30 octobre 1938, sur les ondes de la radio américaine CBS : «  Nous savons maintenant que dans les premières années du vingtième siècle, ce monde a été observé par des services secrets plus puissants que ceux des hommes, quoique aussi mortels qu’eux.

Nous savons maintenant que comme êtres humains ils ont été étudiés dans leurs différentes occupations, ils ont été scrutés et observés, d’aussi près sans doute que lorsqu’un homme étudie au microscope les créatures éphémères qui croissent et se multiplient dans une goutte d’eau ».
Ces propos inquiétants, loin d’annoncer l’invasion imminente de la planète par des Martiens, sont en réalité extraits de la pièce radiophonique d’Orson Welles et adapté du roman d’H.G. Wells La guerre des mondes.
Beaucoup d’entre nous connaissent cette histoire d’une population américaine paniquée en cette soirée du 30 octobre 1938 devant les informations distillées par CBS. S’il semblerait que cette panique fut largement exagérée du fait du faible audimat et de la précaution oratoire du jeune dramaturge annonçant que l’émission à venir était une fiction, le mythe autour de cet événement perdure, pourquoi ?
En effet le 31 octobre 1938, de nombreux journaux américains comme le New York Times ou le Daily News, mettent en avant des titres chocs, annonçant des scènes de terreur sur l’ensemble du territoire des États Unis. Les travaux historiques ont démontré depuis la fausseté de ces informations. Il est néanmoins intéressant de comprendre pourquoi des organismes de presse ont relayé ces « fake news », terme décidément trop ancré dans notre actualité depuis quelques années. Dans un contexte de délitement de la presse américaine depuis la crise de 1929, cette dernière voit d’un mauvais œil l’émergence d’un média concurrent grignotant des parts de marché et donc des recettes publicitaires : la radio. Elle trouve donc dans cette pièce radiodiffusée le moyen de s’attaquer à ce nouveau média en le discréditant et en dénonçant son caractère dangereux et irresponsable. Cependant ni CBS, ni Orson Welles ne seront réprimandés par les autorités en la matière, la FCC (Commission Fédérale des Communications) même si les chaînes de radio s’engagent à ne plus utiliser le format « flash spécial » pour des émissions fictives.
Si le parallèle avec notre société actuelle et les débats autour de la diffusion d’informations via les réseaux sociaux est évident, cela n’est pas le sujet principal du roman graphique A Fake Story, basé sur le roman de l’auteur américain Douglas Burroughs.
Jean-Denis Pendanx et Laurent Glandon relatent l’enquête de l’ex-journaliste Douglas Burroughs. Ce dernier est mandaté par CBS après que la radio ait eu connaissance d’un meurtre intrafamilial qui serait lié à son émission de radio. Un père de famille, pris de panique devant l’invasion extra-terrestre, aurait tenté de tuer sa femme et son fils avant de se donner la mort. Quelle mauvaise publicité pour ce nouveau média si cela se révélait exact !
Nous voilà donc embarqués dans une petite ville américaine, les dessins de Jean-Denis Pendanx transmettant bien l’atmosphère de ces années 30, sur fond de ségrégation raciale, de préjugés et de puritanisme. Plusieurs enquêtes s’entremêlent alors, celle rigoureuse de l’ex-journaliste s’appuyant sur les faits et leur confrontation, celle d’une jeune collègue prise dans la course au scoop avec tous les pièges que cela comporte, celle vaguement dilettante des autorités locales. La question posée par le polar, au-delà de la résolution de ce crime, est celle de la recherche de la vérité et des moyens mis en œuvre.
Le lecteur historien retrouvera bien évidemment des questionnements propres à son travail, l’enseignant pourra nourrir sa réflexion autour de la diffusion de l’information, sans le recul et le croisement des sources nécessaires.
Si Orson Welles n’a pas « terrorisé » l’Amérique, A Fake Story met en avant des questions qui ne cessent de nous hanter : comment exercer son esprit critique dans un monde où la désinformation est parfois difficile à appréhender ? La presse américaine de l’époque, lancée dans une guerre pour la captation du public, n’a pas démontré le meilleur d’elle-même. Cela nous renvoie bien évidemment à nos médias actuels dont les pratiques parfois ne brillent pas par davantage de déontologie pour des questions d’audimat.
Un polar à l’atmosphère angoissant, ouvrant une réflexion à tiroirs multiples. Entre le passé et le présent, le combat autour de l’information reste toujours autant d’actualité