Ludovic Tournès, dans un livre stimulant, « Américanisation – Une histoire mondiale (XVIIIe-XXIe siècle) » s’interroge sur la façon dont les Etats-Unis – nés seulement au XVIIIe – ont pris une telle importance à l’échelle de la planète.

Pour lui, et c’est novateur, il envisage cette américanisation comme un tout. Et il y voit un projet de construction d’une nation nouvelle, considérée comme un phare pour l’humanité, jusqu’à l’échec de ce projet au début du XXIeCf. Anaïs Kien, dans « Le journal de l’histoire » sur France-Culture :https://www.franceculture.fr/emissions/le-journal-de-lhistoire/lamericanisation-na-pas-eu-lieu-pour-en-finir-avec-une-obsession-historique.

Ludovic Tournès est professeur à l’université de Genève et spécialiste de la culture américaine. Après une thèse de doctorat portant sur la réception du jazz en France, il s’est intéressé à l’histoire de la politique internationale des grandes fondations philanthropiques américaines (Carnegie, Rockefeller, Ford), tout en poursuivant sa réflexion sur les circulations artistiques internationales à travers un travail sur l’industrie du disque et ses mutations depuis la fin du XIXe siècle jusqu’à nos jours.

Il a été deux fois lauréat du programme Fulbright (2001, New York University ; 2008, Columbia University), effectué de nombreux séjours de recherche aux Etats-Unis et publié sept ouvrages (personnels et direction d’ouvrages collectifs) ainsi que de nombreux articles. Il est membre du comité de rédaction des revues Monde(s) et French cultural studies.

Coïncidence troublante ? Le compte-rendu de ce livre a eu lieu pendant la fin de la campagne électorale présidentielle en janvier 2020, quand le monde entier a assisté médusé à la marche des partisans de Trump sur le Capitole…

Américanisation du monde ?

Entendons-nous bien. Ludovic Tournès a peu de chance de convaincre le grand public du bien-fondé de sa thèse. Chacun en effet trouvera un argument imparable à lui opposer comme preuve d’américanisation, en particulier pour la FrancePremière occurence connue : Beaudelaire, qui fustige dans son « Exposition universelle 1855 » l’homme de la rue américanisé….

Culture, médias, pouvoirs : États-Unis et Europe occidentale (1945-1991) (Spécial concours – commentaires de documents)

Parlement(s), Revue d’histoire politique, 2019-1, N° 29. Revue publiée par le Comité d’histoire parlementaire et politique & les Presses Universitaires de Rennes / 290 pages / 25 €

Pourtant il est bien question d’autre chose. L’américanisation, avant de concerner la planète, concerne avant tout les immigrants qui virent dans ce Nouveau Monde le lieu de leur renaissance. Or ce monde entendait bien faire d’eux des « Américains » dès sa fondation en tant qu’Etat….

C’est pourquoi cette thèse conduit l’auteur à opérer trois déplacements conceptuels, qu’il enrichit d’abondants exemples.

Recontextualiser une expression galvaudée 

Repartir de 1776

L’auteur montre avec conviction que ce mouvement est intimement lié à l’identité nationale américaine. Ce n’est donc pas un projet récent et circonstanciel. Car si le XXe siècle a marqué une montée en puissance du phénomène, ce projet remonte clairement au début de l’installation des Etats-Unis, à la fin du XVIIIe siècle. A ce propos, le chapitre sur la conquête de l’Ouest et ses mythologies est riche d’enseignements.

Envisager des échelles multiples

Le déplacement dans l’espace est annoncé par le sous-titre : l’américanisation est un processus qu’il faut aborder selon de multiples angles et territoires. Ainsi, la Rhapsody in Blue, de George Gerschwin et jouée à la clarinette par Benny Goodman mélange les influences européennes et noir-américaines à travers le mariage de la musique classique et du jazz. 

Par ailleurs, les nombreuses études déjà effectuées sur ce sujet se placent plutôt dans une perspective « bi-latérale » ou nationale, comme si chaque pays étudiait son rapport aux Etats-Unis de façon personnelle. L’intention de l’historien sera donc ici d’en restituer l’aspect global.

Il ne s’agira pas non plus de « dépolitiser » le sujet en mettant sur le même plan l’importance et la continuité des échanges culturels et le rôle dominant du soft power américain, mais d’en restituer la richesse par une irrigation réciproque.

Prendre en compte une dynamique double

Enfin, la dynamique de l’américanisation est double. Car l’assimilation des populations immigrantes aux États-Unis et la transformation du monde en États-Unis ne peuvent être dissociés, car fonctionnant ensemble et sous une même logique.

Phénomène global, complexe, au long cours, que l’auteur tente de cerner à travers des objets aussi divers que le jazz, la diffusion du basket-ball par le mouvement YMCA ou celle de la démocratie…

CULTURE, MÉDIAS, POUVOIRS – 1945-1991, Élisa Capdevila,

La documentation photographique – CNRS éditions 9,90 € N° 8128

Un projet fondateur ayant réussi ?

Ce projet a-t-il réussi ? L’américanisation du monde vit-elle ses derniers jours ? C’est la question que pose ce livre stimulant qui nous conduit à revisiter des lieux que l’on pensait combmuns.

L’antiaméricanisme, conséquence de l’américanisation du monde ?

il est indéniable que la montée en puissance des Etats-Unis à travers sa propension à inonder le monde avec les produits de ses industries et de sa culture a joué. Mais cette stratégie géopolitique avérée et assumée clairement ne doit pas cacher l’instrumentalisation qui en faite par certains pays pour la rendre responsable de leurs problèmes internes…

L’identité américaine

L’auteur reprend pour les Etats-Unis les notions « d’identité-racine » et « d’identité-relation » que l’écrivain Edouard Glissant utilise pour les peuples de la Caraïbe : l’élimination des populations autochtones, remplacées par des populations d’origines diverses, mais aussi l’attachement à un territoire, fondement du nationalisme, et la circulation et le mélange de ces identités multiples.

Atlas historique des Etats-Unis
Lauric Henneton, Editions Autrement, 2019, 96 pages, 24 euros.

A l’heure où l’on s’interroge avec perplexité sur ce que sont les partisans les plus fidèles de Donald Trump, il n’est pas intéressant de comprendre la spécificité de ce nationalisme.

Un nationalisme spécifique

L’auteur met en avant ce qu’il considère comme la caractéristique spécifique et fondamentale de ce nationalisme, ce « messianisme démocratique » qui s’épanouit au début du XXe s. Or, dès la fondation de l’Etat, domine l’idée que le régime mis en place (une république démocratique et fédérale) est le régime parfait, sorte de synthèse du meilleur de la philosophie des Lumières anglaise (Locke) puis française (Montesquieu).

D’où la propension d’exporter le modèle, dans des circonstances qui souvent contredisent l’intention originelle, de la guerre des Philippines (1899-1902) aux interventions en Irak de George W. Bush après le 9/11. 

Les pères pèlerins de 1620

Dès les origines, les vagues des immigrants chassés pour leur religion, entreprenant un voyage maritime périlleux et découvrant un pays aux ressources illimitées et quasiment vide forge une première vision eschatologique. La Nouvelle Angleterre (puis l’Amérique) est le paradis qui leur est promis sur Terre.

Repousser la frontière

Puis s’y superpose la notion de frontier, qui contrairement à une limite déjà établie (border) est constamment à repousser par un processus de conquête d’un territoire immense et dont les limites sont d’ailleurs inconnues lors de la constitution des 13 colonies anglaises en Etats-Unis. Il s’agit bien donc d’une conquête extérieure – une colonisation de territoires étrangers – annoncée comme réalisée en 1890.

Mais l’expansion ne s’arrête pas pour autant, se tournant vers d’autres territoires du continent américain. La notion de « destinée manifeste » forgée par les élites intellectuelles et politiques dans les années 1840 réactive le messianisme calviniste et nourrit la légitimité d’une expansion continue. Ainsi la conquête de l’Ouest se fait contre l’Angleterre et le Mexique, en repoussant les Amérindiens, et tout en attirant de nouvelles vagues d’immigrants.

 

Les élus et les exclus

A intervalles réguliers, il y a des vagues de xénophobie liées à la quantité1 million d’immigrants par an en moyenne au XIXe s. et à la diversité des migrants. Benjamin Franklin se plaint ainsi des Allemands qui ne lisent pas la Bible en anglais. D’où ces « campagnes d’américanisation » pour transformer ces migrants en Américains, via des cours de langue anglaise et de valeurs nationales mais aussi par l’intégration économique.

Westerns et mythe de l’Ouest

Le cinéma, alors que la conquête de l’Ouest est terminée, reprend les contenus des romansCf. James Fenimore Cooper « Le dernier des Mohicans », très vite traduit en Europe, feuilletons d’aventure ainsi que des Wild West Shows pour en magnifier la portée. Les Américains découvrent la beauté des grands espaces du continent que tout le monde connait aujourd’hui (sans pour autant être allé aux Etats-Unis).

 

La mondialisation en question – 1000 articles pour comprendre 
Philippe Lemarchand (dir.), Atlande, collection « Dictionnaire », pour caler vos envies de savoir, 2019, 640 pages, 25 euros

Des allers-retours culturels que les Etats-Unis s’approprient

l’exemple de la bossa nova montre comment une musique authentiquement brésilienne est récupérée par l’industrie du divertissement US. Ainsi, quand Franck Sinatra chante en anglais Garota de Ipanema de Carlos Jobim, il et en fait un tube made in USALudovic Tournès, interviewé par Pierre-Edouard Deldique dans « Idées » sur RFI. Parallèlement, la bossa nova s’hybride au contact du jazz puis au rock tout en s’exportant dans le monde entier, à la fois sous les deux formes, originelle et « américanisée ».

Point sur le british rock ensuite.

Un modèle industriel et capitaliste qui se diffuse dans le monde entier

Si ce sont les Britanniques qui ont mis en oeuvre les premiers à l’échelle industrielle les méthodes de rationalisation de la production manufacturière, c’est le made in USA qui a inondé le monde à partir de la seconde moitié du XXe siècle et installé avec ses grands groupes la mondialisation étasunienne. Ce modèle industriel est d’ailleurs copié dès le début du XXe s. non seulement en Europe, mais au Japon et en Amérique latine.

Mais une uniformisation industrielle trompeuse…

Ce qui ne veut pas dire uniformisation, car l’adoption du modèle industriel est l’objet d’adaptations aux réalités nationales et culturelles. L’exemple de l’Allemagne nazie est révélateur. Car c’est en apparence « le meilleur élève », mais au service de buts radicalement différents… Ne pas oublier non plus que le « toyotisme » remplace à partir de la fin des années 60 le « fordisme » comme méthode de rationalisation de la production industrielle et ce, y compris dans les entreprises étasuniennes. Ce « va et vient continu » est l’une des grandes idées de ce livre. 

… et contestée de l’intérieur comme de l’extérieur

De nombreux artistes, aux Etats-Unis et en Europe contestent cette production industrielle quantitativement attractive mais humainement déshumanisante. Tels,  entre autres, Fritz Lang avec « Metropolis » (1927),  Georges Duhamel dans « Scènes de la vie future » (1930), Céline dans « Voyage au bout de la nuit » (1932), Aldous Huxley « Brave New WorldDont l’histoire se déroule « en 632 après Ford »… » (1932) ou encore Charlie Chaplin dans « Les temps modernes » (1936) décrivent tous après la fascination face à la technique leur effroi d’un futur dans lequel l’humain n’est plus qu’un appendice d’un monde au service des machines.

L’anti-américanisme et la fascination pour le modèle connaissent donc dès le début du XXe siècle des chemins parallèles.

Le rôle décisif des deux guerres mondiales dans l’américanisation du monde

Les 2 guerres mondiales ont joué un rôle décisif en la matière, d’abord et avant tout sur le plan militaire, leurs interventions ayant à chaque fois grandement pesé sur les décisions finales.

Si elles ont été décisives dans la fascination qu’ils ont exercé sur l’Europe, c’est également parce que celles-ci ont été accompagnées de gestes symboliques très forts sur le plan culturel. Les premiers orchestres de ragtime (noirs) jouent en janvier 1918 dans les ports d’arrivée ; puis le jazz se popularise en Europe. Le paquetage des GI’s apportent aux populations libérées après 4 ans de pénurie lors du DDay des productions quasi inconnues en Europe : chocolat en tablette, dosettes de Nescafé, chewing-gum Wrigley’s, Jean’s Levi’s, bas nylon de Dupont de Nemours, lunettes Ray Ban. Trois cargos débarquent à l’arrière avec des cales remplies de bouteilles de Coca-cola, et de matériel permettant l’installation d’usines d’embouteillage.

Les libérateurs, à la fois compatissants et agents commerciaux de l’internationalisation d’une nouvelle American Way of Life… 

Un soft power culturel, économique dont l’influence culmine pendant la Guerre froide

Le livre de Ludovic Tournès abonde d’une multitude d’exemples traitant des stratégies de la publicité, des musiques, des films (Hollywood), concurrençant puis dominant les produits manufacturés et les industries culturelles des autres pays, sans compter les groupes de missionnaires et philanthropes, ou la radio Voice of America, chargés de propager les valeurs étasuniennes, l’enjeu étant également d’endiguer puis de vaincre le communisme. La diplomatie du soft power de Guerre froide ne va pas sans la force militaire…

Le lecteur s’y reportera avec plaisir, aidé en cela par un très complet index des noms de personnes qui permet de picorer dans ce gros livre comme dans un dictionnaire.

Un messianisme historique qui connaît une fin avec celle de la Guerre froide

La fin du messianisme démocratique, là où on ne l’attendait pas

L’auteur conteste fortement l’idée que ce messianisme serait par essence « a-historique ». Pour lui, ce moment fondamental de l’histoire des Etats-Unis, s’il a un début et une apogée, cela ne peut que signifier qu’il a aussi une fin ou tout au moins un fort déclin. Déclin qu’il date fort logiquement à la fin de la Guerre froide. L’idée couramment admise à l’époque  que l’implosion de l’URSS faisait des Etats-Unis l’hyper-puissance mondiale et le modèle indépassable a fait long feu. Depuis les attentats de septembre 2001, une coalition d’intérêts certes contradictoires, mais tous opposés à l’américanisation du monde s’est manifestée avec force (monde musulman d’un côté, pays ayant une politique « anti-impérialiste » de l’autre, sans oublier les opinions publiques des alliés très divisées sur la guerre contre le terrorisme en Irak).

La référence aura disparu du discours de l’Etat dès le premier mandat du président Obama, avec la volonté de désengagement étasunien des conflits moyen-oriental et afghan. Mais ce désengagement du monde, poursuivi avec brutalité pendant le mandat du président Trump est plus l’expression d’un découplage du destin des Etats-Unis avec celui du monde, tel qu’il avait été formulé avec la « destinée manifeste ». Il ne faut pas perdre de vue que l’autre moteur du messianisme était l’immigration, devenue aujourd’hui un envahissement démographique mettant en péril la majorité blanche pour les uns et pour les autres une variable d’ajustement des questions économiques. La lassitude de la population des guerres d’intervention quasi continuelles depuis la Guerre froide explique aussi ce retour à un unilatéralisme, accentué par la montée en puissance de la Chine, le retour de la Russie, et l’émergence de puissance régionales comme la Turquie, l’Iran ou le Brésil.

Le retour des Etats-Unis via le numérique ?

Le secteur du numérique est le dernier à avoir connu une croissance et une internationalisation rapide des produits étasuniens. Le retour à une stratégie mondiale de conquête des marchés et de mondialisation des GAFAM n’est pas vraiment différente de celles des Ford, Carnegie, Rockfeller & co.

Si l’on prend en compte l’ADN originel des pionniers de l’informatique pour tous et du web, on a à la fois l’aspect militaire avec la volonté de mettre en réseau les calculateurs pour gagner la bataille technologique contre l’URSS et le messianisme hippie de la contre-culture californienne. La « Destinée manifeste » se transforme en une nouvelle utopie, celle d’un monde global, communicant pour le meilleur de tous et de chacun – une fois le communisme vaincu. Il est frappant de voir combien les dirigeants des géants de la Tech se voient toujours comme des gourous portant sur leurs épaules les promesses d’amélioration à coup de milliards et de keynotes de notre humaine destinée…

Or les réseaux sociaux, dont le plus célèbre est créé en 2004 par un étudiant d’HarvardMark Zuckerberg. Cf. l’extraordinaire film The Social Network de David Fincher, racontant son irrésistible ascension. , s’ils réactivent le mythe, n’en déclenchent pas moins des réactions d’hostilité et de résistance, liées à la fois à un modèle économique basé sur l’utilisation commerciale des données personnelles et le refus de responsabilité quant aux publications.

De plus, penser que l’ère numérique est l’aboutissement de l’américanisation des pratiques culturelles commencée dans les années 20 est oublier combien le couple fascination / répulsion joue à plein pour les GAFAM et à quel point l’image des Etats-Unis s’est dégradée depuis 2001.

L’illusion Hollywoodienne

Indéniablement, le cinéma représente pour beaucoup d’entre-nous le nec plus ultra de la domination culturelle étasunienne, écrasant toutes les productions nationales sur son passage avec ses fameux blockbusters. Si l’on résonne en terme de pourcentages d’entrées, c’est bien le cas en Europe ou en Amérique latine. Ça l’est également devenu en Russie depuis la fin de l’URSS et depuis l’ouverture de la Chine à l’OMC les productions US représentent 50% des entrées.

Mais plusieurs critères montrent également que le rouleau compresseur en question ne concerne pas environ le tiers de l’humanité. Soit les pays lui ferment ses frontières pour des raisons idéologiques ; c’est par exemple le cas du Pakistan. Soit d’autres sites de production cinématographiques sont hégémoniques dans leur espace culturel. C’est bien sûr le cas de Bollywood pour Bombay et le sous-continent indien ; mais c’est aussi le cas de Nollywoodpour Lagos dont l’influence déborde largement le Nigeria. Quant au cinéma chinois, réel vecteur d’influence de son soft poweril progresse au point de représenter le 2e marché mondial depuis 2020. Bilan : selon l’Unesco, Hollywood représente 10% de la production mondiale de films, loin derrière Bollywood, de loin le 1er marché et NollywoodLe format vidéo des films nigérians l’empêche de figurer officiellement dans le classement de l’Unesco, mais les chiffres avancés tiennent compte de son poids réel. , la Chine étant maintenant 3e.

Il ne s’agit pas de minimiser l’influence considérable du cinéma hollywoodien mais plutôt là comme ailleurs de mettre en avant deux aspects longuement évoqués et argumentés dans ce livre :

  • Les Etats-Unis sont contestés en tant que puissance dominante, la géopolitique du monde actuel étant en pleine recomposition :
    • Avec la confrontation structurelle de deux géants : les Etats-Unis qui restent dans de nombreux domaines la première puissance mondiale et la Chine, qui se fixe l’objectif de le devenir pour le centenaire de 2049.
    • Avec une « seconde division », pour reprendre la métaphore sportive, qui voit des puissances régionales possédant une aire culturelle souvent plus large que leur espace territorialAinsi les séries TV turques dont l’influence s’étend au-delà du monde turcophone déjà beaucoup plus large que la seule Turquie, vers l’Afrique et le monde arabo-musulman. .
  • Les va-et-vient culturels restent la norme, indépendamment de la contestation dont les Etats-Unis sont l’objet : les cultural studies, de même que l’anthropologie et la sociologie ont montré combien l’influence dominante se voyait réappropriée par les dominés.
    • Les exemples de ces circulations transnationales sont nombreux ! Les comicsqui feront l’objet d’un article séparé à venir pour le site Clio-geek… par exemple ; le jazz, dont le nom regroupe aujourd’hui une profusion de styles nationalement identifiables.
    • Ludovic Tournès termine son livre avec l’exemple extraordinaire du cinéma de Kurosawa, dont la période jidaigekiGenre désignant au Japon les films historiques d’avant l’ère Meiji. a été fortement influencée par le western hollywoodien et le cinéma de John Ford. Mais loin de faire une oeuvre imitant les standards hollywoodiens, il fait des ses personnages des anti-héros, ce qu’ils ne peuvent qu’être dans un Japon vaincu et devant apprendre à devenir une démocratie. En cela, Kurosawa est profondément japonais et les codes qu’il a reçu de l’esthétique hollywoodienne sont transcendés dans une vision d’un Japon nouveau cherchant à se réapproprier son histoire.

Mais laissons l’auteur conclure :

« Le bilan de l’englobement du monde par l’américanisation est donc bien plus contrasté qu’on pourrait le penser à prime abord. Les Etats-Unis ont certes connu une expansion sans précédent, accumulé une puissance considérable, […] et sont devenus le symbole de la modernité au XXe siècle aux yeux d’une partie du monde. Mais en dépit d’une logistique colossale mobilisée, tant civile comme militaire, tant économique que politique ou culturelle, l’englobement du monde dans l’histoire étasunienne n’a pas eu lieu. Et il n’aura jamais lieu. »