Laurent Joly nous indique que la rafle dite du « Vel d’Hiv » est l’un des événements les plus tragiques survenus en France sous l’Occupation. En moins de deux jours, les 16 et 17 juillet 1942, 12 884 femmes, hommes et enfants, répartis entre Drancy (près de 4 900) et le Vel d’Hiv (8 000), ont été arrêtés par la police parisienne à la suite d’un arrangement criminel entre les autorités allemandes et le gouvernement de Vichy. Avant la fin du mois d’Août 1942, plus de 5 000 d’entre elles, des enfants surtout, auront été gazées à Auschwitz. Seule une petite centaine de ces victimes survivra à l’enfer des camps nazis.
Qui est l’auteur de cet ouvrage ?
Laurent Joly, docteur en histoire pour une thèse sur « Vichy et le commissariat général aux Questions juives (1941-1944) » (Université Paris 1, 2004), recruté comme chargé de recherche au CNRS en 2006, a appartenu au Centre de recherche d’histoire quantitative (CRHQ-Caen) jusqu’en 2015. Habilité à diriger des recherches depuis (dossier et mémoire inédit de recherche intitulé « Naissance de l’Action française. Maurice Barrès, Charles Maurras et l’extrême droite nationaliste au tournant du XXe siècle »), ses travaux actuels portent sur la traque des juifs à Paris entre 1942 et 1944. Il est l’auteur de nombreux ouvrages chez Grasset, comme par exemple « La falsification de l’Histoire. Eric Zemmour, l’extrême droite, Vichy et les Juifs » (2022).
Quel est l’apport de cet ouvrage ?
Dans le prélude de l’Avertissement, l’auteur nous précise que les sources sont pour l’essentiel inédites. Bien que s’appuyant sur l’ouvrage de Serge Klarsfeld « Le Calendrier de la persécution des Juifs de France (Fayard, 2019) expliquant l’action des principaux décideurs politqiues que sont Theodor Dannecker, René Bousquet, Darquier de Pellepoix, etc. Les statistiques sont issus de la base de données informatique réalisée à partir de 2 230 fiches issues des 30 500 fiches (presque toutes déportées) du « fichier de contrôle » établi par la Préfecture de police de Paris en 1941.
Pour Laurent Joly, cette opération emblématique et monstrueuse demeure pourtant relativement méconnue. L’arrière-plan administratif et la logistique policière de la grande rafle n’ont été que peu étudiés, et jamais dans le détail. Légendes (tel le nom de code « opération Vent Printanier ») et inexactitudes (sur le nombre de personnes arrêtées ou celui des effectifs policiers) sont répétées de livre en livre. Et l’on ignore que jamais Vichy ne livra plus de juifs français à l’occupant que le 16 juillet 1942 !
D’où l’ambition, dans cet ouvrage, d’une histoire à la fois incarnée et globale de la rafle du Vel d’Hiv. Une histoire incarnée, autrement dit au plus près des individus, persécutés comme persécuteurs, de leur état d’esprit, de leur vécu quotidien, de leurs marges de décision. Mais aussi une histoire globale, soucieuse de restituer la multiplicité des points de vue, des destinées, et attentive au contexte de la politique nazie et de la collaboration d’État.
En Juin 1942, les dirigeants nazis appliquent la « solution finale » à l’Ouest européen, avec un objectif de 90 000 juifs. Avec près de 13 000 arrestations en 2 jours par 4 500 policiers, cette rafle dépasse tout, même à Berlin. La ségrégation socio-spatiale n’étant pas aussi avancée, les futures victimes sont dispersées. Des centaines de juifs français, affolés, sont arrêtés sur la ligne de démarcation. Parmi les 15 000 ayant échappé, apatrides, des milliers sont arretés dans les mois suivants. Ce sont les conditions précaires qui ont finalement permis la survie de la majorité.
Une recherche largement inédite, la plus riche et variée possible, de la consultation de centaines de témoignages à une exploitation inédite des « fichiers juifs » de la Préfecture de police de Paris. Mais la partie la plus importante de l’enquête a consisté à rechercher des « paroles » de policiers : 4 000 dossiers d’épuration des agents de la préfecture de police ont été dépouillés. Parmi eux, plus de 150 abordent la grande rafle et ses suites. Outre les justifications de policiers, ces dossiers contiennent des paroles de victimes, des témoignages (souvent accablants) de concierges, et surtout des copies de rapports d’arrestation, totalement inédits.
Fruit de plusieurs années de recherche menées par l’auteur, où les archives de la police et de l’administration auront été méticuleusement fouillées, La Rafle du Vel d’Hiv apporte une lumière nouvelle sur l’un des événements les plus terribles et les plus difficiles à appréhender de notre histoire contemporaine.
Le livre est construit à partir de 8 chapitres chronologiques : la décision ; la préparation ; la rumeur ; le 16 juillet 1942, la « rafle monstre » ; le 17 juillet 1942, la déroute ; le chaos ; la rafle après la rafle ; la traque.
Par exemple, dans le Chapitre 1 «La décision», Laurent Joly nous explique que les motivations dans la France des années 1940-1944, si des fonctionnaires parfois désobéiront, c’est inenvisageable à Berlin ou à Varsovie. La plupart des agents concernés obéiront car un policier n’a pas à discuter les ordres de ses chefs. Ralliés, par ambition ou idéologie, à la collaboration d’État, d’autant que le préfet de police de Paris et les directeurs de la PP exercent une pression constante. La France est devenue la « poubelle de l’Europe », fulminent la presse d’extrême droite et de plus en plus de journaux modérés. En 1938, le gouvernement Daladier renforce la « police des étrangers ». Il ouvre la voie à l’internement administratif (autrement dit discrétionnaire). Au début de 1939, la France reçoit des centaines de milliers d’Espagnols, parqués dans des camps de fortune édifiés dans le Sud-Ouest. Avec le déclenchement de la guerre, les 18 000 « ressortissants ennemis » allemands, opposants du régime nazi, par crainte de la « cinquième colonne ». Mais aussi un gouvernement désorienté par le récent pacte de non-agression germano-soviétique (les réfugiés antinazis sont souvent communistes) et surtout tributaire de la « ligne » Bonnet, ministre des Affaires étrangères (avril 1938-septembre 1939) longtemps favorable à l’apaisement avec le Troisième Reich et hostile aux réfugiés juifs.
La politique d’internement du printemps 1940 de l’armée a prévu le minimum pour accueillir les milliers de femmes du Vel d’Hiv : des paillasses, de la paille, une nourriture correcte. Mais le manque absolu d’hygiène et d’intimité, la hantise des bombardements et surtout l’attente pèsent sur le moral des internées.
Theodor Dannecker, lieutenant SS, investi de la mission de préparer la « solution finale », impose à la Préfecture de police la mise en place d’un vaste « fichier juif » sur le modèle du fichier des étrangers, soit 151 000 juifs. Conscient que c’est contraire à la convention d’armistice et celle de La Haye, il délègue au gouvernement français les tâches répressives les plus pénibles. Aidé par le régime pétainiste qui a publié dès 1940 une loi permettant aux préfets d’interner les « étrangers de race juive ».
En 1941, un commissariat général aux Questions juives vient d’être créé à la demande de Dannecker, mais son responsable, Xavier Vallat, ne dispose d’aucun pouvoir de police. 6 500 convocations pour « examen de situation » sont établies mais de 42 % refusent de répondre. Visitant le camps de Pithiviers, Dannecker utilise le double langage et de la manipulation cynique d’Eichmann : il exige haut et fort l’amélioration de la nourriture, raconte aux internés qu’ils sont là par la volonté du gouvernement français, et fait libérer l’un d’eux, arrêté par erreur.
Après l’invasion de l’URSS et les premières actions communistes, l’occupant institue une politique de représailles ciblant délibérément les juifs. Nouvelle rafle, nouvelle méthode : boucler le 11e arrondissement. Avec l’aide d’un Rédacteur à la Préfecture de police de Paris, Lucien Grand et d’Émile Hennequin, directeur adjoint de la police municipale. Au total, 4 200 hommes, dont 1 500 Français, sont appréhendés et internés à Drancy.
Dans le Chapitre «Conclusion», Laurent Joly nous rapporte les écrits de Serge Klarsfeld dans « Le Monde » du 9 juin 2001 sur le discours du président Jacques Chirac du 16 juillet 1995 : « paroles justes et vraies que nous attendions, que nous espérions depuis notre enfance ». Ce discours n’est pas parfait. Son évocation d’« une faute collective » n’est pas toujours comprise, entraînant une surenchère rhétorique malsaine sur la «responsabilité de la France ». Laurent Joly estime qu’il concilie « roman national, vérité historique et ressenti populaire ».
En annexes, Laurent Joly fournit une présentation des sources et références bibliographiques, deux index des noms, riches de 72 pages.
Au final, Laurent Joly a réalisé une enquête précise et riche. Dans sa volonté de vulgarisateur, l’auteur a aussi réalisé plusieurs interview filmés sur ses recherches, diffusés par exemple sur YouTube.