Pierre Veltz, « le mutant » pour Ariella Masboungi, directrice de ce volume, vient de recevoir le Grand Prix de l’urbanisme distinguant une personnalité dont le parcours mêle pensée et action, tout en faisant avancer la discipline. Il est le père de l’expression « économie d’archipel » élaborée dans son ouvrage de 2006 Mondialisation, villes et territoires. L’économie d’archipel. Après François Ascher en 2009, c’est donc au tour de ce polytechnicien, sociologue, économiste et aménageur à la tête de grandes institutions tel que l’établissement public d’aménagement et de développement du plateau de Saclay de recevoir cette récompense.
Le présent ouvrage rassemble les débats des membres du jury composé d’architectes et d’urbanistes nationaux et internationaux. Pierre Veltz n’était pas seul en lice : Jacques Lévy, le géographe ; Philippe Madec, l’architecte et urbaniste et Alfred Peter, le paysagiste et urbaniste étaient également nominés. Si quelques pages de l’ouvrage leur permettent de présenter l’essence de leurs travaux, c’est bien à Pierre Veltz que la parole est donnée. Celle-ci s’organise en 3 temps : une autobiographie, des conversations entre Pierre Veltz et des spécialistes des sujets abordés et une anthologie de ses textes.
Pierre Veltz revient ainsi sur son parcours et plus particulièrement sur son « amour des villes ». « Les villes sont comme l’internet, un gigantesque hypertexte, mais physique et vivant. Chacun peut y rêver et y vivre des couches multiples d’expériences intellectuelles et sensibles. » (p. 20). Il cherche à communiquer son enthousiasme en parsemant son texte de références littéraires, philosophiques ou historiques, à voir comme autant d’invitations à aller plus loin et à partager son cheminement intellectuel. Il milite pour le métier de chercheur (« J’aime les chercheurs, car c’est un métier de créateur, un métier où l’on est toujours en risque, exposé au jugement permanent des pairs et des lecteurs. » (p. 22)) et plus particulièrement pour la recherche action (« la recherche comme sport de plein air »). Ce retour biographique comme les conversations retranscrites montrent à quel point, tout au long de sa carrière, Pierre Veltz a veillé à donner des clés de lecture et des solutions pour aider la ville à passer d’une conception fondée sur les lieux, le fixe, le sol à une conception basée sur les flux, le mobile, l’évènementiel. Le plateau de Saclay a été l’occasion pour lui de lutter contre des décennies d’ « urbanisme à la parcelle » sans vision globale. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il milite pour la mise en place d’une agence d’urbanisme à l’échelle de la France qui aurait, plus particulièrement, pour mission de veiller à l’urbanisme du quotidien, « le parent pauvre, oublié de l’urbanisme ». « Je souffre quand je vois la médiocrité des petits aménagements qui parsèment nos villes, grandes et petites, et nos campagnes, la folie des giratoires, les îlots directionnels, les mobiliers urbains néo-rustiques, les palettes de peinture en folie, etc. Il m’arrive de rêver d’un moratoire général sur les aménagements des petites places dans les petites villes : interdiction absolue d’y toucher ! » (p. 34) Les extraits de sa conférence donnée en 2013 à l’Ecole du paysage de Versailles montrent qu’il va au-delà d’un passéisme conservatoire comme laisserait à penser la précédente citation. Cette réflexion sur les métiers de la conception urbaine et paysagère est l’occasion de revenir sur l’émergence d’une nouvelle esthétique paysagère désormais indissociable de la mobilité, comme autant d’expériences vécues dans le mouvement et par le mouvement. Centrer son regard sur les territoires, dans le contexte de ce monde mobile, est d’autant plus nécessaire : ce sont les « sucres lents de la compétitivité » (p. 88).
Catherine Didier-Fèvre © Les Clionautes