Aurélien Delpirou est maitre de conférences à l’Ecole d’urbanisme de Paris et est actuellement détaché au Secrétariat général du Club Ville aménagement. Frédéric Gilli est professeur à l’école urbaine de Sciences Po et cofondateur de la revue metropolitiques.eu

Débattre de la situation de la France mais à partir de faits établis. Tel pourrait se résumer le projet des deux auteurs. Comme ils le disent dans l’introduction, il ne s’agit pas de trancher mais de mettre à disposition des éléments pour se faire sa propre opinion. C’est une approche pluridisciplinaire qui insiste également sur la nécessité de contextualiser. Le ton est bien résumé dans l’introduction générale qui prend chaque entrée à suivre formulée sous forme d’une question et qui ajoute à chaque fois : «  c’est une vraie question… Mais c’est un faux débat si… » 

Une approche autour de cinq thèmes

L’ouvrage propose cinq entrées avec un certain nombre de chapitres à l’intérieur à chaque fois. Dans une fiche on trouve un texte sur la partie gauche et des cartes, graphiques sur la partie droite. Un texte introduit chaque partie et une entrée « le regard de … » conclut chacune. On peut signaler aussi quelques encadrés avec des citations de géographes. Un index thématique est fourni en fin d’ouvrage car le livre n’aborde pas de façon classique par exemple la mondialisation sous forme d’une fiche spécifique. 

La France est-elle en déclin ? 

La question est posée clairement. Maintenant restent à examiner les faits avant de juger. La France représentera 2 % du PIB mondial en 2050 contre 3 % aujourd’hui mais on ne peut tirer de ce chiffre l’idée d’une effondrement. La France est un pays riche dans un monde en transition. Des affaires comme la non vente de sous-marins à l’Australie ont montré les limites de la puissance mais en même temps on peut signaler un fort rayonnement culturel qui se renouvelle. Le français est la 5 ème langue dans le monde et le pays brille dans le marché des jeux vidéo. En revanche, la France n’a pas su tirer son épingle du jeu dans la course au vaccin contre la Covid. Le pays demeure pourtant aussi le 5 ème exportateur mondial. Le pays n’est pas perçu comme un tremplin pour les jeunes diplômés. Les auteurs écrivent un autre fait qui frappe : « dans dix ans l’âge médian des Chinois sera plus élevé que celui des Français » : ce n’est pas forcément ce qu’on pourrait penser de prime abord. 

Au niveau de l’emploi on constate une géographie très différenciée sur le territoire. Entre 1990 et 2015, la moitié de la population perçoit 25 % de la richesse nationale. Malgré certains discours, il faut redire que même les Français les plus pauvres comptent parmi les habitants les plus favorisés de la planète. Le chapitre se termine en soulignant que les Français entretiennent un rapport contrarié à l’avenir. Le regard de Sylvain Kahn porte sur le fait que le France s’européanise à l’exception de sa vie politique et institutionnelle. 

C’était mieux avant ? 

Sur ce sujet encore plus que sur d’autres sans doute les faits sont indispensables. On vit plus longtemps en meilleure santé et pourtant les angoisses prospèrent faisant mythifier un bel autrefois supposé. Certes, les progrès sont inégaux selon les territoires. Aujourd’hui il y a 17 millions de retraités, soit 25 % de la population, contre 2 millions, soit alors 5 %, en 1960. L’espérance de vie est supérieure de quatre ans à celle de la moyenne de l’UE. 

Le paysage économique change puisque l’industrie qui représentait 23 % du PIB en 1980 n’en représente plus que 13 % aujourd’hui. Cependant, elle reste vivace dans certains secteurs. Une autre réalité est qu’un étudiant sur deux doit travailler pour financer ses études. En 1983, 80 % des diplômés à bac + 2 étaient cadres au sortir de leurs études contre 50 % aujourd’hui. Cela peut entrainer un risque de déconsidération symbolique de la valeur des diplômes. 

Pour les femmes, la longue marche vers l’égalité continue. Cependant aujourd’hui 12 % seulement des chefs d’entreprises sont des cheffes et 20 % des maires sont des femmes. 

L’Ile de France cristallise les problèmes de logement avec des prix trois fois plus élevés qu’ailleurs dans le pays. 

La société française s’est-elle transformée en archipel de communautés ? 

Le livre revient sur le sentiment que le «  voisin est toujours plus privilégié que soi et qu’il n’ y a plus de socle commun dans la société ». La France est un pays mélangé depuis plus d’un siècle et elle est loin de constituer un archipel de communautés. Il faut rappeler que la France est un des pays au monde où la distribution des revenus est la moins inégalitaire. Un des paradoxes est que les modes de vie ont tendance à s’homogénéiser et pourtant huit personnes sur dix considèrent que les inégalités se sont accrues. 

La mobilité 

Les Français consacrent 10h30 par semaine à se déplacer soit 22 jours par an. L’hypermobilité actuelle pose des problèmes se soutenabilité environnementale. Les auteurs insistent pour dire qu’il y a un mythe de la France périphérique et, pour eux, les différenciations s’inscrivent à des échelles très fines. Le livre développe ensuite un autre paradoxe français : alors que le pays est un des pays les moins religieux au monde il est un des plus attachés à la laïcité. A propos de la vitalité du pays on peut relever que 40 % des Français sont membres d’une ou plusieurs associations et que le nombre de festivals a été multiplié par dix pour atteindre le chiffre de 6 000 aujourd’hui.

La politique ne peut plus rien ? 

Le livre rappelle d’abord les chiffres de l’abstention et s’interroge sur l’école républicaine. Les auteurs questionnent l’idée d’une France à plusieurs vitesses en soulignant qu’en 2019, banlieues et campagnes confondues, un Français sur quatre a refusé une offre d’emploi ou une formation car il n’avait pas de moyens de s’y rendre. Aujourd’hui, plus de 12 000 communes sont dépourvues de généralistes. L’accessibilité à une maternité est jugée critique dans onze départements. La question des déserts médicaux est un défi majeur pour demain alors que le pays reste un modèle de protection financière des malades. Le livre propose un visuel très efficace pour mesurer le mille feuilles territorial à travers la journée d’une famille. Les auteurs donnent enfin des chiffres sur la fraude en France en soulignant que la fraude au RSA concerne 3 % des allocataires ce qui induit des sommes bien inférieures à la fraude fiscale. 

No future ? 

Cette partie dessine un certain nombre de questions pour demain. Le livre revient sur le coût de l’adhésion de la France à l’Union européenne. La France est actuellement le deuxième contributeur mais aussi le deuxième bénéficiaire derrière la Pologne. Un des défis majeurs est le défi énergétique avec la place du nucléaire. Le pays est le sixième producteur mondial agricole soit l’équivalent de la Russie qui dispose pourtant d’une superficie agricole utile sept fois plus grande. La taille moyenne des exploitations françaises a été multipliée par quatre depuis 1980 mais aujourd’hui ce modèle doit être pour le moins interrogé. L’ouvrage évoque enfin d’autres questions qui se posent à la société : le télétravail, le développement des métiers du care ou encore l’ubérisation qui progresse. 

C’est donc un ouvrage politique dans le premier sens du terme qui vise à donner des éléments sûrs pour aider à penser. Il peut permettre au lecteur de se rendre compte que sur tel ou tel aspect il n’a pas les bons éléments. La structuration autour de cinq questions, dont certaines occupent le débat de la présidentielle, est utile et intéressante. 

Jean-Pierre Costille