Tout semblait les unir. Ils étaient tous deux avocats. Membres de la petite bourgeoise de province ; tous deux révolutionnaires, patriotes, démocrates et républicains. Tous deux également, premiers élus de la ville de Paris, membre du même parti de la Montagne. Ils fréquentaient, aussi, le même club politique, avaient les mêmes amis et les mêmes rivaux. Ils étaient issus de la même génération, se côtoyaient en âge, à trois mois près. Et pourtant, ils devinrent de farouches ennemis et s’éliminèrent tour à tour.

Loris Chavanette, docteur en histoire, spécialiste de la Révolution française et du Premier Empire retrace de façon vertigineuse le parcours de ces deux monstres politiques.

 

 

 

 

 

 

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Danton et Robespierre, deux figures tutélaires de la Révolution Française

Dans l’étroit défilé de la Révolution française, il n’y avait pas de place pour deux soldats de la liberté. Et sur cette scène politique ardente, il y en avait un de trop.

Ils sont restés comme deux monstres politiques dans l’imaginaire collectif et entrèrent avec fracas dans le tourbillon révolutionnaire, sachant, peut-être, qu’ils n’en sortiraient pas heureux, ni vivants. Jeunes et très rapidement célèbres à 30 ans à peine, ils gouvernèrent la France par la puissance de leur verbe, de leurs discours avant d’être dévorés à leur tour par le feu révolutionnaire.

Depuis plus de deux cents ans, la littérature et l’histoire leur ont consacré ce qu’il y a de plus radical, de plus provocateur, d’iconoclaste pour mieux faire ressortir leur personnalité. Oui, Danton et Robespierre fascinent toujours, même en ce début de XXIe siècle.

Avocat, ils se jetèrent corps et âme dans la bataille, avec la volonté d’y tenir un rôle incontournable. Ils revêtirent l’habit de défenseur du peuple pour assurer à ce dernier la souveraineté. Seules ces crises majeures, titanesques, sont à même de révéler la nature profonde d’individus de cette trempe. Ils tranchèrent par leur attitude et leur volonté face à l’immobilité et la stabilité millénaire de la monarchie capétienne.

Agir toujours et tout le temps, agir contre, telle était la devise de ses nouveaux héros populaires et modernes. Tocqueville, encore lui, y a vu la marque des révolutionnaires de 1789, capables de porter l’audace jusqu’à la folie, qu’aucun scrupule n’aurait pu ralentir et qui n’hésitèrent jamais devant l’exécution d’un dessein. Tout devint possible, car ils avaient décidé que tout était dorénavant permis. Mais qu’ils s’interrompent un instant dans leur action, qu’ils goûtent une seule fois à la défaite, et leur chute était assurée.

Comme tous ceux de leur génération, ils avaient juré de vivre libre ou mourir et le moins que l’on puisse dire est qu’ils ont tenu leur promesse.

Danton et Robespierre, qui étaient-ils vraiment ?

L’auteur pose la question sans détour : Robespierre a-t-il mérité les titres de monstre ou de tyran dont on l’a affublé ? Danton a-t-il été ce grossier personnage de député corrompu qu’un pan de notre histoire a privilégié ? Pourquoi personnalisent-ils toujours la Terreur ? Et l’ont-ils vraiment exercée avec la même énergie ? A plus de deux siècles de distance, les recherches et travaux ont permis de mieux connaître la part de vérité et celle d’ombre de ces deux figures charismatiques. Louis Chavanette a souhaité ainsi interroger le mythe populaire de ce couple politique et du duel auquel ils se sont livrés, entre amitié et rivalité. Avant d’être des frères ennemis, ils formèrent un tandem auquel rien de résistant, avant de retourner l’un contre l’autre les armes mêmes dont ils s’étaient servis.

En se focalisant sur leurs points communs, leurs divergences, qu’il s’agisse de leur opinion, leur caractère ou leurs mœurs, en mettant en lumière les dynamiques propres à leur ascension et à leur chute – fulgurante l’une comme l’autre – ce n’est pas seulement de simples portraits qui sont dressés dans cet ouvrage. C’est plus que cela. C’est celui de la Révolution elle-même avec cette question centrale : ces deux hommes ont-ils toujours été constants dans leur action ou bien est-ce l’exercice du pouvoir qui les a changés ? Vastes questions…

La longévité de leur couple – si l’on pourrait s’exprimer ainsi – dans la mémoire collective traduit la fascination qu’ils exercent. Et cela tient sans doute au fait que Robespierre est demeuré une figure polémique sur laquelle les historiens se sont toujours penchés avec passion, soit pour l’ériger en tyran comme se sont plu à le décrire Michelet ou Taine par exemple, soit pour défendre en lui le martyr de la démocratie, comme Louis Blanc qui y ont vu une sorte de prophète christique.

Ces lignes de faille se sont également invitées à l’université, ainsi Alphonse Aulard, au début du XXe siècle, qui érige Danton comme une figure de la liberté et mésestime le rôle de Robespierre. Son élève Albert Mathiez, quelques années plus tard, réhabilite Robespierre en proclamant sa pureté exemplaire, il fait en jetant à bas la figure de Danton. Bref, comme historiens, on est soit dantoniste, soit robespierriste. Il n’y a pas de juste milieu.

Une mémoire à sauvegarder

Après leur mort à tous deux en 1794, familles, proches et amis donnèrent des versions personnelles sur leur personnalité et le politique qu’ils avaient connu. Charlotte, sœur de Robespierre ou la famille Duplay où s’était réfugié l’Incorruptible, ont tenté de défendre la mémoire de Maximilien, que les Thermidoriens avaient voué aux gémonies. Eléonore Duplay cacha même ses manuscrits pour qu’ils ne tombent pas dans des mains ennemies, avant qu’ils ne réapparaissent et nous parviennent jusqu’à nous, acquis par l’Etat français en 2011. Au même moment, les amis de Danton dont bon nombre de députés, et même deux de ses fils cherchaient à laver l’honneur du plus audacieux des révolutionnaires.

Ainsi, chaque génération d’historiens s’est évertué à plaider – comme parfois des avocats – la cause de son champion. Aujourd’hui, même si les débats se sont apaisés, il n’en reste pas moins vrai que les controverses historiographiques demeurent. Robespierre dispose depuis 1908 d’une Société des études robespierristes, alors que Danton n’a pas la même force de frappe. L’auteur souhaite donc, à travers son ouvrage, tenter d’instaurer un véritable dialogue entre les deux révolutionnaires.

L’une des raisons pour lesquelles ce duo a su demeurer la clé de voûte de la Révolution à travers les époques tient au fait que le duel entre Danton et Robespierre ne peut se limiter à la simple chronologie des événements révolutionnaires. L’un et l’autre divergent radicalement sur cette question essentielle : les exigences de la vie politique et publique est toujours d’actualité doivent-elles impérieusement absorber les passions et intérêts privés ? Et n’est-ce pas une question toujours d’actualité ? L’adoption de la loi sur la moralisation de la vie publique en est une preuve après plusieurs scandales de corruption. Faut-il craindre la mode des dénonciations, rendant plus sensible encore la question de la transparence dans nos sociétés en pleine mutation, oui bien faut-il s’en réjouir ?

Ne faut-il pas alors s’étonner de voir des tentatives de réhabilitation de la figure de Robespierre, présenté comme l’ancêtre vertueux par excellence ? Dans certains milieux, cette tendance est de mise. Si Danton possède plusieurs statues datant de la IIIe République, dans le Quartier latin à Paris érigée à l’emplacement même de sa maison, ou encore à Arcis-sur-Aube et Tarbes, si plusieurs écoles ou rues portent son nom, rien ne dit que cet héritage perdurera.

La puissance de leur verbe et discours témoignent au-delà de leur mort que rien, dans le monde, ne peut se faire sans passion. C’est pourquoi ils demeurent le miroir d’une génération, d’une époque, d’une colère, d’une certaine représentation de la France. Et c’est la raison pour laquelle ils incarnent toujours plus que ce qu’ils furent. Il faut tenter d’appréhender ces deux hommes dans leur intimité pour les comprendre.

Un ouvrage incontournable. Loris Chavanette nous plonge dans le cœur et les entrailles de la vie de ces deux hommes. On vit, on respire avec eux, on entre dans leur intimité. Et l’on comprend mieux leur caractère irréconciliable et les chemins qu’ils empruntèrent pour mener leur Révolution.

C Bertrand Lamon