De 1976 à 1983, en Argentine,  environ 30 000 personnes ont été victimes de la dictature. Parmi ces victimes, des familles ont été séparées.  Les enfants des opposants et les bébés nés lors de la captivité de leur mère ont été enlevés à leurs parents et adoptés par des « familles de militaires, de policiers, de proches du régime ou de familles estimées sûres ». Il y aurait eu environ 500 enfants qui ont grandi dans une famille qui n’est pas la leur. Les disparitions se multipliant, les mères ont commencé à manifester à place de Mai à Buenos Aires dès 1977 pour exiger des nouvelles d’un mari, d’un enfant, d’un petit-enfant. Ces « vies volées » constituent le sujet tragique du dernier ouvrage de Matz illustré par Mayalen Goust.

Voici l’histoire de deux amis étudiants qui partagent le même appartement. Mario, étudiant en biologie, s’intéresse à l’action des mères de la place de Mai. Il souhaite effectuer un test ADN pour savoir s’il fait partie des « 500 enfants qui ont disparu et ont été élevés par des familles qui ne sont pas les leurs ». Son camarade, Santagio, n’est pas d’accord avec cette démarche car pour lui, « les parents, ce sont ceux qui mettent à manger sur la table, qui te racontent une histoire le soir avant de dormir ou te filent une baffe quand tu franchis les limites ». Pourtant, lorsqu’il accompagne Mario à la clinique pour faire les tests, il tombe éperdument amoureux d’une infirmière, Victoria. Cette dernière est elle-même une enfant de parents assassinés pendant la dictature et adoptée par une famille qui soutenait, à l’époque la junte militaire. La suite des aventures des deux camarades est plutôt convenue, malgré quelques petits rebondissements.

Sur fond de romance, Vies volées est très facile à lire et beau à voir car le graphisme ne peut qu’être apprécié. Les tons pastel et clair nous emportent dans cette bande dessinée et on prend plaisir à lire. Évoquant tous les cas de figure liés à l’adoption,  questionnant l’identité des personnages, cette bande dessinée permet de revenir sur la « guerre sale », comme la qualifiaient les militaires eux-mêmes ! Le « processus de réorganisation nationale » s’est ainsi traduit par la disparition  des personnes accusées d’être « communistes », « subversives », « révolutionnaires » ou tout simplement parce qu’elles se trouvaient là au mauvais moment.  Inspirés par la pratique française testée d’abord en Indochine puis en Algérie, les militaires argentins, après avoir enlevé les enfants des parents considérés comme « subversifs », ont liquidé ces dissidents en les jetant vivant depuis les avions dans le fleuve, à l’instar des « crevettes Bigeard » pendant la bataille d’Alger.  Cette difficile période de l’histoire argentine est évoquée de manière émouvante à travers les personnages fictifs de cette BD. Dans un style léger et aérien, tout en rondeurs, les dessins de Mayalen Goust, transmettent à juste titre ces histoires personnelles bouleversantes. Connue surtout pour ses ouvrages jeunesse, Mayalen Goust parvient à bien lier texte et dessin.

On ne peut que conseiller cet ouvrage qui trouvera, assurément, sa place dans les CDI des lycées.  Les collègues d’espagnol pourront travailler avec les collègues d’histoire sur la période des dictatures en Amérique Latine (sujet d’étude en TSTMG ou histoire en TES / L / S).