CR par Yveline Candas

A l’heure où manger est largement envisagé sous un angle nutritionnel, «médical », ou fonctionnel certains trouvent bon, et M. Gelinet semble leur appartenir, de rappeler que c’est un fait de sociabilité, une source de plaisirs et il nous invite dans son dernier livre, à parcourir 2000 ans d’histoire gourmande.
Le titre du livre (mais aussi d’ailleurs la façon dont le thème est traité tant dans le fond que dans la forme) évoque l’émission que Patrice Gelinet, l’auteur, ancien professeur d’histoire géographie, anime quotidiennement sur France Inter, depuis maintenant une dizaine d’années avec succès puisqu’elle compte parmi les émissions les plus podcastées aujourd’hui. Il ne manquera pas non plus de rappeler à ses lecteurs, le titre de ces deux ouvrages précédents: Ephéméris: 1000 ans d’histoire au jour le jour (Arphipel, 2006) et Ephéméris: 2000 ans d’histoire en 365 jours (Arphipel, 2007).

Ce livre est divisé de onze chapitres thématiques qui sont autant de «zooms» sur un des aspects de la table dans toute la diversité que ce terme peut recouvrir : produits (« Sur la route des épices », « Thé, café ou chocolat ? », « La fabuleuse histoire du champagne » …) , lieux et arts de la table ou des pratiques qui y sont liées (« A table ! », « Des doigts à la fourchette », « Vous avez dit restaurant ? ») et personnages qui y voué leur vie (« Les poires de M. La Quintinie »,« La pomme de terre de M. Parmentier », …). Il s’agit donc pas ni d’ histoire de l’alimentation, ni d’ histoire de la gastronomie , ni d’ histoire de la gourmandise… Même, si cela n’est pas précisé cette histoire gourmande est essentiellement européenne et française.

Sur la route des épices

Chacun des thèmes est abordé chronologiquement , depuis ses origines jusqu’à nos jours, en une vingtaine de pages, l’auteur n’a pu que choisir d’insister sur celles qui lui ont semblé essentielles. Il est, illustré de multiples anecdotes, citations de contemporains puisées dans des sources diverses mais surtout littéraires ( Mme de Sévigné, Voltaire, Zola… et/ ou d’auteurs de livres traitant spécifiquement le sujet (pour exemple: B Bourny Romagné, des épices aux parfums ; B Laurioux, Manger au Moyen Age; F Woutaz, La véritable histoire du Champagne). Chacun des thèmes est aussi traité comme un sujet à part entière, distinctement ; on peut donc considérer ce livre comme un recueil , et donc le lire épisodiquement, au gré de ses envies. C’est d’ailleurs, peut-être ainsi qu’il a été pensé car la lecture de l’ensemble ne permet pas au lecteur d’échapper à la répétition de certaines phrases dans des chapitres différents. Des redites ou l’impression de redite sont aussi présentes au sein de certains chapitres, du fait de la démarche chronologique choisie par l’auteur quant à l’affirmation du goût pour tel ou tel produit notamment.

Le contenu de la plupart des thèmes dans le cadre d’une «histoire gourmande» peut surprendre tant ce qui peut apparaître comme des a- parte, des digressions occupe une place importante . Le fait est replacé dans un contexte historique socio-économique très vaste, d’autres champs d’horizon s’ouvrent.
Penchons nous par exemple sur « La fabuleuse histoire du champagne » (p 167-193). P. Gelinet raconte l’histoire de l’introduction de la vigne en France et en Champagne; la notoriété, dès le Moyen- Age, des vins de Champagne, avant la gazéification ; la découverte du procédé; le succès du vin pétillant qui ne se dément pas malgré les péripéties , au fil du temps . Il y évoque, par exemple , rien que pour « le tournant du siècle XIX-XXéme: les diverses crises que connaît le vignoble au début du siècle, les troubles qui secouent la région, l’organisation des vignerons en syndicat(s) chargé(s) de défendre leurs intérêts, le produit, et parvenant à l’obtention de l’ancêtre « l’AOC »…Le sel n’est pas seulement présenté comme produit alimentaire ou comme conservateur, le chapitre est d’ailleurs intitulé « L’or blanc des rois ».

Du sel au champagne

La gabelle, sa répartition, sa collecte, les émeutes qu’elle engendre, notamment celle des va- nu pieds, la contrebande et sa sévère répression… se taillent donc la part du lion. « Le suicide de Vatel »? Il apporte un éclairage très intéressant sur la lourde charge de maître d’hôtel. Vatel a occupé cette fonction auprès de Fouchet; donc la réussite de son maître, le faste de Vaux le Vicomte, de ses réceptions et de sa table , ainsi que la jalousie du roi … tout y est ! Les épices sont largement présentées comme un enjeu commercial, économique; par conséquent la rivalité entre les diverses puissances européennes pour contrôler leur commerce, le rôle des épices dans les grandes découvertes …sont évoqués. Le cacao, qui partage le chapitre avec le thé et le café, lui est abordé , à partir de la fin du XVIIIeme siècle, succinctement (deux pages: 164 et 165), comme une matière première intégrée dans le processus des innovations techniques et des techniques de production des Révolutions Industrielles. Quelques professeurs (audacieux ?) trouveront, peut-être, ici une façon alléchante d’aborder le sujet…
Les exemples de ce qui peut surprendre dans ces « 2000 ans histoire gourmande » pourraient être multipliés à l’infini.

Au total, le livre a les défauts de ses qualités. Le ton de l’auteur et la présence de nombreuses anecdotes peuvent-être appréciés par certains lecteurs car cela donne à l’ensemble un caractère agréable, vivant, distrayant, enrichissant… Mais d’autres lecteurs le déploreront car ils y verront une histoire trop anecdotique, trop journalistique. La diversité des champs visités par ces « 2000 ans d’histoire gourmande », le cocktail original qui nous est proposé ici par P. Gelinet, que laisse déjà entrevoir la lecture de la présentation des chapitres (table, page 256), peut s’avérer au final frustrant pour celui qui s’attend à tenir là un livre axé sur histoire des goûts, des mentalités et/ ou de la sociabilité…à une histoire de la table et de son univers plus stricto-sensu.
On peut regretter, même si cela est presque inévitable dans cette collection, l’absence d’illustration mais surtout on ne peut pas omettre de souligner l’absence d’une bibliographie rappelant les ouvrages cités dans les divers chapitres, d’autant que ces derniers ne sont que rarement mis en pas de page, et que l’auteur ne précise pas toujours la provenance de ses citations.

Yveline Candas