« Cet ouvrage propose une plongée dans la ville-mode qu’est alors Paris, autour d’un lieu en pleine expansion : le restaurant ». David Michon est docteur en histoire contemporaine ; il travaille sur les patrimoines littéraire et gastronomique du XIXème siècle à nos jours.
Le restaurant, un poste d’observation
L’auteur choisit un restaurant certes fictif, Chez Gustave, mais cela permet d’aborder de nombreux aspects : les classes sociales, les cuisines régionales, l’approvisionnement. Paris c’est alors plus d’un million d’habitants qu’il faut nourrir. On pense aux Halles évidemment. Le restaurant c’est un espace de liberté que David Michon envisage à partir de nombreuses sources. Comme l’auteur nous y invite, « poussons les portes de Chez Gustave, affrontons le brouhaha du restaurant et prenons place au sein de cette société nouvelle du Second Empire ».
Paris s’éveille
Pour rendre le récit vivant, on suit le chef du restaurant, Auguste Sangouard. L’auteur livre quelques éléments pour mettre dans l’ambiance : près de 50 000 chevaux peuplent la capitale. Les grands magasins se développent avec le Bon marché ou le Printemps. Les travaux d’Haussmann transforment Paris et les Halles constituent un des coeurs de la cité. Paris est aussi constitué de multiples kiosques à journaux mais aussi d’urinoirs publics.
Service gagnant
Au XIXème siècle, le service « à la russe » remplace le service à la française. Celui-ci se fonde sur l’enchainement des plats. Les grosses pièces sont désormais découpées en cuisine. Surtout ce service « substitue la succession au foisonnement, modifie le rythme ». La cuisine parisienne est une cuisine des régions et c’est cette synthèse qui forge peu à peu l’identité culinaire française. Avec le restaurant, on voit apparaitre l’idée du client qui vient pour davantage que simplement manger. Dans les grands restaurants, la figure du sommelier s’impose.
Et dans l’assiette ?
L’auteur décrit aussi les conditions matérielles avec la question de la cuisson, que ce soit avec des fourneaux ou du gaz. Quelques points peuvent étonner aujourd’hui comme le fait que sur la carte les prix ne sont pas fixes. C’est aussi le moment où l’écart se creuse entre une cuisine du quotidien et une d’exception. Le Bourgogne règne en maître, le Bordeaux se codifie et une large place est occupée par des vins étrangers.
La naissance du déjeuner
Le repas du midi est propice au traitement des affaires courantes. Au déjeuner la clientèle est bourgeoise alors que le soir est réservé au grand monde. Les fruits sont encore rares tandis que la mode est aux gâteaux imposants et que le baba fait fureur. Le chocolat s’industrialise. En parallèle se développe une littérature gastronomique qui signe le triomphe de la gastronomie française.
La consécration de l’art culinaire
Le développement de la vie nocturne fait évoluer les horaires de repas. Le restaurant devient une véritable scène de théâtre avec ses codes vestimentaires : le soir est l’occasion de montrer voire d’étaler les tenues. Comme le dit l’auteur c’est « une scène ouverte, un espace pour la vie publique ». On voit aussi la consommation d’alcool se développer avec, par exemple, la fée verte fabriquée à Pontarlier. Le repas se termine véritablement avec les cigares. Il n’est pas inhabituel que le restaurant ferme à deux heures du matin.
Le livre de David Michon permet de « découvrir toute une société et une gastronomie au coeur d’une des grandes villes de plaisir ». Le restaurant est un lieu de prestige qui apparait au moment où la notion de temps libre se développe pour certaines catégories sociales favorisées. Ce dispositif structuré autour d’une journée participe du plaisir de lecture de ce livre très réussi.