non juifs dans les cimetières municipaux), et jusqu’aux grandes déportations de la guerre, ils demeurent des lieux de travail ou les seuls lieux où l’on peut célébrer des offices religieux. Les cimetières deviennent des lieux pour dissimuler des personnes ou des rouleaux de la Torah. Il en va de même à Varsovie où le cimetière se trouve à la frontière du ghetto.

On procède également à l’inhumation des urnes contenant les cendres des déportés morts dans les camps de concentration. Ceux qui, comme Viktor Klemperer peuvent assister à des funérailles, soulignent le délabrement physique des participants et font part de leur angoisse devant les urnes de cendres, symbole de la destruction de la communauté juive. Après la guerre, peu de poursuites ont été engagées et certains maires refusaient de reconnaître le pillage des cimetières.

Fabien Théofilakis étudie les commémorations du 11Novembre et du 8 Mai dans les actualités cinématographiques. Entre 1945 et 1969, avant la projection du film, chaque séance de cinéma proposait en une dizaine de minutes l’actualité de la semaine, actualités qui touchaient sept millions de spectateurs hebdomadaires. Les actualités permettent d’analyser les commémorations du 11 Novembre et du 8 Mai. L’évocation filmée des commémorations en montre la complexité.

Dans la représentation des lieux commémoratifs, Paris, l’Arc de Triomphe et la tombe du Soldat inconnu (« dont la tombe représente pour les Français le centre même de la patrie, le lien essentiel , le symbole de leur unité devant tous les périls et tous les problèmes dit le commentaire de novembre 1962,«) les Champs- Elysées, la statue de Clémenceau, la statue de Jeanne d’ Arc place des Pyramides. et la région parisienne ( le Mont- Valérien) dominent ,mais d’autres lieux sont évoqués comme Verdun ,Rethondes, Reims, lieu de la capitulation de 1945, ou la tombe de Clémenceau à Mauchamps. Le général de Gaulle est la grande figure de ces commémorations exclusivement le 8 Mai sous la IVe République, le 11 Novembre et le 8 Mai à partir de son retour au pouvoir. Les commémorations ont une fonction religieuse , rendre hommage aux morts.

Elles ont aussi une fonction civique et politique : après la défaite et la Collaboration. redonner confiance aux Français en eux-mêmes , comme nation, en leur Etat, comme en leur armée, renforcer l’unité nationale. Cet enjeu est général , mais il est particulièrement marqué lors des périodes de crise. En mai 1957, en pleine bataille d’Alger, le commentaire évoque les « harkis de supplétifs autochtones qui mènent la lutte contre les facteurs de désordre. ». Inversement , d’autres éléments sont minimisés ou passés sous silence. La guerre et sa violence sont euphémisées.

On évoque peu les combats et on souligne surtout l’issue heureuse des conflits :la victoire, la capitulation ennemie. Sans surprise, la complexité de la situation de la France dans le Second conflit mondial n’est pas évoquée. Au total, ces évocations ont bien une triple fonction : évoquer les combats et rendre hommage aux combattants, souder l’unité nationale, mais aussi tirer les leçons du passé et construire l’avenir.

Jean Lebrun évoque le monument aux morts de l’ île aux Marins dans l’archipel de SaintPierre- et- Miquelon. Douze hommes y sont honorés et le monument a été voulu par l’abbé Yves Lavolé. Arrivé sur l’île en 1916,il pria pour les combattants et fit acheter la statue du poilu qui constitue le monument. Plus original est la localisation du monument sur un monticule à l’extrémité nord de l’île. Y accéder ,c’était emprunter un chemin de croix ;à chaque station était évoqué le nom d’un mort. Il s’agit aussi de célébrer la paix revenue. Dans l’église de l’île ,une plaque indique que les soldats son « morts pour Dieu et la France ». Le temps chrétien et le temps républicain se rejoignent. Bénédicte Grailles analyse la manière dont le Centenaire de la Grande Guerre a dynamisé le travail archivistique.

Elle montre de manière extrêmement intéressante comment le travail archivistique institutionnel a rejoint le travail mémoriel de la société civile. La Mission du Centenaire a coordonné un grand travail archivistique institutionnel mené à l’échelle européenne ( plate- forme numérique Europeana) et française ( BNF , Archives de France, ministère des Armées). Les services d’archives ont été sensibles à la collecte des archives orales, en particulier les témoignages des poilus enregistrés dans les années 1970-1980. La Grande Collecte a constitué un moment de rupture. En 2013 et 2014, dans le cadre de la bibliothèque numérique Europeana ,les services d’archives français ont proposé à tous d’apporter « les objets et souvenirs de la première guerre mondiale afin qu’ils soient conservés et archivés.

En 2013 15000 personnes se sont présentées et 300000 documents (carnets ,journaux intimes) ont été archivés. La Grande Collecte a permis de mettre l’accent sur des documents peu connus comme les productions enfantines ( récits, lettres à leurs pères). Les généalogistes, les passionnés d’histoire familiale se sont emparés des documents numérisés par les institutions, en particulier la numérisation de la fiche matricule militaire. Certains dossiers sensibles comme ceux des fusillés ont aussi été mis en ligne. La société s’est emparée de ces mises en ligne. A la stupéfaction des services d’archives, de nombreuses demandes de rectification ont été enregistrées.

On voit ainsi naître de nouvelles logiques d’usage : logiques généalogiques, professionnelles, communautaires, mais aussi « egoarchives »c’est-à-dire la manière dont les individus peuvent interroger les archives.» L’auteur emploie le terme de « redocumentarisation » , c’est-à-dire la manière dont les internautes mettent en œuvre des pratiques sociales en recommandant, « épinglant »,intégrant des liens aux documents mis en ligne.

Philip Nord étudie le Mémorial de la France combattante. Le général de Gaulle prit l’initiative d’honorer la mémoire de la Résistance française et choisit le site du Mont Valérien. En ce lieu furent inhumés dans une crypte provisoire les restes de quinze, puis seize compagnons d’armes. Chaque année, à partir de 1944, le général de Gaulle se rendait en pèlerinage sur ce site pour commémorer ces morts héroïques. De Gaulle aurait souhaité faire construire un monument, mais celui-ci ne fut édifié qu’après son retour au pouvoir en 1958 et inauguré les 17 et 18 juin 1960.

Pour marquer la continuité entre les deux guerres mondiales ( « la guerre de trente ans pour ou contre la domination universelle du germanisme »), les cérémonies commémoratives du 18 juin débutaient à l’ Arc de Triomphe et se poursuivaient au Mont Valérien où de Gaulle rallumait lui-même la flamme. De Gaulle insistait également sur la volonté ininterrompue de la France de se battre durant la seconde guerre mondiale.

Seize morts héroïques furent inhumés dans la crypte , le dix septième cercueil étant celui du dernier Compagnon de la Libération. A chacune des victimes inhumées correspond une sculpture en haut-relief sur le grand mur du monument , sculptures qui évoquent les épisodes. du combat Les sculptures commémorent les étapes successives de l’affrontement (« l’Action » Narvik » , « ,le Fezzan » , » Bir-Hakeim »,« les Fusillés » , « la Déportation », » les Forces aériennes françaises libres «, « Paris » « Colmar « ). Neuf sur seize des morts sont des soldats. S

i la France libre est surtout mise en avant, deux des morts honorés étaient des Résistants, et trois des déportés. En 1954, une urne contenant des cendres recueillies dans les camps de concentration fut déposée dans la crypte provisoire. Certains soldats inhumés étaient originaire de l’empire colonial ( Tunisie ,AOF , Maroc , AEF) Une des personne inhumées avait été tuée en Indochine par les Japonais. Pour Philip Nord, le monument n’est pas un monument laïc. Il en souligne la dimension religieuse et féodale. La croix de Lorraine était à l’origine un symbole religieux datant des Croisades. La création de l’Ordre de la Libération était comparé par de Gaulle à une « chevalerie exceptionnelle « . Le haut -relief intitulé « la Déportation » peut faire penser au Sacré- Cœur de Jésus ceint d’une couronne d’épines. Les seize hauts -reliefs peuvent être analysés comme les étapes d’un « chemin de croix « vers la rédemption.

Surtout le Mont -Valérien était un lieu d’exécution où furent fusillés plus de mille personnes dont un bon nombre étaient des otages juifs ou des résistants communistes. Les victimes juives n’étaient pas évoquées , même si l’une des seize personnes inhumées était Renée Léa Lévy, petite-fille de rabbin mais inhumée comme résistante. Le récit communiste était reconnu mais relégué au second rang. Des graffitis inscrits dans la chapelle proche du lieu d’exécution par des résistants communistes (« vive la France ,vive l’URSS » ) témoignent de cette présence. Pendant longtemps, il fut interdit de déposer des couronnes commémoratives dans la clairière où avaient lieu les exécutions , ce que le communistes interprétèrent comme un affront direct. Au total , le Mémorial commémorait l’épopée gaullienne « patriotique ,martiale et coloniale. ».

 Un dialogue amical avec Annette Becker

L’ouvrage s’ouvre par un entretien avec Annette Becker. Elle évoque ses parents communistes indignés par le rapport Khrouchtchev, ses interrogations sur l’histoire du judaïsme et des génocides lors de la parution du « Mémorial de la déportation des Juifs de France « de Serge Klarsfeld à la fin des années 1970, son intérêt pour la foi et la dimension religieuse puisque sa thèse portait sur « le réveil religieux et l’éveil politique dans les colonies anglaises au XVIIIème siècle «. Professeur à l’université de Lille, elle oriente ensuite ses recherches vers l’étude de la Première guerre mondiale, des monuments aux morts, de la situation des civils , de la dimension religieuse du conflit , de la situation des régions occupées son intérêt pour les objets, l’art lors de la fondation de l’Historial de Péronne.

Plusieurs contributeurs évoquent son engagement de professeur sur les lieux de combat de la Première guerre mondiale. Elle soutient l’artiste Paul Emmanuel qui vit en Afrique du sud et qui a réalisé un « contre-mémorial »à Thiepval dans la Somme , « The lost men in France » pour protester contre le fait que les soldats noirs sud -africains ne figurent pas sur le Mémorial de Thiepval. Elle évoque ses discussions avec l’historien George Mosse. Ses travaux ont ensuite porté sur les génocides ( génocide des Arméniens , extermination des Juifs), et elle réfléchit à la fois sur la mémoire ( dans la lignée du sociologue Maurice Halbwachs qui a crée la notion de « mémoire collective » et est mort en déportation) et son inscription dans l’espace (monuments, musées) et l’oubli. Elle a été l’éditrice d’une partie des œuvres de Marc Bloch.

Elle rejoint les recherches des anthropologues sur les violences extrêmes et la mémoire. Les conflits et génocides contemporains l’ont conduite à militer dans une association de défense des Bosniaques et à étudier les violences extrêmes commises contre les civils Son engagement l’a conduit au Rwanda. Hélène Dumas et Anouche Kunth rappellent qu’Annette Becker s’est rendue plusieurs fois au Rwanda , souvent avec d’autres chercheurs. Elle a rencontré les rescapés du génocide.

Les auteurs montrent à quel point les violences extrêmes du génocide détruisent non seulement des êtres humains ,mais aussi les cadres anthropologiques des sociétés. C’est le cas de la destruction des vaches inyambo vénérées par les éleveurs tutsis. Les auteurs évoquent également la résistance face aux génocidaires, ainsi que la destruction anthropologique des familles causées par le génocide. Annette Becker est devenue la grand-mère de quatre jeunes femmes, filles d’un couple de rescapés, grandmère choisie parce que la grand-mère de ce jeunes filles avait été brûlée vive et que leur grand-père avait été assassiné.

Ce travail du deuil, de la difficile reconstruction fait écho à celle des jeunes enfants arméniens ayant miraculeusement survécu, recueilli dans des orphelinats en Syrie, formant parfois, comme au Rwanda, des « ménages d’enfants sans parents ».puis parvenant à retrouver certains membres de leur famille à être adoptés et à émigrer .