1942 est une année charnière pendant la Seconde Guerre mondiale où, sur tous ses théâtres, s’opère une bascule. Dans le Pacifique, en Afrique du Nord et sur le Front de l’Est, les dynamiques changent. Après une domination allemande en Europe et japonaise dans le Pacifique, les alliés reprennent l’initiative par une série de victoires militaires et d’avancées technologiques. L’année 1942 est également une année de bascule pour les sociétés européennes : la Shoah prend sa dimension industrielle, avec la Solution finale, organisée suite à la Conférence de Wannssee le 20 janvier. De plus, les résistances s’organisent et semblent prendre de la force. Henri Michel considérait l’année 1942 comme « la bissectrice de la guerre ».

Dans cet excellent ouvrage, Cyril Azouvi, auteur et journaliste, ainsi que Julien Peltier, data designer et historien (à qui l’on doit également l’Infographie de la révolution française), proposent une analyse globale de 1942. L’objectif affiché n’est pas de raconter cette année minute par minute mais de comprendre, par une analyse des événements clés qui ont fait basculer la guerre, l’année 1942 dans la pluralité et la diversité de ses composantes. Une des grandes qualités de ce très beau livre réside dans le choix de ne pas se cantonner aux aspects militaires du conflit. En effet, les auteurs intègrent la Shoah dans leur réflexion et s’attardent sur les dimensions économiques du conflit. Ils nous présentent aussi l’avenir du monde tel que le rêvaient les dirigeants anglo-américains, qui voulaient mettre en place un nouveau système de relations internationales, en désaccord avec Staline.

L’infographie et les illustrations au service de l’Histoire

L’utilisation maîtrisée de l’infographie est un des grands atouts de cet ouvrage. Pour rendre compte de cette année exceptionnelle, ce livre mobilise tous les outils de l’Histoire, avec plus de 70 pages d’infographies, une iconographie originale et des textes synthétisant les connaissances actuelles. Les infographies, souvent présentées sur des doubles-pages, sont à la fois simples et problématisées, très faciles d’accès. Elles facilitent grandement la compréhension de réalités complexes, plus que ne le ferait un texte explicatif. De nombreux sujets sont traités, comme le rapport de force de la bataille de Midway, la bataille de Stalingrad, l’incorporation de femmes dans l’armée russe, la rafle du Vel d’Hiv, le projet Manhattan…

L’association de ces infographies avec des illustrations pertinentes (photographies à différentes échelles, schémas, graphiques… etc…), de textes clairs et synthétiques, et des dernières avancées historiographiques, font de cet ouvrage une référence clé sur la Seconde Guerre mondial et un outil de premier ordre pour les enseignants. Le dialogue constant entre ces supports offre une approche originale de la démarche de l’historien et une nouvelle façon de lire l’Histoire.

De courtes biographies d’acteurs clés de chaque camp, présentées sous forme de face-à-face, complètent les différents chapitres. La préface d’Olivier Wieviorka, d’une grande qualité, vient compléter cette excellente synthèse.

Le basculement des grands théâtres et de certaines logiques de la guerre

En Afrique du Nord, l’arrivée de l’Africakorps change la donne. Sans être le brillant stratège vanté par la propagande nazie, le Renard du Désert est un meneur d’hommes et sait galvaniser les troupes allemandes. Il réussit à menacer les intérêts britanniques au Caire ainsi que le Canal de Suez. Néanmoins, en octobre 1942, le général Montgomery lui inflige une défaite cruciale à El-Alamein. De plus, les anglo-américains débarquent, le 8 novembre, sur les rivages du Maroc et de l’Algérie.

Sur le Front de l’Est, les forces soviétiques contre-attaquent, le 19 novembre, à Stalingrad. Cette bataille, comme la plupart des batailles clés de l’année 1942, est illustrée par une brillante infographie. Cette partie est complétée par un chapitre très original sur la place des femmes dans l’armée russe, et notamment comme snipers.

En Asie-Pacifique, théâtre souvent négligé dans les livres d’Histoire et peu abordé dans les programmes scolaires, le Japon avait volé de succès en succès. Après l’attaque de la base de Pearl Harbor, le 7 décembre 1941, l’armée impériale s’empare de la Malaisie, de Singapour, des Indes néerlandaises, tout en maintenant son emprise sur la Chine continentale et en menaçant l’Australie. Ces triomphes ne durent pas. L’indécise bataille de la mer du Corail (mai 1942), ainsi que la victoire majeure de Midway (juin), résumée dans l’infographie ci-dessous, décapitent la marine japonaise, qui se retrouve privée de ses porte-avions. De plus, les Japonais sont étrillés sur terre, notamment à cause du débarquement de Guadalcanal, le 7 août 1942, qui les oblige à évacuer l’île à partir de 1943, causant de nombreuses pertes dans les deux camps. Ce débarquement est permis par une modernisation du corps des Marines, qui n’interviennent que sur le front pacifique. L’ingénierie américaine crée un arsenal adapté à ces opérations de débarquements et, en novembre 1942, l’US Navy, qui se lance elle-même dans une opération amphibie. Cette partie sur le théâtre pacifique de la guerre est astucieusement complétée par une analyse du rôle majeur des porte-avions.

Ces défaites allemandes et japonaises marquent une inflexion dans le cours de la Seconde guerre mondiale. Pour autant, elles ne signifient pas que l’Axe a perdu la partie. Les stratèges alliés, en effet, conscients des défis à affronter, misent sur des bombardements stratégiques. En pilonnant le Reich, ils espèrent briser son outil industriel, son dispositif défensif, et désolidariser la population du régime nazi. Mais, en 1942, l’aviation est encore trop imprécise et les bombardiers pas assez bien défendus. De plus, les Américains s’engagent dans le projet Manhattan, l’atome offrant un avenir prometteur. Mais, en 1942, la recherche n’a pas encore transformé l’essai.

Un tournant dramatique de la Shoah

L’année 1942 est un tournant dans la destruction des Juifs d’Europe. Certes, les Allemands ont déjà, en Pologne et dans les territoires conquis en Union soviétiques, commis d’innombrables massacres, parfois secondés par les populations locales (les exemples biélorusse et ukrainien sont analysés dans l’ouvrage). Avec la création des centres de mise à mort de Belzec, Sobibor, Treblinka et Auschwitz, le génocide change de dimension et d’échelle. Les Juifs sont désormais promis à une mort industrielle sur l’ensemble du Vieux Continent, et non plus dans la seule Europe de l’Est.

Conclusion

Grâce à sa narration profondément renouvelée, par un dialogue constant entre infographies, illustrations et textes concis, ce bel ouvrage nous offre une nouvelle expérience de l’Histoire et une nouvelle lecture de l’année 1942. Par la qualité de ses infographies, la pertinence de ses illustrations et la clarté de ses textes, 1942 est un ouvrage indispensable qui a pleinement sa place dans les CDI et les bibliothèques des professeurs. On peut très facilement imaginer des activités pédagogiques autour des nombreux documents ou une utilisation des infographies comme supports pour les cours. Les textes sont accessibles aux collégiens comme aux lycéens.