Créée en 2003 sous le titre Parlement[s], Histoire et politique, la revue du CHPP change de sous-titre en 2007 pour affirmer sa vocation à couvrir tous les domaines de l’histoire politique. Chaque volume est constitué pour l’essentiel d’un dossier thématique (partie Recherche), composé d’articles originaux soumis à un comité de lecture, qu’ils soient issus d’une journée d’études, commandés par la rédaction ou qu’ils proviennent de propositions spontanées. Quelques varia complètent régulièrement cette partie. La séquence (Sources) approfondit le thème du numéro en offrant au lecteur une sélection de sources écrites commentées et/ou les transcriptions d’entretiens réalisés pour l’occasion. Enfin, une rubrique (Lectures) regroupe les comptes rendus de lecture critiques d’ouvrages récents. Enfin, la revue se termine systématiquement par des résumés des contributions écrits en français et en anglais (suivis de mots-clés).
Cette revue a été publiée successivement par plusieurs éditeurs : Gallimard (n° 0) en 2003, Armand Colin (n° 1 à 6, H-S n° 1 et 2) de 2004 à 2006, Pepper / L’Harmattan (n° 7 à 20, H-S n° 3 à 9) de 2007 à 2013, Classiques Garnier (n° 21 et 22, H-S n° 10) en 2014 et, enfin, les PUR (depuis le n° 23 et le H-S n° 11) à partir de 2016.
La revue Parlement(s) n° 32 a pour thème : « Nos ancêtres les Gaulois ! ». Ce trente-deuxième dossier a été coordonné par Étienne Bourdon (Maître de conférences HDR en histoire moderne, Université Grenoble Alpes, Larha). Comme d’habitude, le dossier se compose de deux éléments distincts : une première partie consacrée à la « Recherche » (avec 6 contributions de 6 chercheurs ou chercheuses, jeunes ou confirmées : Pascal Montlahuc, Franck Collard, Étienne Bourdon, Guillaume Mazeau, Christian Amalvi et Patrick Garcia) et la seconde à des « Sources » (au nombre également de 3) commentées par deux enseignants-chercheurs : Franck Collard et Étienne Bourdon. De plus, dans ce numéro, nous trouvons des « Varia » (au nombre de 3, avec les contributions de Pauline Valade, Frédéric Cépède et Stéphane François) à nouveau une partie consacrée à des « Lectures » (au nombre de 8) critiquées par 5 historiens (Giulano Ferreti, Frédéric Attal, Christophe Bellon, Arnaud Dupin et, enfin, Ismail Ferhat) puis résumées par Jean-François Bérel, auteur des recensions de la revue Parlement[s]. Revue d’histoire politique. pour le compte de « La Cliothèque », rubrique du site de l’association « Les Clionautes ».
En introduction (p. 11-19), Étienne Bourdon présente le dossier consacré à « Nos ancêtres les Gaulois ! » : cette formule hante notre mémoire collective comme un élément central du discours sur l’identité porté par le roman national tel qu’il s’est longtemps écrit. Civilisation sans langue propre écrite, maintenue durant des siècles dans l’ombre des prestigieux voisins grecs et romains, la réalité du passé gaulois a été lentement découverte par une archéologie balbutiante et parfois idéologisée, peinant face à des traces souvent difficiles d’interprétation. Mais ces ancêtres paradoxaux – fiers de leur liberté mais désunis, attachants mais querelleurs et par trop portés sur la boisson, redoutables guerriers mais vaincus – sont le résultat d’une véritable fabrique. Cette image des Gaulois émerge dès l’Antiquité, reprise et étoffée au XVe siècle en fonction des besoins politiques et identitaires du moment, pour servir l’affirmation de la francité au siècle suivant, puis, à partir de la Révolution française et au XIXe siècle, elle s’installe durablement dans l’imaginaire politique, comme en témoigne encore le discours public depuis 1958. Ce dossier montre, par une lecture culturelle du politique, la façon dont la figure du Gaulois, siècle après siècle, a nourri les représentations et les identités nationales dans un usage politique de l’histoire. Et comment le discours sur le présent prend la voix du passé.
[RECHERCHE]
R 1- « Le coq n’est tout-puissant que sur son fumier ». « Faire rire » et stéréotypes gaulois à Rome (République-Empire) : (p. 23-39)
Pascal Montlahuc (Maître de conférences en histoire ancienne, Université de Paris, Anhima – UMR 8210)
Considérer le rôle de l’humour dans l’établissement d’une opposition culturelle entre Romains et Barbares éclaire certaines des plaisanteries contre l’inclusion politique des Gaulois qui circulèrent dans la Rome républicaine et impériale. Les mécanismes de ce rejet se précisent encore lorsqu’on analyse l’usage de stéréotypes anti-gaulois afin de faire rire un auditoire ou un lectorat romain. Cet article rappelle ainsi que le « pouvoir des bons mots » contribua à lisser, voire à fausser, les réalités historiques de la présence politique et sociale des Gaulois à Rome.
R 2- « Nos ancêtres, les Gaulois » ? Les « racines gauloises » et leurs usages politiques dans la France médiévale: (p. 41-56)
Franck Collard (Professeur d’histoire médiévale, Université Paris Nanterre, Chisco EA 1587)
C’est au Moyen Âge, dans la seconde moitié du XIIIe siècle, qu’est apparu le premier récit historique global consacré au passé de la France, le « Roman aux Roys », chronique commandée par Saint Louis au moine de Saint-Denis Primat et continuée jusqu’à 1461 pour être imprimée à Paris en 1477. Mais l’ancestralité gauloise de la « Nation France » n’y apparaît pas. C’est cette absence a priori étonnante que l’on s’efforcera d’expliquer avant d’examiner les premiers signes de l’apparition des Gaulois dans la mythographie nationale.
R 3- « De l’antique préexcellence de Gaule & des Gauloys ». Gallophilie, politique et francité de Louis XII à Henri IV: (p. 57-76)
Étienne Bourdon (Maître de conférences HDR en histoire moderne, Université Grenoble Alpes, Larha)
Le XVIe siècle se tourne vers une véritable affirmation de l’origine gauloise de la nation, en mettant progressivement à distance le récit troyen, et en rattachant les Gaulois à l’histoire biblique pour en faire des descendants directs de Noé. S’élabore ainsi un puissant discours croisant savoirs historiques, pouvoirs, religion et identités. De Louis XII à Henri IV, ce thème tend à s’imposer dans les ouvrages d’histoire et dans l’imaginaire royal comme élément constitutif de la francité dont témoigne l’invention du néologisme de « celtosité ».
R 4- La Révolution française et les ancêtres gaulois : les ambiguïtés d’une généalogie politique du peuple: (p. 77-92)
Guillaume Mazeau (Maître de conférences à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Centre d’histoire du XIXe siècle)
Pendant la Révolution qui éclate en France à la fin du XVIIIe siècle, le mythe de l’origine gauloise du peuple français devient un des principaux récits historiques qui alimentent et divisent le débat public. Utilisé pour désarmer les thèses nobiliaires de la supériorité franque, pour affirmer la prise de souveraineté du peuple, mais aussi pour revendiquer l’appropriation de droits antiques qui auraient été usurpés lors des époques ultérieures, ce récit est pourtant lourd d’ambiguïtés : il renforce autant la défense transnationale d’un droit des gens qu’il alimente les premiers nationalismes européens.
R 5- Naissance et affirmation d’un mythe scolaire : « Nos ancêtres les Gaulois », de l’Époque romantique à 1944: (p. 93-109)
Christian Amalvi (Université Paul Valéry – Montpellier-III, EA Crises)
Le mythe de « Nos ancêtres les Gaulois » est une invention récente. Dans la culture classique française, longtemps dominée par la civilisation latine, les Gaulois étaient des inconnus. Leur apparition dans la seconde moitié du XIXe siècle est la conséquence de deux phénomènes distincts : le romantisme, qui redécouvre les racines nationales, et les luttes politiques contemporaines. Sous la Troisième République, la gauche se proclame héritière du peuple gaulois et de Vercingétorix contre la droite catholique, qui célèbre les Francs de Clovis, premier roi baptisé. Depuis 1959, le succès des aventures d’Astérix et d’Obélix a rendu les Gaulois familiers aux Français.
R 6- Prospérité et infortunes d’un mythe national. Les Gaulois dans le discours public depuis 1958: (p. 111-132)
Patrick Garcia (Université de Cergy-Pontoise, Agora / IHTP)
Cet article propose d’étudier l’évolution et la réécriture du mythe des Gaulois dans le discours public, à travers les discours présidentiels sous la Ve République. Encore vivace sous la présidence de Charles de Gaulle, le mythe perd en force au lendemain des septennats de François Mitterrand, avant d’être trivialisé – Vercingétorix laissant place à Astérix et Obélix – et réactualisé à la faveur du débat sur l’identité française.
[SOURCES]
S 1- Deux exemples d’usages politiques des Gaulois à la fin du XVe siècle : Dédicace par Robert Gaguin à Charles VIII de sa traduction des Commentaires de César (1485) et Extrait du discours du chancelier Guillaume de Rochefort devant les députés des États généraux de Tours (1484) : (p. 135-140)
Franck Collard (Professeur d’histoire médiévale, Université Paris Nanterre, Chisco EA 1587).
Le premier commentaire de sources est la dédicace de Robert Gaguin à Charles VIII dans sa traduction des Commentaires de Jules César (1485) et un extrait du discours du chancelier Guillaume de Rochefort devant les députés des États généraux de Tours (1484).
L’humaniste Gaguin a fait précéder sa traduction de César (promise à un beau succès éditorial) d’un prologue adressé au roi de France Charles VIII, dont il s’était promis d’amplifier la faible culture résultant de l’éducation très déficiente que lui avait fait donner son père, le roi de France Louis XI (1423-1483). Ce prologue très intéressant est fort différent du prologue que Pierre Bersuire avait dédié à Jean le Bon à l’occasion de sa traduction des Décades de Tite-Live. Bersuire ignorait la question gauloise au profit d’une réflexion sur la puissance romaine. Gaguin agrège quant à lui clairement les anciens Gaulois au passé français et confond en grande partie le territoire du royaume avec celui des Gaules. Sortant de la traduction d’une Vie de Charlemagne (sans doute la Vita Karoli de Donato Acciaiuoli), il se consacre à un passé plus reculé mais non moins significatif et utile pour le roi.
Le discours du chancelier de Rochefort du 15 janvier 1484 est de la même veine. Manifestement inspiré par la lettre de Burgos dans laquelle Gaguin, provoqué par des interlocuteurs ibériques vantant leur pays aux dépens de la France, avait répliqué en mettant la gloire des Gaulois au compte de la grandeur française, le chancelier reprend la même vision continuiste. Rochefort estime comme Gaguin que la défaite gauloise face aux légions romaines doit moins à la puissance de celles-ci qu’à la discorde des vaincus. C’est le premier épisode d’une incapacité chronique à s’unir face à l’ennemi. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, les Français déchirés par la guerre civile ont subi la défaite face aux Anglais.
S 2- François Ier et les Gaulois, la Tenture de l’Histoire des Gaules (Beauvais, vers 1530) : (p. 141-149)
Étienne Bourdon (Maître de conférences HDR en histoire moderne, Université Grenoble Alpes, Larha)
Le deuxième commentaire de sources analyse la Tapisserie de l’histoire des Gaules de Beauvais datée des environs de 1530 et qui montre les usages politiques de l’histoire des Gaulois sous François Ier. La Tenture de l’Histoire des Gaules (ca 1530) est conservée au Musée départemental de l’Oise à Beauvais et fait partie du Trésor de la cathédrale de Beauvais. Ces cinq pièces représentent, en neuf tableaux, dix rois gaulois mythiques – de Samothès à Francus – censés avoir régné en Gaule, de l’époque de Noé à la veille de la conquête de Jules César. La source principale est l’ouvrage de Jean Lemaire de Belges, Les Illustrations de Gaule et singularitez de Troye (1509-1512). Elles sont de tailles imposantes. Elles comportent parfois des quatrains ou des sizains décrivant plus précisément les scènes représentées. Le commanditaire est Nicolas d’Argillière, bachelier en théologie, issu d’une famille très importante de la région, proche de François Ier par son oncle, Pierre de Warty, auquel Nicolas d’Argillière succède comme sous-chantre et chanoine de la cathédrale de Beauvais de 1518. L’auteur des cartons et l’atelier de tapisserie sont inconnus mais il est possible qu’il s’agisse de Noël Bellemare. Il est intéressant de noter que l’on doit à Jacques Cambry la première description de ces tapisseries, ce qui témoigne de l’intérêt que leur porte ce préfet de l’Oise (entre 1800 et 1802) et fondateur de l’Académie celtique (1804). Cette tapisserie est intéressante pour la façon dont elle articule l’histoire de la Gaule et l’imaginaire royal à une époque charnière de l’élaboration du discours sur les origines.
S 3- Paul Jamin et la prise de Rome par Brennus ou le passé gaulois fantasmé (Le Brenn et sa part de butin, 1893) : (p. 151-159)
Étienne Bourdon (Maître de conférences HDR en histoire moderne, Université Grenoble Alpes, Larha)
L’illustration reproduite en couverture, Le Brenn et sa part du butin de Paul Jamin (1893), enfin, est analysée et renvoie à une vision fantasmée de la prise de Rome en 390 avant J.-C. Le tableau de Paul Jamin intitulé Le Brenn et sa part de butin, qui est présenté en couverture de ce dossier, a été achevé en 1893 (huile sur toile, 162 × 118 cm). Il est actuellement conservé au musée d’art et d’histoire de La Rochelle. Il est assez souvent représenté, mais rarement ou trop rapidement commenté. Il montre Brennus, ou Brennos, le chef gaulois des Sénons qui a pris la ville de Rome en 390 avant J.-C. On le voit surgir à l’entrée d’une salle, dans la partie basse de la Ville, pour se saisir de son butin. Celui-ci est constitué d’objets de valeur, de têtes décapitées de quelques Romains, et surtout de cinq jeunes femmes, nues ou en grande partie dénudées, pour certaines les mains liées dans le dos. Bien que documenté, le tableau offre de la prise de Rome par Brennus une vision fantasmée du passé gaulois.
[VARIA]
V 1- Parlement et réjouissances monarchiques à Paris au XVIIIe siècle : mécanique et intérêt d’une joie décrétée : (p. 163-181)
Pauline Valade (Docteur en histoire moderne, Professeur agrégé, Centre d’études des mondes moderne et contemporain)
Au cours du XVIIIe siècle, le Parlement de Paris constitue un pilier fondamental dans la légalisation des réjouissances monarchiques. Grâce au Parquet, un arrêt réglementaire conditionne les participations de chacun à la joie publique. Toutefois, les magistrats ont quelquefois manifesté un zèle déplacé dans la manière d’en appeler aux manifestations de joie publiques. Pour la Cour souveraine, il s’agissait d’un moyen de faire valoir leur importance dans l’administration monarchique, à l’heure où le souverain comptait de plus en plus sur les autorités de la Ville. En tant que détenteur de la « Grande Police », le Parlement engagea un conflit latent entre d’une part l’autorité des magistrats et, d’autre part, le roi et la Ville. L’instruction du procès à la suite du drame parisien le 30 mai 1770 en constitue le meilleur exemple.
V 2- Vichy, le 10 juillet 1940 : le vote des parlementaires francs-maçons démythifié : (p. 183-215)
Frédéric Cépède (Secrétaire de rédaction des publications de l’Office universitaire de recherche socialiste)
L’influence – voire l’emprise – supposée de la franc-maçonnerie sur la vie politique nourrit plus les marronniers journalistiques que la recherche historique, malgré des travaux récents sur la crise Boulangiste, l’Affaire Dreyfus ou la Résistance. À partir de l’identification du corpus des francs-maçons convoqués le 10 juillet 1940 (15,6 % des parlementaires), cette étude analyse et interroge leur comportement lors de ce vote et durant la guerre. Le vote parlementaire accordant les pleins pouvoirs à Pétain est dans son ensemble massif (84,8 %). Le vote des francs-maçons l’est également, même si un peu moins (73,8 %), surtout lorsque ceux-ci sont de gauche. Comme leurs collègues profanes, nombre d’entre eux ayant dit oui à Pétain rejoignent également la Résistance. À la Libération, la franc-maçonnerie, célébrant ses martyrs, fustigeant les « traîtres » aux idéaux maçonniques, n’a pas débattu du vote de « ses » parlementaires.
V 3- Des monarchies alternatives : souverains de village et « rois du bas-peuple » dans le royaume des Deux-Siciles (1848) : (p. 217-231)
Stéphane François (Professeur de sciences politiques à l’université de Mons, Chercheur à l’Institute for European, Russian and Eurasian Studies (IERES), George-Washington University, Chercheur associé au Groupe Sociétés Religions Laïcités (EPHE/CNRS/PSL))
Le Moyen Âge a toujours intéressé l’extrême droite. Le recours à cette période historique permet aux militants de ce courant d’élaborer une ontologie, de concevoir un monde dont ils souhaitent l’avènement. Leur principale référence en ce domaine est le penseur antimoderne italien Julius Evola, qui influença grandement les droites radicales européennes dans les années 1960 et 1970. Le recours à cet auteur leur a permis de concevoir à la fois un nationalisme européen se réclamant du Saint-Empire Romain Germanique, et une nouvelle chevalerie incarnée par le militant d’extrême droite.
[LECTURES]
L 1- Stanis Perez, Le corps du roi. Incarner l’État. De Philippe Auguste à Louis-Philippe, Paris, Perrin, 2018, 480 p. par Giuliano Ferretti (p. 237-239)
Une réflexion articulée sur le thème du corps royal devient facilement une histoire des métaphores corporelles qui ont marqué l’évolution de cette figure politique. C’est bien le cas de cet ouvrage qui, de plus, va du Moyen Âge à l’époque contemporaine, incluant la Révolution et l’avènement d’un système social nouveau qui finit fatalement par complexifier le thème étudié. Les propos méthodologiques disséminés dans le livre permettent d’en comprendre l’approche. L’auteur se demande s’il existe une spécificité du corps royal (p. 50) se donnant la tâche d’étudier le corps-fonction du roi, loi animée du royaume (p. 382), tout en en suivant les nombreuses péripéties. Pour cela, il construit un ouvrage en quatre parties qui vont de la constitution du corps saint au Moyen Âge au corps perdu et jamais vraiment retrouvé du roi – sous la Révolution et l’Empire – en passant par l’individualisation, la fabrication et l’héroïsation de ce corps pendant la période moderne. Cette longue et riche restitution ne comporte pas de véritable analyse théorique ; certes, l’auteur en connaît les lignes de fond, qu’il évoque par moments au sujet de la sacralité du corps royal, de sa dimension christique et de sa double nature. Mais son histoire se veut principalement curiale et mondaine, se penchant sur la manière de parler et de vivre le corps royal à travers les époques (p. 304).
L 2- Elisabetta Lurgo, Philippe d’Orléans. Frère de Louis XIV, Paris, Perrin, 2018, 393 p. par Giuliano Ferretti (p. 239-241)
Inscrite dans le long sillage des travaux qui s’efforcent depuis quelques décennies de restituer une place autonome à la figure du frère de Louis XIV (Barker, Bouyer, Micio, 1983-2014), cette biographie classique mérite de l’attention. Elle reprend le fil connu de la vie de cour et du règne du Grand Louis et le déroule du point de vue de Philippe, éclairant la place considérable que ce dernier joua pendant un bon demi-siècle. Elisabetta Lurgo utilise en partie des sources manuscrites (Madrid, Paris, Turin) et surtout les textes connus du XVIIe siècle (mémoires, correspondances, etc.) offrant un tableau vivant du prince grâce à une multitude de points de vue que, d’après elle, l’historien doit savoir saisir et utiliser sans « faire l’apologie du sujet dont il est question dans ses recherches » (p. 72). Cette biographie de Monsieur est ainsi le résultat d’une méthodologie simple et efficace qui dessine, à partir de multiples voix ou touches contemporaines, le portrait d’un prince qui est le contre-exemple parfait de son prédécesseur, le terrible, le révolté Gaston d’Orléans, en quête perpétuelle d’une reconnaissance curiale et politique pourtant interdites, dans la monarchie de France, au frère du roi.
L 3- Pierre-Marie Delpu, Un autre Risorgimento. La formation du monde libéral dans le royaume des Deux-Siciles (1815-1856), Rome, EFR, 2019, 520 p. par Frédéric Attal (p. 241-244)
L’ouvrage de Pierre-Marie Delpu est issu d’une thèse de doctorat remarquée, préparée sous la direction de Gilles Pécout et de Renata De Lorenzo, soutenue en 2017 et dont le titre était « Politisation et monde libéral dans l’Italie méridionale (1815-1856). Le malgoverno et ses opposants : acteurs et pratiques dans le royaume des Deux-Siciles ». Ce rappel n’est pas anodin dans la mesure où l’auteur a significativement modifié le titre de sa thèse, pas seulement parce qu’il s’agit d’une version remaniée, pour les besoins de l’édition et par volonté de l’auteur – la thèse avait été unanimement saluée, impeccable d’érudition et de maîtrise conceptuelle, et n’avait pas besoin de corrections. Mais aussi peut-être parce que le nouveau titre « un autre Risorgimento », semble faire écho à cette « altra Europa » que Giuseppe Galasso, récemment disparu, et l’un de plus célèbres historiens du Royaume de Naples depuis l’époque médiévale, désignait en évoquant le Mezzogiorno contemporain (L’Altra Europa. Per un’antropologia storica del Mezzogiorno d’Italia, Milan, Mondadori, 1982 ; traduction française L’autre Europe, École française de Rome, 1992).
L 4- Maurice Vaïsse et Philippe Nivet (dir.), Charles de Lasteyrie. Un politique et un financier en République (1877-1936), Amiens, Éditions Encrage, 2018, 136 p. par Christophe Bellon (p. 244-246)
On retient habituellement le nom de Charles de Lasteyrie du Saillant (1877-1936) comme celui du ministre des Finances de Poincaré, entre 1922 et 1924, qui dut faire face, notamment, à la crise de l’hiver 1923, véritable « Verdun financier », lors duquel le franc fut en péril. Ce personnage présente une carrière polymorphe, ce que cet ouvrage évoque : chartiste, juriste, inspecteur des finances, avant de se lancer dans une carrière de banquier. Le service de son pays pendant la Première Guerre mondiale le ramènera à la politique, sa passion. La rigueur et l’expertise, que souligne Maurice Vaïsse comme dominant son parcours, n’excluent pas des positions iconoclastes. D’autres contributions (en l’occurrence 8) viennent enrichir cette étude biographique, comme celles de Aurore Cartier, Fabien Cardoni, Laure Quennouëlle-Corre, Gilles Le Béguec, Jean-Étienne Dubois, Philippe Nivet, Florence Descamps et Olivier Dard.
L 5- Maxime Tandonnet, André Tardieu, L’incompris, Paris, Perrin, 2018, 352 p. par Christophe Bellon (p. 247-250)
C’est une biographie à l’allure de roman que Maxime Tandonnet, haut fonctionnaire, propose avec son Tardieu, l’incompris. Un peu à l’image du personnage étudié, qu’Aristide Briand son contemporain qualifia de « mirobolant ». Il faut dire qu’André Tardieu a beaucoup joué de son originalité dans la vie politique de la Troisième République, fondée sur la grande valeur intellectuelle de ce « professionnel du succès scolaire » (Anatole de Monzie), en même temps que sur son inconstance de carrière : reçu premier à l’École normale supérieure, mais refusant finalement d’entrer rue d’Ulm ; reçu premier au concours du ministère des Affaires étrangères, mais préférant tenter (et réussir) le concours de l’inspection générale du ministère de l’Intérieur. Il fit de sa vocation, le journalisme, un métier, avant que la politique, sa passion (contrariée), ne l’entraîne dans le tourbillon du pouvoir. Il en demeurera écrivain, sa vocation. L’auteur met bien en évidence la manière avec laquelle Tardieu « le recours » se marginalise, d’abord par sa proximité avec Laval, mais aussi par son rapprochement avec les Croix-de-Feu du colonel de La Rocque et par ses collaborations, très rémunérées, avec le journal d’extrême droite Gringoire. L’intérêt de cette biographie est aussi dans la manière qu’a Tardieu de quitter la vie politique en tentant de jouer de l’influence de sa plume, exclusivement. C’est l’écrivain qui domine la dernière partie de sa vie. Installé sur la Riviera, loin de Paris, l’« ermite de Menton » continue de recevoir ses amis parisiens dans sa superbe villa et d’écrire, dans le sens de la remise en cause progressive et soutenue du régime et de ses institutions. L’histoire retiendra surtout la démarche révisionniste de ce personnage haut en couleur qui parla trop fort pour être pris au sérieux par ses pairs en politique. Il reste cependant de lui une personnalité à l’action visionnaire, comme celui qui, ministre des Affaires étrangères et le premier, pointa le danger d’Hitler. Écrivain aux multiples essais, l’ancien enseignant à Harvard, lettré et séducteur, avant-gardiste et homme d’idées, disparaît à la fin d’une Seconde Guerre mondiale qu’il traverse très affaibli par une attaque cérébrale achevant son processus de marginalisation, et bientôt d’oubli. Maxime Tandonnet, à la suite de François Monnet, tente d’y remédier. Il s’agit d’une première étape réussie.
L 6- Sandro Guerrieri, Un Parlamento oltre le nazioni. L’Assemblea Comune della CECA e le sfide dell’integrazione europea (1952-1958), Bologne, Il Mulino, 2016, 330 p. par Frédéric Attal (p. 250-253)
Dans l’histoire de l’idée et de l’intégration européennes, comme dans celle des institutions européennes, le Parlement européen, ou plutôt les différents avatars des Assemblées européennes, a été le plus négligé, comme si l’option fonctionnaliste et la croissance d’une technocratie supranationale avaient, jusqu’aux vingt dernières années, contribué à reléguer à l’arrière-plan, dans l’opinion publique comme auprès des historiens et historiennes, une instance pourtant composée de parlementaires nationaux qui étaient loin d’être tous des seconds couteaux dans leurs pays respectifs. L’ouvrage de Sandro Guerrieri comble une lacune. Et il fallait l’expertise d’un historien aussi familier de l’histoire politique française que de celle de l’Italie – auteur d’un livre important sur le 10 juillet 1940 et d’une étude comparée sur les deux Assemblées constituantes française et italienne de l’après-guerre –, professeur d’histoire des institutions politiques italiennes et européennes au Département de Sciences politiques de l’Université La Sapienza de Rome, pour réhabiliter le rôle de l’Assemblée commune de la CECA. Appuyé sur de nombreuses sources européennes (Archives historiques du Parlement européen au Luxembourg ; Fondation Jean Monnet pour l’Europe à Lausanne ; Archives historiques de l’Union européenne à Florence) et nationales (Archives nationales, de la Chambre des députés italienne, de l’Institut Luigi Sturzo – Démocratie chrétienne – de la Fondation Konrad Adenauer), maîtrisant une imposante bibliographie en plusieurs langues, l’ouvrage de Sandro Guerrieri démontre comment, loin d’être une institution effacée et marginale, comme le devint rapidement l’Assemblée du Conseil de l’Europe, l’Assemblée commune de la CECA dépassa rapidement le rôle d’une instance de discussion et de contrôle pour devenir une force de propositions et d’influence. Le travail majeur de Sandro Guerrieri devrait, on l’espère, en entraîner d’autres. Il faudrait ainsi poursuivre l’histoire des Assemblées européennes au-delà des années 1950 et s’interroger sur l’influence qu’ont pu ou non exercer d’une façon ou d’une autre les États-Unis et plus tard, sur le rôle progressif assumé par les lobbys.
L 7- Lyne Cohen-Solal et Ghislaine Toutain, Pierre Mauroy. Une passion politique, Paris, Hémisphères Éditions, 2019, 224 p. par Arnaud Dupin (p. 253-255)
Lyne Cohen-Solal et Ghislaine Toutain, deux anciennes collaboratrices de Pierre Mauroy, ont voulu retracer son itinéraire en reprenant les différentes fonctions qu’il a occupées durant sa longue carrière (responsable socialiste, Premier ministre, président de l’Internationale Socialiste, maire de Lille…). Même si l’historien ne peut se contenter de cet ouvrage, Lyne Cohen-Solal et Ghislaine Toutain rendent, avec le soutien de l’Institut Pierre Mauroy, un bel hommage à l’ancien maire de Lille, mort le 7 juin 2013. La riche iconographie accompagnant les textes rend plus humain un engagement à gauche long de plusieurs décennies.
L 8- Bruno Cautrès, Anne Muxel (dir.), Histoire d’une révolution électorale (2015-2018), Paris, Classiques Garnier, 2019, 308 p. par Ismail Ferhat (p. 256-258)
Non-candidature du président en exercice, éviction des principaux partis politiques du deuxième tour, comme des candidats issus de primaires ouvertes, affaires politico-judiciaires, élection d’une personne n’ayant jamais exercé de mandat électoral auparavant, une candidature d’extrême droite recevant plus de 10 millions de voix… L’élection présidentielle de 2017, en France, a constitué un évènement hors-norme, au sens propre du terme, par bien des aspects. C’est à ce sujet que s’attaque l’ouvrage coordonné par Bruno Cautrès et Anne Muxel, qui regroupent près de 19 auteurs issus le plus souvent de la science politique et du monde du sondage. Le livre s’appuie sur une enquête électorale inédite par son ampleur et sa continuité, « ENEF 2017 », qui a interrogé 8 899 personnes à l’occasion de 16 enquêtes successives, entre 2015 et 2017, puis 7106 d’entre elles après l’élection, à deux reprises jusqu’en avril 2018. Le matériau recueilli permet de mesurer, dès deux ans avant l’élection, les facteurs, mouvements et ruptures qui ont conduit à la disruption de la présidentielle de 2017.
© Les Clionautes (Jean-François Bérel pour La Cliothèque)