Au mois d’octobre 2020, les électeurs de Nouvelle-Calédonie (de Kanaky) sont appelés à voter lors d’un référendum sur le devenir de cette région du monde, française depuis 1853. C’est, en effet, ce mois-là que doit avoir lieu le deuxième référendum sur l’indépendance de ce territoire comme il en a été décidé lors des accords de Matignon (1988) puis de Nouméa (1998). Référendum qui ne pourrait pas être le dernier puisque ces accords prévoient que d’autres pourraient suivre. Comme le rappelle l’auteur, ces terres lointaines semblent intéresser peu les médias et les citoyens français hors périodes de violences. Pourtant, selon lui, nous avons à apprendre de cette expérience originale et de cette tentative de dialogue, née après les « événements violents » qui entre 1984 et 1988 ont vu différentes communautés du Caillou s’opposer vivement quand les Kanaks ont tenté d’affirmer leur existence et ont refusé les dominations subies.

Journaliste à Mediapart, Joseph Confavreux, est historien de formation. Il a avec Adila Bennedjaï-Zou étudié des parcours atypiques lors de la décolonisation violente de l’Indochine (dans Passés à l’ennemi. Des Rangs de l’Armée Française aux Maquis Viêt-Minh 1945-1954, éditions Tallandier en 2014. Mediapart, « site d’information indépendant » qui accorde une grande importance à l’enquête a été, les clionautes le savent, lancé en 2008, entre autres par Edwy Plenel, ancien journaliste au Monde. Ce dernier signe d’ailleurs la postface. Il avait suivi, en 1988, les violences d’Ouvéa et publié avec Alain Rollat un livre dénonçant « la vérité sanglante de l’assaut mené par les unités d’élite des armées françaises […] sur ordre du pouvoir exécutif français », Premier ministre (Jacques Chirac) et président de la République (François Mitterrand) (p.220)[1]. Tout cela pour dire que nous avons là un travail de journaliste sérieux, à la dimension historique certaine, mais qui ne cache pas une empathie réelle pour la cause kanak(e) même si tous les acteurs de « la mosaïque calédonienne » sont interrogés et ont la parole. Au fil des pages, par ailleurs, le lecteur pourra s’il le veut se constituer une bibliographie solide et interdisciplinaire sur ce sujet.

J. Confavreux présente dans son introduction les enjeux de ce référendum dont il montre l’importance et qu’il insère dans une histoire plus longue. Il s’agit de définir ou de redéfinir les liens avec la métropole mais aussi d’éviter le retour des affrontements tout en ayant conscience que la Nouvelle-Calédonie a déjà un statut très particulier, du fait de la distance ainsi que des traditions et des revendications du peuple kanak.

La première partie de l’ouvrage nous fait voyager dans cet « archipel géographique et politique ». En effet, le clivage entre partisans et adversaires a une dimension politique mais aussi ethnique et territoriale du fait de l’implantation géographique des différentes populations. Les Kanaks sont en majorité favorables à l’indépendance alors que les Caldoches (descendants de bagnards ou de colons français) y sont pour beaucoup hostiles. Même si les métissages sont réels, s’il existe des minoritaires dans chaque communauté et si un des premiers animateurs de l’Union calédonienne (indépendantiste), Pierre Declercq, était né dans la métropole. Son meurtre en 1981, par des assassins qui n’ont jamais été retrouvés, témoigne bien de la violence qui s’est développée ensuite.

Dans une deuxième partie, « Le projet colonial en Nouvelle-Calédonie », l’auteur revient sur la colonisation singulière de la Grande île : envoi de criminels dès le Second empire, puis de communards ou d’insurgés algériens pour mettre en valeur les terres. Ces déportés, à l’exception de Louise Michel ne se joignirent pas cependant aux Kanaks révoltés voire participèrent à l’écrasement de l’insurrection kanake de 1878 car ils partageaient les préjugés envers ce peuple jugé primitif. Est-ce pour cette raison que le crâne du chef de l’insurrection (Ataï) séjourna jusqu’en 2014 dans les réserves du Muséum d’histoire naturelle à Paris ? Et l’auteur d’évoquer alors le code de l’indigénat sur ces îles (qui pourrait donner lieu à étude en classe de 1ère).

Puis, J. Confavreux se rend à « la rencontre des mondes kanak ». Il explique d’abord pourquoi il utilise le mot « kanak » et non « canaque » ainsi que les raisons pour lesquelles il n’accorde ce mot ni en nombre ni en genre[2]. Puis, il revient sur les « événements » des années 1980 : barrages, urne brisée en 1984 par Éloi Machoro (tué quelques semaines plus tard), embuscade contre un groupe de Kanaks (décembre 1984)… Enfin, il présente la situation de certains Kanaks de nos jours : squats de Nouméa, tribu de Saint-Louis ou jeunes dont une partie semble désespérés.

Dans une quatrième partie, « La mosaïque calédonienne », le journaliste revient sur différentes composantes de la population à qui il donne la parole : « Zoreilles » de métropole, immigrants venus de Wallis-et-Futuna, descendants de Kabyles ou de Japonais. Il y a eu une volonté délibérée de rendre minoritaire le peuple kanak ce qui rend la période actuelle et la recherche d’une solution des plus délicates.

Le double drame d’Ouvéa : séquestration de gendarmes par des indépendantistes puis assaut, accompagné d’exécutions sommaires, par des militaires (le 5 mai 1988) et, un an plus tard, assassinat de Jean-Marie Tjibaou et de Yeiwéné Yeiwéné (leaders indépendantistes) par un des leurs, représente un traumatisme brutal. Ces deux dirigeants avaient avec Jacques Lafleur (Caldoche opposé à l’indépendance), renoué, sous l’égide de Michel Rocard, le dialogue et signé les accords de Matignon.

La sixième partie évoque le scrutin à venir. Les résultats de celui de 2018 sont rappelés. Comme l’avait écrit, alors le journaliste du Monde, les partisans du non à l’indépendance avaient remporté « une victoire en demi-teinte » et les indépendantistes en sortaient « confortés par les résultats »[3]. Qu’en sera-t-il cette fois-ci ? N’y-a-t-il pas des risques de violences ? Un desserrement de la tutelle de la métropole n’est-il pas inéluctable ? L’enjeu « est qu’aucune des parties ne se sente humiliée. Et que les moyens soient offerts aux Calédoniens de poursuivre leur chemin vers plus d’autonomie » (p. 21).

Un livre d’actualité sur un territoire lointain qui réinterroge la question coloniale.

[1] Edwy Plenel et Alain Rollat, Mourir à Ouvéa. Le tournant calédonien, 1988.

[2] Usage que nous n’avons pas repris ici par respect de l’orthographe et par commodité de lecture.

[3] Patrick Roger, Le Monde, 4/11/2018.