Ce petit livre publié par une maison d’édition qui fait ainsi son entrée dans les rubriques de la Cliothèque a pour auteur un économiste et un éditorialiste que les spectateurs de l’émission : « C dans l’air » ont eu l’occasion de voir et d’entendre. Philippe Frémeaux est également chroniqueur sur France Inter et France Culture.
Ce « petit livre » est porteur d’une grande ambition, rendre accessible à tout un chacun les fondamentaux de l’économie, aussi bien au niveau macro-économique qu’au niveau de l’entreprise et de l’emploi salarié.
Au moment où le chômage ne cesse de progresser, il devient particulièrement intéressant de « tordre le cou » à idées reçues, dans l’air du temps que la pensée unique ne cesse de véhiculer. Au niveau de l’enseignement, un professeur d’histoire et de géographie, de sciences économiques et sociales, à toutes les raisons de s’intéresser et de recommander cet ouvrage. Tous les thèmes qui font débat sont abordés, comme celui de l’impact de la mondialisation sur le chômage, la question de la flexibilité de l’emploi et la possibilité pour les entreprises de licencier, censée favoriser l’embauche, ce qui est tout de même, qu’on le veuille ou non, contradictoire, tout comme les questions touchant à la précarité.
Des thèmes en débat
Ce livre peut se décliner en différentes parties, celles qui traitent de l’avenir, comme la nécessité de former des diplômés, ou le caractère considéré comme inéluctable de la désindustrialisation, comme celles qui envisagent les causes de la situation actuelle, marquée par la précarité, et la crise de l’école considérée comme étant une des causes de l’inadaptation à la demande des entreprises.
L’auteur envisage également le point de vue des travailleurs, notamment les questions qui traitent la féminisation des emplois, celle de l’immigration tout comme de la pénibilité.
Enfin, on s’intéressera à la gouvernance de l’entreprise, et la place que les travailleurs peuvent occuper dans sa gestion.
L’avenir du travail pose effectivement question. On ne sait pas en effet quelles seront les métiers porteurs dans 10 ans, et tout enseignant confronté à des demandes en matière d’orientation pour se retrouver bien embarrassé. Philippe Frémeaux faisait toutefois remarquer, au risque de décevoir, que dans leur immense majorité, les métiers d’aujourd’hui seront encore largement présent demain. Mais les évolutions de la demande sociale sont relativement lentes, et les gains de productivité qui ont pu être réalisée grâce aux nouvelles technologies ne peut constituer une panacée aux problèmes de l’emploi. Il n’en reste pas moins qu’il existe un large secteur d’emploi non délocalisables, comme les services à la personne ou les activités touchant au cadre matériel d’existence des populations, on pense au secteur du bâtiment dans lesquels les besoins devraient rester constants. Cela n’empêche évidemment pas ses emplois d’évoluer, en fonction des gains de productivité réalisés en amont, tout comme à la mise en œuvre de matériaux nouveaux et de nouvelles techniques de construction.
Plombier, le mal nommé
Un plombier Chacun sait depuis certains débats chez les Clionautes que le petit plombier italien de Nintendo joue un rôle essentiel dans la Cliothèque. L’auteur de ces lignes ne manque d’ailleurs pas de certaines compétences en la matière. par exemple a de moins en moins de chance dans sa carrière d’être au contact du métal qui a donné son nom à son métier. Les tuyauteries plomb qui ont été considérées à part certains auteurs comme responsable de la dégénérescence de l’empire romain avec la diffusion du saturnisme sont utilisés de façon exceptionnelle, et rares sont les artisans qui sauraient encore, avec un chapelet de boules de buis et du suif mettre en forme un tuyau de plomb. Il va sans dire que les procédés existants actuellement, permettent très largement de se passer de ces anciennes techniques.
Pour autant, la question centrale qui est aujourd’hui posée, et qui a fait débat lors de la dernière campagne présidentielle est bien de savoir si la France reste encore un pays industriel. Sous l’effet des délocalisations, mais surtout du fait des gains de productivité continus et de l’essor des services aux entreprises, le nombre d’emplois industriels a fortement baissé en 30 ans. On peut considérer qu’il a pratiquement diminué de moitié, passant de 6 millions en 1970, à un peu plus de 3 millions en 2011. Pour autant, d’après Philippe Frémeaux, si l’industrie recule, l’emploi ouvrier tient bon. De plus, certaines tâches de production sont devenues hybrides et relèvent tout autant de secteurs des services que du secteur industriel. Les laboratoires d’analyses médicales font appel par exemple à des procédés largement inspirés des méthodes de l’industrie.
Et les délocalisations ?
Bien entendu, dès lors que des taches d’assemblage, répétitives, nécessitant beaucoup de main-d’œuvre sont demandées par la production, les pays à bas salaires deviennent redoutablement attractifs au détriment de l’emploi dans les pays anciennement développés. Par ailleurs, la montée en gamme des industries des pays émergents, vient de plus en plus souvent concurrencer la production des vieux pays industrialisés. Par ailleurs, on le sait, ce sont les entreprises de pays émergents qui viennent s’approprier par une politique d’acquisition parfois extrêmement agressive les savoir-faire de firmes emblématiques en matière de qualité et de prestige. On pense à Jaguar et à Volvo, de référence en matière d’excellence automobile, rachetées par des entreprises indienne ou chinoise.
Dans bien d’autres domaines, comme celui de particulier de la gouvernance de l’entreprise, Philippe Frémeauxn en allant chercher des exemples en Europe du Nord tout comme en Allemagne, qui apparaît comme un modèle de réussite industrielle, vient bouleverser bien des certitudes. Sans reprendre à son compte les argumentaires sur « le contrôle ouvrier » ou l’autogestion, l’auteur vient rappeler que l’association des représentants des salariés à la marche de l’entreprise, loin de constituer un handicap, permet au contraire une amélioration significative des conditions de travail et des procédés de production.
Enfin, la 20e idée reçue, « il faudra travailler plus demain », vient conclure ce petit ouvrage. Il est clair que des choix de développement moins productivistes, basé sur le recyclage plutôt que sur le processus de destruction création, permettrait d’éviter le gaspillage aussi bien de matières premières que de travail. Très clairement, le travailler plus pour gagner plus, permettant d’améliorer sa vie de façon significative ne semble pas retenir l’aval de l’auteur.
Il n’en reste pas moins que ce sont pourtant des questions liées au pouvoir d’achat des ménages qui permettent en l’état actuel d’envisager de grignoter quelques points de croissance dont on sait bien qu’ils sont automatiquement générateur de création d’emplois. Certes, cela ne va pas forcément dans le sens de la transition écologique, mais, et c’est une des interrogations qui demeure à la lecture de cet ouvrage, les rythmes en matière de cycles économiques ne sont pas de même nature.
D’un côté l’exigence des populations à vivre mieux, c’est-à-dire en l’état actuel, à consommer plus, de l’autre l’exigence planétaire qui serait de réduire notre empreinte écologique en produisant moins, donc, en travaillant moins et en partageant une quantité de travail disponible en quantité moindre.
Il n’est pas évident que ces solutions là soient envisageables dans le cadre d’un, ou de deux quinquennats.
Bruno Modica