Ancien grand reporter et ex-directeur adjoint du quotidien « Le Monde », Laurent Greilsamer a dernièrement confectionné un Dictionnaire Michelet, paru aux éditions Perrin. Pour proposer à tous le meilleur de l’immense œuvre de Jules Michelet (1798-1874) et pour donner envie de lire et de relire le grand historien français, le journaliste a puisé les idées phares de Jules Michelet dans son Histoire de France, dans son Histoire de la Révolution française ainsi que dans toutes ses autres publications.

En ces temps d’incertitude morale, politique, économique et sociale, l’entreprise de Laurent Greilsamer est à bien des égards salutaire. Ainsi que le journaliste l’affirme d’emblée, Jules Michelet est en effet « l’un des grands géants littéraires et politiques du XIXe siècle ; parce qu’il a, le premier, écrit un récit national complet et forgé la notion de peuple ; parce que cet historien, dans sa monumentale Histoire de France, a mis en place le socle idéologique de notre République ».

En s’efforçant de saisir notre histoire, Jules Michelet aurait d’une certaine manière offert « la clé du mystère français ». L’historien était, comme Victor Hugo, « un ogre, un géant boulimique » : après s’être essayé à la philosophie durant sa jeunesse, Michelet reconnut plus tard à la géographie ses lettres de noblesse. Ensuite, il se mit en outre aux arts plastiques, à la poésie et aux grands cycles romanesques. Ne se focalisant donc pas sur un seul et unique champ disciplinaire, Jules Michelet inventa une « histoire totale, gorgée de jus et de sève ».

Mêlant harmonieusement démographie, politique, religion et sociologie, sans oublier sa rigueur à l’allemande, l’historien était somme toute un pionnier. Sa méthode contrastait avec celle de ses devanciers. Rien ne lui échappait de la matière « multiple, ample et terrible » qu’est l’histoire. Ce faisant, il n’hésitait pas à remettre en cause les poncifs et les idées reçues. « Michelet ne s’inclinait que devant les faits ». Au final, il s’agissait de faire en sorte que l’enchaînement des évènements, bref l’histoire, puisse faire sens. Sous sa plume, l’histoire devient donc une véritable « résurrection ».

Cet abécédaire est particulièrement intéressant dans la mesure où il permet de retrouver les grandes idées naguère développées par Jules Michelet sur des thèmes extrêmement divers, tels que notamment le centralisme, Jeanne d’Arc, Paris, la patrie, le peuple, la nation, Danton, Robespierre, Marat, Saint-Just, le Comité de Salut Public, les Jacobins, les Girondins, etc. Bref, toute l’histoire de France est passée en revue par le biais de notions générales, puis par le truchement des grandes figures de l’histoire de France. L’ouvrage comporte plus de 1.000 entrées. Autant dire que le panorama brossé par Laurent Greilsamer est très complet.

Les références bibliographiques sont par ailleurs mentionnées avec une très grande précision par le journaliste. Ainsi tout un chacun pourra découvrir la quintessence de la pensée de Michelet sur certains concepts bien précis ainsi que sur certaines figures historiques majeures, puis approfondir ses recherches à l’aide des renvois prévus par le journaliste du « Monde ». Le lecteur désireux d’aller plus loin pourra ainsi se plonger directement dans l’œuvre de Jules Michelet et donc retrouver sa pensée in extenso.

S’agissant de la Révolution française, comme le relève Laurent Greilsamer, Jules Michelet la définissait comme « la réaction de l’équité, l’avènement tardif de la justice éternelle ». Il la tenait pour « grande » et « infinie ». Si cet épisode majeur de l’histoire de France découlait notamment de la pensée des Lumières, telle que Voltaire, puis Rousseau notamment l’avaient façonnées, la Révolution française « continuait le christianisme, et elle le contredisait. Elle en était à la fois l’héritière et l’adversaire. (…) La Révolution fondait la fraternité sur l’amour de l’homme pour l’homme, sur le devoir mutuel, sur le Droit et la Justice ».

A propos des Jacobins, Jules Michelet écrivit notamment qu’ils n’étaient « pas la Révolution », mais plutôt « l’œil de la Révolution, l’œil pour surveiller, la voix pour accuser, le bras pour frapper. Le club des Jacobins ne pouvait se borner longtemps à être une officine de lois, un laboratoire pour les préparer. Il devint de bonne heure un grand comité de police révolutionnaire ». « Dévotement », les Jacobins écoutaient les sermons de Robespierre. Du fait de leur « esprit-prêtre », les Jacobins réprimèrent certes les ennemis de la Révolution, mais pour Michelet ils contribuèrent cependant à les multiplier. La Gironde, quant à elle, eut « le défaut tout contraire, défaut grave en révolution, (…) la tolérance ».

Le lecteur appréciera en outre les portraits croisés de Danton et Robespierre. Ceux-ci étaient en effet « les deux pôles électriques de la Révolution, positif et négatif ; ils en constituaient l’équilibre. Dans sa haine du mal et du crime, Robespierre alla jusqu’à tuer ses ennemis, qu’il crût ceux du bien public. Et Danton, dans l’indulgence, dans l’impuissance de haïr qui était en lui, voulant sauver tout le monde (s’il eût pu Robespierre même ; ce mort fort est de Garat), Danton eût amnistié non seulement ses ennemis, mais peut-être ceux de la liberté. Il n’était pas assez pur pour haïr le mal ».

Une savoureuse introduction à la pensée de Jules Michelet !

Espérons que des dictionnaires de ce type consacrés à la pensée d’autres auteurs majeurs puissent voir le jour !

Jean-Paul Fourmont