L’année 2011 se termine avec ce dernier ouvrage et non des moindres ! « Savoir et savoir enseigner le territoire » de Jean-François Thémines (professeur des universités en géographie à l’IUFM de Caen) apporte de nombreuses pistes pour enseigner le territoire, cette notion tellement entendue mais pas toujours (bien) définie et désormais partie intégrante de tous les cursus scolaires.

Le territoire en géographie scolaire

L’auteur montre, dans une première partie, que le concept scolaire de territoire s’est rendu autonome par rapport à ses acceptions scientifiques d’où la nécessité de s’attacher à en redessiner les contours. C’est précisément parce qu’il se trouve, en quelque sorte, éparpillé dans différentes « matrices » selon les années d’enseignement (approche culturelle en 6ème, approche via le développement en 5ème et en 2nde, approche nationale en 3ème, approche via l’aménagement et la gestion en 1ère, approche via la puissance en 4ème et en terminale et approche transversale en cycle 3) qu’il risque de perdre sa substance première et qu’il est important de mieux en cerner l’essence.

C’est pourquoi Jean-François Thémines propose quatre attributs, quatre orientations qui permettent de redéfinir le territoire pour ne négliger aucune dimension sur chaque année d’enseignement :

  • Attribut 1 : le territoire comme ensemble de lieux et d’espaces proches partagés n’est pas unique,
  • Attribut 2 : le territoire correspond à une inscription dans un espace de référence national mais pas seulement,
  • Attribut 3 : ce qui se passe à d’autres échelles a un impact sur le territoire national,
  • Attribut 4 : les relations à l’Autre doivent être multiples et intégrer des dimensions sociales aux dimensions culturelles pour éviter les dérives du seul point de vue de l’exotisme.

L’auteur expose ensuite différents enjeux liés à la maîtrise du sens du territoire : apprendre à représenter son espace proche, reconnaître des « formes » courantes (la France, sa région…), comprendre les usages et les structures d’appropriation de l’espace. Il précise aussi que les faits territoriaux de culture, surtout le genre, sont grandement absents dans la sphère scolaire et que l’influence d’un certain marketing territorial joue sur la notoriété des régions et des villes dans les manuels scolaires. L’enseignement du territoire suppose implication et prise de distance.

Enseigner le territoire par les productions spatiales et selon ses processus et enjeux

Le cœur de l’ouvrage est davantage opérationnel. Quatre situations s’attachent à montrer que l’on peut enseigner le territoire par les productions spatiales (deuxième partie) et dix autres qu’on peut le concevoir au travers de ses processus et enjeux (troisième partie). De nombreux exemples sont dignes d’intérêt car originaux et, ce qui ne gâche rien, ont été testés dans des classes.

On appréciera déjà de trouver, même s’il est seul sur les quatorze (et non testé), un exemple relatif au cycle 3 et aux délicates « réalités locales » au travers d’une enquête sur la provenance et la commercialisation d’un objet banal, l’assiette de spaghetti bolognaise. Le local est également prétexte à enquête en 6ème où les élèves peuvent représenter des itinéraires familiers.

La lecture de la ville japonaise par des scènes filmées permet de comprendre la diversité des structures de l’urbain et ne pas la réduire à un simple cliché de ville-monde.

La caractérisation d’un espace par les questions de gestion (conflits d’usage ici) qu’il pose est aussi une très bonne manière d’éviter la division binaire classique ville-campagne qui ne tient pas compte du tiers espace périurbain.

L’étude de la crise territoriale qu’a subi la Nouvelle Orléans (déplacements de populations, obstacles à la reconstruction…) est une façon d’étudier les risques passés et non « potentiels » comme c’est souvent le cas.

Notons enfin que l’interdisciplinarité n’est pas en reste : anglais, arts et histoire comme c’est le cas avec cet exemple de la spatialisation des récits de chanson de bluesmen qui permet d’appréhender la traite atlantique et l’esclavage.

Évaluer et ouvrir à la citoyenneté

La quatrième partie livre de nombreux conseils pour évaluer, notamment des objets nouveaux comme l’espace proche (via une grille de carnet de route) et des formes d’enseignements moins habituelles (comme le débat argumenté), et précise l’importance du cadrage et de l’anticipation des difficultés dans ces activités de « haute tension intellectuelle ».

Dans un cinquième temps enfin, Jean-François Thémines montre que l’ouverture à la citoyenneté doit passer par une recherche fine d’informations sur les territoires et qu’il existe des tensions entre l’enseignement et les pratiques personnelles des espaces, notamment langagière (exemple du très difficilement définissable « quartier », unité morphologique ou unité affective ?).

La conclusion s’ouvre sur l’énorme « potentiel didactique des territoires » et sur l’idée que s’appuyant sur « des études de cas, des situations où affleurent les enjeux des inégalités sociales, analysant les discours et les images, l’enseignement des territoires ne consiste pas en la distribution tranquille de contenus assurés et qu’il déjoue le fonctionnement classique des cours de géographie ». En cela, les ressources sont également nombreuses : l’élève lui-même, l’institution au travers des équipes pédagogiques et l’enseignant en tant qu’individu porteur d’idées et d’initiatives personnelles.

De vraies réponses et des idées novatrices donc. Typiquement le genre d’ouvrages que nous (et tant d’autres à venir, espérons-le), « passeurs », devons mobiliser pour faire évoluer contenus et formes d’enseignement. A lire en priorité en 2012 !