«Lyon fit la guerre à la liberté – Lyon n’est plus» : cette sentence terrible a marqué la mémoire collective. Symbole du châtiment impitoyable infligé à la cité vaincue par les représentants en mission Collot d’Herbois et Fouché, elle masque de son verbe tranchant une réalité plus complexe et moins radicale, que Michel Biard dévoile en confrontant les sources émanant des deux camps adverses. L’image précoce qui s’était imposé d’un anéantissement sanguinaire, couronné de destructions massives et de massacres collectifs de grande ampleur, s’en trouve sensiblement nuancée.
Le mythe s’effrite au filtre de cette chronique bilatérale surgie des archives. Sous la robe de la légende noire du siège de Lyon, la réalité qui se fait jour est en demi-teinte. Celle du dégradé gris-sang d’un siège d’usure long de deux mois, dont les protagonistes indécis se livrent d’abord une guerre des mots proclamant leurs républicanismes contradictoires. Les défenseurs lyonnais, qui se sont donnés un royaliste pour chef militaire, se grisent de l’espérance de secours chimériques. Supervisées par un commandement temporisateur, les forces assiégeantes ferment tardivement la nasse, ce qui durcit les privations et amplifie les destructions. Une crise des effectifs affecte les deux camps. Ce sont les renforts ramenés d’Auvergne par Couthon qui permettent le passage des opérations à une phase active.
Bombardements d’artillerie massifs et combats dans les faubourgs en sont les principales péripéties. Les pertes humaines et les dégâts matériels qui en résultent sont évaluées dans la mesure des sources disponibles. La ville capitule devant l’imminence d’une prise d’assaut, tandis qu’une poignée de défenseurs entreprend une ultime sortie dépourvue de perspective. Vient alors le temps de la répression, que la Convention veut impitoyable. L’étude attentive conduite par Michel Biard en relativise pourtant sensiblement les effets. Supervisée par les représentants en mission sur place, une justice politique aux mécanismes souvent expéditifs orchestre l’épuration des rebelles, contre-révolutionnaires et autres inciviques. Révélation significative, une partie des nombreux condamnés à mort n’avaient pas participé à la défense de la ville ni, même semble-t-il, n’y résidaient. Malgré les sinistres méthodes d’exécution collective mises en œuvre, qui sont pour beaucoup dans la résonance durable du châtiment de Lyon, la ville n’est pas dépeuplée. De même que, malgré les injonctions de la Convention, il s’avère que «Ville-Affranchie» n’a nullement été rasée. Et Collot d’Herbois, qui endossa la tunique expiatoire du bouc-émissaire aux yeux de la justice et de la postérité, semble avoir eu le dos très large.
Dans le format concis et contraint de la collection Illustoria, Michel Biard doit faire des choix. La question des causes de la confrontation lyonnaise demeure en ébauche, de même que celle des enjeux de mémoire. En revanche, l’auteur mène avec précision et circonspection une étude soigneuse et maîtrisée de la séquence événementielle du siège et ses conséquences immédiates. Le tableau véridique qui en émerge, fondé sur une méthodologie sûre, restitue sa part d’humanité -voire de médiocrité- à un des épisodes hideux de la Révolution française. Un riche cahier iconographique en couleur éclairé de commentaires, une chronologie synoptique, des tableaux d’effectifs et des bilans, une sélection de lieux à visiter, les sources et la bibliographie constituent d’utiles compléments au texte principal. En définitive, on ne peut que recommander chaleureusement cette révision salutaire de l’un des nombreux dogmes trop établis qui meublent les récits canoniques de l’histoire instituée.
© Guillaume Lévêque