Mème, fake news ou placement de produit ne datent pas d’aujourd’hui. C’est ce que s’attache à montrer un certain Roy Pinker à travers quinze articles. Ne vous précipitez pas sur Internet pour en savoir plus sur lui car il s’agit en fait d’un nom d’emprunt derrière lequel se cachent trois auteurs, Pierre-Carl Langlais, Julien Schuh et Marie-EveThérenty. Comme ils le disent eux-mêmes, ils ont choisi ici un mode d’expression moins académique. Plus globalement, on peut signaler l’existence d’un collectif d’universitaires qui réfléchissent aux rapports entre presse et littérature. 

Dérives d’hier et d’aujourd’hui

Chaque chapitre correspond à une étude de cas ce qui permet de replacer un phénomène dans son historicité. Chaque entrée est donc organisée autour d’un titre puis d’un sous titre qui permet de cerner l’objet traité. Il y a aussi quelques illustrations et une rapide bibliographie à la fin de chaque entrée. Dans l’introduction, les auteurs, à travers un exemple de la fin du XIX ème siècle, entendent montrer que beaucoup de dérives qu’on associe aujourd’hui à Internet existaient déjà auparavant. On peut citer la tentation de grossir l’histoire, de l’exagérer et de faire d’un non-évènement un fait-divers passablement effrayant et inquiétant. Le copié-collé n’est pas non plus une nouveauté.

Légendes, canulars et autres mystifications 

Le premier article évoque les légendes urbaines en commençant par plusieurs exemples. On s’aperçoit qu’à partir d’un canevas initial, plusieurs histoires peuvent se développer. On retrouve ici citée l’étude d’Edgar Morin à propos de la rumeur d’Orléans en 1969. Ce qu’il faut bien mesurer c’est que le réseau social ne crée pas l’ampleur, il l’amplifie. On peut remonter dans le temps car les légendes urbaines existaient déjà au XIXe siècle. L’article cite une histoire de 1816 ainsi que certaines de ses variantes. On peut remarquer également que pour qu’elles prennent, ces rumeurs doivent résonner avec les préoccupations de leur époque.

Un autre article porte sur les canulars et là aussi le XIXe siècle offre des exemples. Plus près de nous on peut citer la fausse émission radiophonique d’H.G Wells tout en ayant conscience que croire qu’elle a alors provoqué une panique généralisée est une erreur. 

L’article se lance sur la trace des ancêtres du Gorafi après en avoir profité pour rappeler quelques informations de ce site. Si on veut lui trouver un prédécesseur, on peut se tourner vers Paul Masson, alias Lemice-Terrieux véritable mystificateur littéraire et médiatique. Une de ses techniques était d’usurper des identités célèbres et de communiquer dessus une information étonnante juste avant l’heure de bouclage des journaux. 

Mèmes, blagues et autres citations

Un article propose une archéologie du mème et propose par exemple d’en voir un exemple dans la poire Louis-Philippe.  Un article évoque la question des blagues et de leur circulation. Les histoires drôles n’ont pas toujours été prises au sérieux et aujourd’hui, grâce à la numérisation, des chercheurs essayent de remonter le temps et de créer des archives de vieille blagues. Parmi les autres phénomènes qu’on pourrait croire uniquement liés à Internet il y a celui des citations que l’on voit fleurir puis tourner sur les réseaux. Dès le XIXe siècle, certains s’étaient fait une spécialité de ces bons mots. A l’époque aussi la citation recréée fait partie intégrante de l’écriture historique. Un autre article s’attache à historiciser la rubrique « astrologie ». L’astrologue de 20 minutes est désormais un robot ! Au XIXe siècle, l’horoscope n’existait pas en tant que rubrique dans la presse quotidienne nationale française. Le placement de produit a une histoire qui remonte à avant Cyprien. Le compte-rendu de spectacles est l’occasion de développer une histoire qui permet de placer des produits. 

De l’importance des réseaux

On lira un article étonnant sur les réseaux avec un exemple de piratage au XVIIIe siècle avec le système de télégraphie optique de Chappe. A l’époque, il existe un système de bourses en province qui ne reçoivent l’information sur les cours parisiens qu’avec quelques jours de retard. C’est ce différentiel de temps qui est exploité, de façon très subtile, par les frères Blanc. 

Les sites internet cherchent à nous faire cliquer sur tel ou tel article mais le procédé n’est pas récent. Comme le disent les auteurs, « avant le buzz existait le puff » c’est- à-dire l’art de faire du bruit à partir de rien. Le phénomène des people est aussi plus ancien que ce qu’on croit comme l’ont montré notamment les travaux d’Antoine Lilti pour le XVIIIe siècle. A la fin du XIXe siècle, on voit se développer dans la presse une rubrique comme « Une heure chez … » qui concerne notamment les grands écrivains. La naissance de l’auteur passe par sa construction en tant que figure publique. Quant au plagiat, c’est un phénomène qu’on peut faire remonter au XIXe siècle. On peut relever alors des circulations d’images entre magazines.  De plus, les progrès des techniques de gravure permettent de supprimer les attributions et de dupliquer les oeuvres d’autrui. Plus de la moitié des contenus des journaux en ligne sont encore aujourd’hui de pures et simples reprises d’une première source. Une contribution s’intéresse à la circulation mondiale des fictions avant Netflix alors même qu’aujourd’hui une série peut se répandre sur la planète. On peut considérer que « Les mystères de Paris » constituent le premier phénomène de « globalisation médiatique ». Les auteurs en analysent le succès en soulignant que le roman interroge plusieurs traits liés à la modernité d’alors comme la ville, le crime ou encore la description du tissu social. La dernière contribution cherche à retrouver les premières fake news en citant un exemple des années 1930 en France.

Un peu de théorie pour finir

En conclusion les auteurs proposent des éléments d’une théorie de la viralité. « Les relations hiérarchiques importent moins dans une collectivité que les relations de micro-imitations d’individu à individu ». La viralité ne connaît pas de centre mais plutôt des noeuds de diffusion privilégiés. On note indéniablement aujourd’hui une multiplication des acteurs de la diffusion virale. Elle ne connaît pas de régulation institutionnelle. Les auteurs dessinent ensuite une typologie de l’objet viral marqué notamment par son caractère émouvant. Les fausses nouvelles se diffusent plus rapidement que les bonnes car elles provoquent des émotions plus fortes. « Derrière la propagation virale, s’esquisse toute une économie de l’attention ». 

C’est donc un ouvrage original qui offre quinze éclairages pour historiciser certaines dérives médiatiques que l’on associe parfois trop rapidement à Internet. L’entrée par article permet à la fois d’explorer de nombreux exemples mais aussi d’en tirer des principes généraux. Un ouvrage qui trouve toute son utilité à la fois en EMC et en HGGSP dans le cadre du thème « S ‘informer ».

© Jean-Pierre Costille pour les Clionautes