Jean Vigreux ou le spécialiste de l’histoire du communisme rural

Jean Vigreux, né en 1964, fut professeur certifié d’histoire de 1987 à 1990 tout en effectuant son service civil de 1988 à 1990, professeur agrégé de 1990 à 2001 puis maître de conférences de 2001 à 2008 et, enfin, est professeur des universités, depuis 2008. Après avoir été nommé maître de conférences en histoire contemporaine à l’université de Bourgogne (Dijon) de 2001 à 2008 ainsi qu’à l’antenne de Sciences Po Paris de Dijon (2001-2008 et 2012-2016), il est nommé professeur d’histoire contemporaine à l’université de Franche-Comté (Besançon) de 2008 à 2012 ; il revient à l’université de Bourgogne (Dijon) en tant que professeur d’histoire contemporaine, depuis 2012.

Sa thèse sur Waldeck Rochet (Waldeck Rochet, du militant paysan au dirigeant ouvrier, sous la direction de Serge Berstein, à l’IEP Paris, soutenue en 1997 et l’obtention de son HDR en histoire contemporaine en 2007, La politisation des ruraux au XXe siècle avec une étude inédite sur le communisme rural intitulée « La Faucille après le marteau » avec comme tuteur et garant Serge Wolikow) l’a conduit à travailler sur l’histoire du communisme rural et sur la politisation des campagnes.

Il mène également des recherches sur l’histoire des gauches européennes et l’histoire de la Résistance. Succédant à Serge Wolikow, il est actuellement directeur de la Maison des Sciences de l’Homme (MSH) de Dijon, depuis avril 2017. Par ailleurs, Jean Vigreux est le fils de l’historien Marcel Vigreux (1933-2001), professeur honoraire de l’université de Bourgogne (Dijon), qui commença son métier d’enseignant comme instituteur (1960) pour terminer sa carrière universitaire comme professeur d’histoire rurale, à Dijon.

Outre sa responsabilité actuelle en tant que directeur de la MSH de Dijon (depuis 2017), Jean Vigreux est également responsable du Master professionnel Archives des XXe et XXIe siècles européens : du papier au numérique de l’Université de Bourgogne (depuis 2013) ainsi que de l’axe 2 « Dynamiques et formes collectives » (avec Benoit Caritey, sociologie) au sein du Pôle 2 (« Mondes et pratiques populaires ») du Centre Georges Chevrier (UMR 7366).

Par ailleurs, il est responsable scientifique du Musée de la Résistance en Morvan (à Saint-Brisson, dans la Nièvre, 58), membre du conseil scientifique de la Fondation pour la mémoire de la Déportation (depuis 2020) et, enfin, président du Conseil scientifique du Parc naturel régional du Morvan (depuis 2014). De plus, il exerce des responsabilités éditoriales dont celles des publications du Musée de la Résistance en Morvan et la co-direction d’une collection « Histoire », aux Presses Universitaires de France (PUF), avec Johann Chapoutot et Arnaud Houte (depuis 2013).

À l’instar de son père, Jean Vigreux a été conseiller municipal, en l’occurrence dans la commune de Chenôve (21), de 2001 à 2020. De plus, outre sa dernière parution en 2020, parmi sa nombreuse bibliographie, nous pouvons retenir les ouvrages suivants :

  • Waldeck Rochet, une biographie politique, Paris, La Dispute, 2000, 377 p.
  • La Vigne du maréchal Pétain, Dijon, EUD, 2005.
  • Des Luttes et des hommes, Paris, Cultures et découvertes IHS, 2005.
  • Le Front populaire, Paris, PUF, 2011, coll. Que sais-je ?
  • La Faucille après le marteau. Le Communisme aux champs dans l’entre-deux-guerres, Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, 2012.
  • Le Clos du maréchal Pétain, Paris, PUF, 2012.
  • Croissance et contestations 1958-1981, Paris, Seuil, 2014 (tome 9 : Histoire de France).
  • Histoire du Front populaire. L’échappée belle, Paris, Tallandier, 2016
  • François Mitterrand, la Nièvre et le Morvan, Dijon, EUD, 2017.
  • Mai 68 en Bourgogne, Dijon, EUD, 2018.
  • Histoire de la France contemporaine. Tome 9, Croissance et contestations (1958-1981), Paris, Seuil, 2018 (réédition en poche Point Seuil).
  • Histoire du Front populaire. L’échappée belle, Paris, Texto, 2018 (réédition en poche).
  • Le Parti rouge. Une histoire du PCF 1920-2020, avec Roger Martelli et Serge Wolikow, Armand Colin, 2020.

Le Congrès de Tours (25 décembre–30 décembre 1920) de Jean Vigreux :  Centenaire du PCF oblige !

La commémoration du centenaire du Congrès de Tours a été l’occasion pour l’historien de publier son dernier ouvrage, en décembre 2020 : Jean Vigreux, Le Congrès de Tours : 25 décembre-30 décembre 1920, Dijon, Éditions Universitaires de Dijon (EUD), collection Essais, 2020, 240 p.

Répondant à un cahier des charges très précis (pas d’index, ni de chronologie, par exemple !), cet ouvrage de 270 pages comprend des remerciements (p. 5-6), une préface du professeur émérite d’histoire contemporaine (Université Rennes 2) et actuel président de la Société française d’histoire politique (SFHPo) Gilles Richard (p. 7-11), une introduction (p. 13- 24), quatre chapitres divisés en sous-chapitres (p. 25-130), une conclusion (p. 131-136), une riche bibliographie très actualisée (p. 137-144), des annexes au nombre d’une dizaine constituant un des points forts de l’ouvrage (p. 145-266) et, enfin, une table des matières (p. 267-268).

Après avoir présenté, dans l’introduction, le contexte historique du Congrès de Tours de décembre 1920, Jean Vigreux écrit « Dès lors, plusieurs interprétations ou mémoires contradictoires du congrès ont coexisté et ont pu perdurer jusqu’à nos jours, créant parfois des représentations qu’il faudra analyser au cours de cet ouvrage, sans oublier la riche historiographie sur le sujet avec la thèse pionnière d’Annie Kriegel soutenue et publiée en 1964 et l’ouvrage collectif aux Éditions sociales en 1980. Ces travaux revisités récemment par Romain Ducoulombier ont irrigué le champ de l’histoire du congrès de Tours […] » (p. 22-23).

Par la préface de Gilles Richard, nous apprenons qu’avec la publication de la thèse d’État d’Annie Kriegel (Aux origines du communisme français, 1914-1920, 2 tomes, Paris-La Haye, Mouton, 1964), l’hypothèse de « la greffe bolchevique » sur le socialisme français domina les débats de 1964 jusqu’à nos jours. Cependant, depuis les années 2000, les travaux les plus récents (dont ceux de Romain Ducoulombier, à partir de 2010, avec son Camarade ! La naissance du Parti communiste en France, Paris, Perrin, 2010), réhausse l’importance du contexte hexagonal dans l’apparition de la SFIC.

En effet, les expériences historiques du mouvement ouvrier français, le traumatisme que furent la Grande Guerre de 1914-1918 et l’expérience politique de l’Union sacrée ainsi que les graves échecs sur le plan politique (législatives de 1919) et sur le plan social (répression des grèves de 1919-1920), subis juste avant le congrès SFIO de décembre 1920, jouèrent un rôle déterminant dans la décision finale des militants en faveur de la IIIe Internationale communiste (IC).

Un congrès de la SFIO après le traumatisme de la Première Guerre mondiale

Dans le premier chapitre, intitulé « Un congrès de la SFIO après le traumatisme de la Première Guerre mondiale » (p. 25-50), articulé en 3 points, Jean Vigreux aborde les questions de « Comment régénérer le socialisme ? » (p. 31-41), d’« Une hybridation : entre nouveauté et héritage » (p. 42-44) et, enfin, « Des motions au vote des militants dans les fédérations » (p. 45-49).

D’abord, l’auteur plante le décor du contexte historique avant le congrès de Tours. La SFIO quitte l’Union sacrée, fin 1917. En novembre 1918, La France sort vainqueur de la Grande Guerre mais totalement exsangue (rationnements, privations et cherté de la vie). Interpellé par la révolution bolchevique en Russie, la SFIO subit une scission en 1919, à la marge du parti (une minorité d’élus ou cadres SFIO), sur sa droite fondant le PSF : des socialistes patriotes refusant la révolution russe de 1917.

Néanmoins, avec les grèves de 1919-1920, le mouvement ouvrier français renaît avec force avec la CGT (syndicat revendiquant 700 000 adhérents) et la SFIO (180 000 militants en 1920), dirigée par Ludovic-Oscar Frossard (depuis le congrès de Paris, d’octobre 1918). Mais, l’échec électoral de la SFIO, aux législatives de novembre 1919, remets en cause l’espérance des socialistes français dans le parlementarisme au profit d’un parti SFIO régénéré hésitant entre la tradition du syndicalisme révolutionnaire ou la prise du pouvoir par la révolution des Soviets… !

La dénomination du PS-SFIC (appellation des communistes français de décembre 1920 à mai 1921, soit du congrès-fondateur de Tours au congrès de Marseille) est bien le résultat d’« une hybridation : entre nouveauté et héritage », en un socialisme régénéré à la française.

Pour le 18e congrès de la SFIO, les militants ont le choix entre trois motions : la « motion Cachin-Frossard et du Comité de la IIIe Internationale» (C3I), favorable à l’adhésion à l’IC sans réserves ; la motion du « Comité de la Reconstruction », tenant de l’adhésion à la IIIe Internationale avec réserves, menée par Paul Faure et Jean Longuet (le petit-fils de Karl Marx) ; et, enfin, celle du rejet de l’adhésion à l’IC constituée du « Comité de Résistance Socialiste » avec Léon Blum et du groupe refusant de condamner le ralliement à l’Union Sacrée, autour de Paul Renaudel et Albert Thomas.

Les résultats des votes dans les fédérations départementales de la SFIO sont connus avant l’ouverture du 18e congrès, à Tours, le 25 décembre 1920, et ils sont sans appel : 74 des 96 fédérations ont voté leur adhésion sans réserve à l’IC ! Autrement dit, les enjeux du Congrès de Tours sont ailleurs : est-ce que les « Reconstructeurs » accepteraient un compromis avec les « Majoritaires » ou vont-ils se scinder en leur sein ? Quant au groupe du rejet de l’adhésion à l’IC, les « Résistants », vont-ils quitter la SFIO ?

Le congrès de Tours du côté des délégués et participants

Dans un deuxième chapitre, titré « Le congrès de Tours du côté des délégués et participants » (p. 51-82), divisé en 6 parties, Jean Vigreux traite successivement les sujets suivants : « Délégués et débats » (p. 54-61), « Les ferments de la scission ou de l’adhésion ? » (p. 61-64), « Défendre la « vieille maison » (p. 64-66), « Le coup de théâtre : la venue de Clara Zetkin » (p. 66-75), « Le quotidien des participants au congrès » (p. 75-80) et, enfin, « Les journalistes au congrès de Tours » (p. 80-82).

Le 18e congrès de la SFIO se déroule à Tours, pour des raisons de logistique (ville proche de Paris et bien desservie par le réseau ferré). Pendant cinq jours (25-30 décembre 1920), les 285 délégués du congrès sont porteurs de 4 575 mandats représentant les 178 732 adhérents de la SFIO, répartis en 89 fédérations sur les 96 fédérations métropolitaines et coloniales que compte le parti socialiste (7 sont manquantes à Tours). Sociologiquement, les délégués appartiennent en majorité aux professions libérales, à la fonction publique et à l’enseignement.

Pendant trois jours, les tractations vont bon train entre les « Majoritaires » (Cachin-Frossard) et les « Reconstructeurs » (Longuet) pour un projet de motion commune. Par conséquent, rien n’est joué avant la séance du matin du 28 décembre 1920, jour de la lecture du fameux « Télégramme Zinoviev », confirmant la position du Komintern depuis son 2e congrès de l’IC de juillet-août 1920 et la (longue) lettre de Clara Zetkin aux délégués du congrès !

Après quatre jours de débats (25-28 décembre 1920), les « Reconstructeurs » se divisent en deux : une partie rejoignent les « Majoritaires » favorables à l’IC et l’autre les « Reconstructeurs » voulant rester à la SFIO, autour de Jean Longuet. Sinon, la veille, lors de la séance de l’après-midi du lundi 27 décembre 1920, Léon Blum prend très longuement la parole en prononçant son expression restée fameuse de « garder la vieille maison » affiliée à la IIe Internationale, héritage de l’unification des gauches socialistes par Jean Jaurès, en 1905.

Le mardi 28 décembre 1920 est un moment de bascule ! En effet, après la séance du matin (lecture du télégramme Zinoviev et de la lettre de Clara Zetkin), la séance de l’après-midi est l’occasion d’un autre coup de théâtre avec la présence de Clara Zetkin au congrès de Tours. Cette dernière arrive à la salle du Manège, en fin d’après-midi, et fait un discours d’une vingtaine de minutes. Auparavant, Clara Zetkin réussit à organiser deux réunions : la première, le 27 décembre au soir et la seconde, le 28 décembre, au matin, où elle est chargée par Moscou de favoriser la rupture avec les tenants de la conciliation comme Jean Longuet.

Par ailleurs, les participants au congrès de Tours sont logés dans les différents hôtels de Tours, grâce à la cheville ouvrière de la fédération SFIO d’Indre-et-Loire : Victor Grossein (négociant en lingerie fine !). Ainsi, 340 personnes sont réparties sur plus de 25 hôtels (soit 198 près de la place de la gare de Tours et 142 près de la salle du Manège). Ces délégués se répartissent par courant politique ou par fédération. En revanche, les repas sont l’occasion d’échanges entre fractions adverses s’affrontant dans la salle du Manège !

Les journalistes (presse écrite, photographes et cinéma) sont également présents au congrès de Tours. En premier lieu, ceux accrédités par la SFIO (L’Humanité, Le Populaire) et le monde socialiste national voire international (La Pravda), sans oublier la presse parisienne à diffusion nationale (Le Gaulois, Le Petit Parisien, etc…). La couverture du congrès de Tours par la presse écrite est importante ainsi que par les photographes de l’agence Meurisse qui illustrent la plupart des articles de la presse présente à Tours. De plus, la fondation Albert Kahn envoie un reporter-photographe qui rapporte un film de 4 minutes 30, sur l’arrivée ou la sortie des délégués de la salle du Manège.

Le congrès de Tours dans l’histoire mondiale du mouvement ouvrier

Dans un troisième chapitre, ayant pour titre « Le congrès de Tours dans l’histoire mondiale du mouvement ouvrier » (p. 83-108), Jean Vigreux aborde les trois questions suivantes : « La fin du congrès : l’adhésion ou la scission » (p. 84-90), « Le poids des fédérations rurales ou des jeunes militants ? » (p. 90-94) et, enfin, « Décaler le regard, de Halle à Livourne en passant par Londres ou Saïgon : Tours dans l’histoire mondiale du mouvement ouvrier » (p. 94-107).

Le mercredi 29 décembre 1920, lors de la séance de nuit, deux votes cruciaux ont lieu : le premier concerne les motions en lice (les motions Cachin-Frossard + Heine-Leroy contre la motion Longuet sachant que la motion Blum est retirée au moment du vote) : le résultat est sans appel (70 % des mandats sont en faveur de l’IC contre 22 % en faveur du maintien de la SFIO et 8 % d’abstention). Le second vote porte sur le contenu du « télégramme Zinoviev » (motion Paul Mistral des « Reconstructeurs » contre la motion Daniel Renoult des « Majoritaires ») : là aussi, le résultat est net (3 247 mandats pour la motion Renoult contre 1 328 pour la motion Mistral, sans oublier 143 abstentions.

Dès lors, la séance de nuit est levée, à 2h45 du matin, le jeudi 30 décembre. La scission est consommée et la majorité des socialistes français renouent avec la tradition révolutionnaire du socialisme hexagonal, avec l’internationalisme prolétarien et le rejet du parlementarisme ainsi que de l’unité de la SFIO, si chère à Jean Jaurès. Le 30 décembre 1920, à 10h, les « Résistants » se réunissent dans le temple maçonnique de la loge du GODF de Tours et le reste des « Reconstructeurs » se retrouvent à l’Hôtel de ville de Tours. Les « Résistants » et les « Reconstructeurs » se rassemblent dans la salle du conseil de révision de l’Hôtel de ville de Tours, à 14h, pour continuer et clore le 18e congrès de la SFIO. Le journal Le Populaire restent aux mains de la SFIO tandis que L’Humanité de Jaurès tombent dans l’escarcelle de la SFIC.

Avec le point consacré au poids des fédérations rurales ou des jeunes militants, l’auteur apporte une contribution originale sur le plan historiographique et historique. En effet, Annie Kriegel insistait sur le fait que le vote communiste était paysan et jeune. Pour Jean Vigreux, cela reste à vérifier et il s’appuie sur les travaux d’Edouard Lynch (sur les liens entre la société paysanne française et le socialisme pendant l’entre-deux-guerres) et d’Yves Santamaria (sur le profil des anciens combattants délégués au congrès de Tours).

Au total, les délégués « majoritaires » sont en moyennes plus jeunes que les autres et davantage des ouvriers par rapport aux autres délégués des courants adverses (« Reconstructeurs » et « Résistants »). En fait, ce qui pèse le plus dans le vote des fédérations SFIO, ce sont les conséquences de la Première Guerre mondiale sur la société française, le réveil du mouvement social en 1919-1920 et surtout la répression brutale des gouvernements de Bloc national qui a peur de la propagation révolutionnaire en France.

Enfin, le Congrès de Tours de 1920 a lieu cinq mois après le 2e congrès de l’IC (juillet-août 1920). Ce dernier impose comme ultimatum aux différents partis socialistes du monde de choisir entre la IIIe Internationale (la victoire de la révolution bolchevique en Russie) et la IIe Internationale (le camp de la « trahison » ainsi que du parlementarisme et de la bourgeoisie), entre 1920 et 1921.

L’auteur de l’ouvrage brosse à grands traits la situation du socialisme européen : avec des communistes majoritaires en Allemagne (congrès de Halle d’octobre 1920) mais aussi des PC minoritaires comme en Italie (congrès de Livourne de janvier 1921), Grande-Bretagne, Autriche et dans les colonies de l’Empire français avec l’intervention du délégué d’Indochine (en l’occurrence, le futur Hô Chi Minh), durant l’après-midi du dimanche 26 décembre. Comme l’écrit Jean Vigreux « La majorité de Tours reste alors une exception dans le monde socialiste, donnant à la naissance du PCF et à la scission une originalité qui marque tout le siècle des gauches françaises. » (p. 107).

Les mémoires du congrès

Dans un quatrième et dernier chapitre, appelé « Les mémoire du congrès de Tours » (p. 109-130), articulé en trois sous-chapitres, Jean Vigreux dresse un tableau des mémoires du congrès de Tours et de leurs évolutions, entretenues parallèlement par les socialistes et les communistes français qui sont restés irréconciliables sur le fond depuis un siècle : « Construction et héritages mémoriels des « frères ennemis » (p. 110-119), « D’autres passeurs de mémoires » (p. 120-127) et, enfin, « Des anniversaires récents » (p. 127-130).

La construction et les héritages mémoriels des « frères ennemis » (SFIO puis PS contre PCF) est au moins aussi intéressante que le Congrès de Tours lui-même qui « […] est à lire à plusieurs échelles qui permettent peut-être de dépasser le débat « continuité / rupture » (p. 112) ainsi que « Les racines et les enjeux de la régénération offrent aussi des grilles de lecture des mémoires opposés » (p. 112).

Dans la mémoire communiste, le PCF se dote en 1950 d’un ouvrage de référence, écrit par Jean Fréville, La Nuit finit à Tours, ouvrage manichéen maintes fois réédité (1960, 1970), figeant pour la postérité communiste le décor, la doctrine ainsi que les acteurs incontournables du Congrès de Tours. Tout comme la communiste, la mémoire socialiste est aussi plurielle avec l’oubli, pour cause de dérive pétainiste, du secrétaire général de la SFIO de 1920 à 1944 Paul Faure au profit de Léon Blum avec la patrimonialisation de son discours sur la garde de la « vieille maison ».

Mais, d’autres passeurs de mémoires existent car le Congrès de Tours a fait l’objet de plusieurs mises en récit, grâce à la scénographie et la télévision. De 1983 à 2001, le château de Tours accueilli l’Historial de Touraine qui consacre sa scène 30 au Congrès de Tours avec des personnages en cire (Blum, Cachin, Frossard, Longuet et Sembat). La seconde mise en scène est une fiction diffusée aux « Dossiers de l’écran », sur Antenne 2, le 29 avril 1980, intitulée « le grand fossé, le schisme socialo-communiste », réalisé par le cinéaste Yves Ciampi et écrite par l’historien communiste critique Jean Elleinstein, à partir du sténo du Congrès de Tours.

Enfin, Jean Vigreux termine son ouvrage par « des anniversaires récents » tels que la semaine de réflexion sur le Congrès de Tours, organisée par le PCF, lors du 80e anniversaire de sa naissance, après le 30e congrès des communistes français, à Martigues (en mars 2000), signifiant sa tentative de mutation, voulue par Robert Hue. En 2010, pour le 90e anniversaire du Congrès de Tours, une pièce de théâtre a été créée à Lyon suivie d’un débat entre historiens et représentants locaux du PS et du PCF.

Et, pour l’année 2020, année du centenaire du Congrès de Tours, plusieurs initiatives ont lieu tant d’un point de vue scientifique et universitaire que mémoriel grâce à des expositions (PCF, Fondation Gabriel Péri, MHV de Montreuil) ou des colloques (enquête sur « le Congrès de Tours vu d’en bas » de la SFHPo, colloque du centenaire à Tours, etc…).

L’ouvrage de synthèse le plus récent sur le Congrès de Tours appelé à faire date ?

En guise de conclusion (p. 131-136), Jean Vigreux fait le point sur l’après-Congrès de Tours, durant l’entre-deux-guerres. En effet, la SFIO est à reconstruire car exsangue (50 000 adhérents et 68 fédérations sans oublier la perte du siège du parti, des archives, du journal L’Humanité, les avoirs…) mais elle conserve la majorité des parlementaires (55 députés sur les 68 issus des législatives de 1919), de nombreux élus locaux (maires ainsi que conseillers généraux et d’arrondissements) et de très solides réseaux dans les milieux laïcs et franc-maçons. La SFIC, quant à elle, dispose de 130 000 adhérents.

Au 1er janvier 1922, le PS-SFIC devient le PC-SFIC. Après la période du Front unique des années 1921-1922, la SFIC est soumise à la bolchevisation du parti par l’IC, dès l’été 1924. Ensuite, est décrétée par l’IC la désastreuse politique « classe contre classe » de 1929 à 1934 puis le PCF prend un nouveau tournant avec le Front populaire jusqu’à la signature du pacte germano-soviétique de 1939, le tout sous la férule de l’IC !

Les sources et la bibliographie (p. 137-144) font référence aux travaux les plus récents (plusieurs ouvrages et articles sont datés de 2020 !) des meilleurs spécialistes de la question et à une sitographie renvoyant aux sources indispensables. De plus, les annexes (p. 145-266), au nombre de onze, font presque autant de pages que le texte (près de 120 pages d’annexes !). Certaines de ces annexes reprennent le sténogramme du Congrès de Tours (annexe n° 4, n° 6 et n° 10) mais d’autres (comme les annexes n° 1, n° 2 et n° 3) sont les sténogrammes de l’IC et les annexes n° 7 et n° 8, la retranscription d’articles de journaux. Enfin, les annexes n° 5, n° 5 bis et n° 9 sont des tableaux issus des travaux de Jean Vigreux pour les deux premiers et de Jean Elleinstein pour l’autre.

Au total, le dernier ouvrage de Jean Vigreux, Le Congrès de Tours : 25 décembre-30 décembre 1920, Dijon, Éditions Universitaires de Dijon (EUD), collection Essais, 2020, 240 p., sorti le 3 décembre dernier (en format poche et à un prix modique !), est la synthèse la plus récente sur cet évènement, assortie d’annexes parfois totalement inédites (tableaux n° 5 et 5 bis). Cet essai fait le point sur le demi-siècle de travaux historiques consacrés à la question et à l’évolution mémorielle du Congrès de Tours dans les rangs partisans et dans l’historiographie.

Ce livre s’adresse en tout point aux étudiants ainsi qu’aux enseignants sans oublier les passionnés d’histoires et les militants. Cet ouvrage sur le Congrès de Tours sera peut-être appelé à faire date, en espérant qu’il sera réédité après le séminaire sur l’enquête de la SFHPo sur « Le Congrès de Tours vu d’en bas » qui apportera probablement de nouveaux acquis sur le plan local. En attendant ce jour, une chronologie serait quand même la bienvenue, à la fois sur le Congrès de Tours, mais aussi en amont (1919-1920) et en aval (1920-1939), pour bien réalisé ce que fut le Congrès de Tours dans l’histoire du socialisme français et celui du socialisme mondial.

© Les Clionautes (Jean-François Bérel pour La Cliothèque)