En ces temps de canicules interminables, de records de températures battus, de bulletins météo qui sonnent comme autant de défaites, notre génération semble peu à peu gagner par un mal nouveau, une angoisse inédite : l’ éco-anxiété, face à un réchauffement climatique et une dégradation de l’environnement dont nous serions les premiers et les seuls responsables.

Mais cette angoisse climatique est-elle vraiment une nouveauté?

La collection Points Histoire a eu la bonne idée de ressortir en poche un ouvrage de Jean-Baptiste FRESSOZ et Fabien LOCHER :  « les révoltes du ciel – Une histoire du changement climatique – XVe-XXe siècle »  qui avait été publié dans sa première édition en 2020, considérant sans doute que le sujet est, plus que jamais,  d’une brûlante actualité… Les deux auteurs,  Jean-Baptiste Fressoz et Fabien Locher, sont tous  deux historiens,  chargés de recherche au CNRS et membres du Groupe de recherche en histoire environnementale (GRHE). 

S’appuyant sur l’étude de sources historiques vastes et variées (plus de 80 pages de notes en fin d’ouvrage, tout de même…), les deux historiens s’attachent à démontrer que la question du changement climatique lié à l’activité humaine – que les auteurs nomment agir climatique humain – n’est pas une nouveauté de notre temps mais s’inscrit dans une histoire de longue durée dont on retrouve les traces à partir de la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb et surtout pendant  la colonisation du Nouveau monde  qui s’en suit. La question du changement climatique anthropique est donc bien un objet de débats  parmi les élites intellectuelles, politiques et économiques depuis plus de  500 ans.

Le livre est divisé en 16 chapitres, selon une trame essentiellement chronologique. Les deux premiers portent  sur la colonisation de l’Amérique qui met les Européens en contact direct avec des climats et des environnements nouveaux et cela  donne naissance à des discours  sur la possibilité d’améliorer le climat par la colonisation. La question du changement climatique par l’agir humain a donc d’emblée une dimension politique puisqu’il s’agit au fond de légitimer la colonisation européenne et l’emprise du sol de l’Amérique. Le chapitre 15 à la fin du livre, portant sur les grands Empires britanniques et français du XIXe siècle,  renvoie comme en écho à cette réflexion amorcée au début de l’ouvrage.

Le chapitres 3, 4 et 5 portent sur les XVIIe et XVIIIe siècles et les auteurs  démontrent que la question climatique participe de l’émergence de l’esprit scientifique de cette période et fait l’objet de nombreuses études et théories. C’est l’époque où l’on commence à faire des relevés réguliers des températures, où l’on disserte sur le rôle des défrichements des forêts dans le changement climatique  ou sur un refroidissement inéluctable  de la Terre.

À partir du chapitre 5, les auteurs montrent que la Révolution française constitue, comme dans les autres domaines, une césure majeure dans la façon de poser la question climatique et son corollaire environnemental en termes politiques nouveaux : qui est responsable de la dégradation du sol de France, la noblesse et  l’Ancien régime ou bien l’usage abusif par les masses paysannes des ressources forestières?  La question de la propriété et de la gestion de la forêt rebondit à partir de la Restauration et occupe une place importante dans la première moitié du XIXe siècle dans les débats politiques et les controverses scientifiques, avec au centre la question de la propriété de la forêt sur laquelle s’opposent les tenants du libéralisme et les partisans d’un certain contrôle public sur les forêts, au nom du maintien des grands équilibres climatiques et environnementaux nationaux.

Dans les chapitres 14 et 15, les auteurs analysent avec clarté comment, dans la deuxième partie du 19e siècle, l’anxiété climatique diminue  sous l’effet de facteurs multiples : les progrès agricoles, l’industrialisation et la circulation mondialisée des produits alimentaires qui voient les sociétés être progressivement moins dépendantes pour leur survie des « révoltes du ciel » ; les progrès de la climatologie et la découverte des climats du passé de la Terre et dont les conclusions mettent en question la réalité d’un changement climatique d’origine  anthropique. La question du changment climatique anthropique et l’angoisse qui l’accompagnait n’est plus une préoccupation au 20 e siècle avant de fair eune nouvelle entrée fracassante au 21e siècle et se convertir en une préoccupation majeure de notre temps.

Fruit d’un travail intense sur des sources multiples et originales, J-B Fressoz et Fabien  Locher nous offrent donc une analyse décapante et novatrice  sur la question du changement climatique anthropique et de l’angoisse climatique, en la replaçant dans la perspective d’une histoire de  longue durée. Ils donnent ainsi une profondeur historique aux débats actuels sur le changement climatique dont on aurait pu croire qu’ils étaient spécifiques à notre temps. On est surpris à la lecture du livre par  l’importance que la forêt occupe dans cette histoire du changement climatique et qui constitue, en dehors du sujet central, comme un second fil rouge.

Je conseille donc vivement la lecture de cet ouvrage, en général à ceux qui désirent approfondir leurs connaissances  sur cette question d’actualité cruciale du changement climatique, et en  particulier aux enseignants des classes terminales de spécialité HGGSP. Ils y trouveront matière à enrichir leur réflexion sur les points du programme portant sur le changement climatique mais aussi sur celui portant  sur la protection et l’exploitation de la forêt française.