La date du 10 août 1792, souvent méconnue du grand public comparée au 14 juillet 1789 et la prise de la Bastille, peut être cependant considérée comme la plus marquante du processus révolutionnaire.

C’est elle qui marque la rupture la plus profonde. Ce jour-là, en effet, disparaît une monarchie millénaire en France. La journée du 10 août a donc été, logiquement, l’objet de nombreux travaux d’historiens. Cet ouvrage de Clément Weiss s’inscrit dans la continuité de ces études, tout en adoptant un nouvel angle d’analyse : celui des vaincus de cette journée.

Un ouvrage avant tout centré sur l’échec de l’aristocratie

L’étude de Clément Weiss porte en effet sur certains protagonistes de cette journée. Parmi les vaincus, ce n’est pas la figure du roi qui est au cœur de son analyse, mais ce sont les défenseurs des Tuileries. Et si, parmi eux, une place importante est consacrée aux gardes suisses et aux gardes nationaux, l’essentiel du propos est centré sur les nobles qui ont combattu ou prétendu le faire.

L’une des thèses de cet ouvrage est, en effet, que cette journée marque le glas de la noblesse (thèse évidemment nuancée).  À travers les témoignages des acteurs qui ont vécu cette journée et qui en rapportent les faits, l’auteur nous révèle comment les représentations de la noblesse ont pesé sur leur attitude et leurs actions durant cette journée, mais aussi sur la réécriture qui en a été faite ensuite. Ceux-ci se considèrent comme des martyrs mais l’auteur montre à quel point leur conception de leur rôle était inadaptée à la situation, alors même qu’ils défendent un château vide, le roi ayant quitté les Tuileries pour se réfugier à l’assemblée dans la matinée.

La progression de l’ouvrage met en avant cette noblesse aux représentations largement anachroniques et l’échec global de leur action. Cela commence avec une introduction présentant l’échec des sauvetages du roi. La journée du 28 février leur vaut aux protagonistes le sobriquet largement moqueur de « chevalier du poignard », tandis que le 21 janvier 1793, très peu se mobilisent pour tenter de sauver Louis XVI de la guillotine. De leur conception du combat au choix d’armes inadaptées (avec notamment très peu de fusils), la noblesse ne parvient pas plus à lutter efficacement le 10 août 1792.

Le propos s’arrête cependant sur la réécriture de l’événement par ces défenseurs des Tuileries et plus particulièrement les récits de nobles. Ceux-ci, sans surprise, mettent largement en avant leur héroïsme à protéger le roi. Si de nombreux actes de courage ont certainement eu lieu, le bilan global de la journée nous montre cependant une mortalité bien moindre chez les nobles que chez les Suisses (par ailleurs plus efficaces au combat), voire les gardes nationaux. La représentation d’un martyr de la noblesse, assez éloignée de la réalité, s’est pourtant largement imposée ensuite preuve de l’efficacité de ces réécritures.

Enfin, Clément Weiss s’attache à expliquer les motivations de ces combattants, leur état-d’esprit, leur vécu de la journée et ce, à plusieurs reprises, de façon individuelle. Cela est révélateur de la profondeur du travail effectué sur lequel nous pouvons dire quelques mots.

Un travail d’enquête minutieux

En tant qu’historien, Clément Weiss nous présente ces sources dans le cadre son étude. Les fonds d’archives utilisés sont précisés. Cela lui a permis de disposer de témoignages de première main, issues d’acteurs directs ou parfois indirects de cette journée (mais qui ont souvent servi de référence à d’autres réécritures). Ces sources sont recoupées avec d’autres sources : décisions de justice, ordres donnés, enquêtes postérieures, … et évidemment mis en lien avec les travaux d’autres historiens.

Ce croisement des sources permet un propos véritablement critique, distinguant ce que l’on sait de ce qu’on ne sait pas, mais aussi ce qui est vraisemblable, possible et improbable. Chaque citation énoncée est commentée et recontextualisée de façon précise.

On peut également mettre en avant le degré de précision atteint dans cette étude. Clément Weiss propose ainsi, en annexe, la liste des auteurs du corpus et leur rôle lors de la journée du 10 août, un tableau récapitulatif des officiers de la garde constitutionnelle à pied et à cheval avec le taux de présents, ainsi que la liste des 33 défenseurs volontaires souvent d’origine nobles cités dans les sources.

De nombreux personnages cités font enfin l’objet d’un développement important sur leur rôle dans la journée, mais aussi, plus globalement, dans la période révolutionnaire. C’est le cas d’Hervilly qui a porté la nouvelle du cessez-le-feu puis a ensuite commandé le débarquement infructueux de Quiberon. Nous croisons également à plusieurs reprises la Rochejaquelein qui s’est ensuite illustré en Vendée.

Cet ouvrage n’a donc pas pour but de présenter la portée de la journée du 10 août, mais avant tout de s’intéresser à une partie de ses acteurs, ceux qui ont perdu les Tuileries, mais en partie gagné dans la réécriture de l’événement. C’est finalement leur vécu qui importe ici, les représentations qui les ont guidés et qu’ils en ont retirées. C’est en ce sens que cet ouvrage apporte un éclairage nouveau sur cette journée.