Eric Birlouez s’attache dans cet ouvrage richement illustré à faire découvrir l’alimentation au Moyen Age à travers la composition de la table des différentes catégories sociales. Cet univers est souvent le lieu d’idées fausses, tout comme le Moyen Age en général. Autant dire qu’en 128 pages et six parties plus ou moins développées, il n’est pas facile de tout dire.

L’alimentation comme marqueur social

Dès le début de l’ouvrage, l’auteur précise que l’alimentation doit être conforme au statut de la personne concernée. En quantité le noble doit manger davantage que les autres. Elle est donc un marqueur social. L’alimentation doit être envisagée avec un ensemble de système de pensée comme le montre la référence valorisée pour les aliments chauds et humides. Il existe aussi un système de valeurs qui préfère le feu à la terre. C’est ce dont témoigne le mépris pour les légumes de la part des nobles, car ces aliments sont issus de la terre tout comme les oignons.
On retrouve cette idée développée différemment dans le chapitre 3 consacré aux festins et banquets médiévaux. L’alimentation sert à rassembler et en même temps à distinguer. A une même table, deux personnes peuvent manger des aliments très différents, et jamais un convive ne goûte l’ensemble de ce qui est proposé.

Un paysage alimentaire différent d’aujourd’hui

L’auteur rappelle que la ration alimentaire quotidienne pouvait dépasser les 4000 calories, soit bien loin de nos standards actuels, mais ce chiffre doit être mis en rapport avec l’activité déployée alors !
Qui dit culture dit forcément techniques agricoles. Eric Birlouez se contente de rappeler la traditionnelle division entre l’utilisation de la charrue et de l’araire. On sait que cette dernière était surtout utilisée dans le sud car mieux adaptée aux sols.
Ensuite sont abordées les différentes céréales avec leurs avantages et inconvénients à l’époque. Un critère essentiel est évidemment leur aptitude à être facilement transformée en pain. Dans le sud de la France, le millet est particulièrement apprécié car il résiste à la sécheresse et se conserve bien.
Le paysage alimentaire était en tout cas bien différent d’aujourd’hui, sans fraise, sans haricot ou tomate. En revanche, les historiens redécouvrent l’existence de la dolique qui ressemble au haricot. Nos ancêtres avalaient 500 grammes à un kilo de pain par jour.
Le lait est peu consommé et le sucre est au départ réservé aux malades. A l’époque on préfère le vin blanc. Le miel est particulièrement valorisé comme en témoigne le montant des amendes infligées à ceux qui détruisaient les essaims.

Un Moyen Age à préciser

L’auteur précise que la période étudiée est longue et qu’il existe donc des variations : cela le conduit souvent à dire dans son texte que ce qu’il évoque comme une généralité recèle en réalité beaucoup de nuances. Une chronologie plus fine aurait sans doute été profitable, mais telle n’est sans doute pas l’ambition de cet ouvrage généraliste. Eric Birlouez pose comme grille de départ les trois ordres de la société, ce qui peut sembler logique avec l’idée de marqueur social. Cependant, là aussi, que de diversité il faudrait introduire pour obtenir une vision plus juste de l’époque !
On assiste parfois à quelques redites sur la viande comme « élément de force » et donc consommée par la noblesse ou encore sur les vertus de la poire (page 45 et 79).
Les images ont parfois une vertu uniquement illustrative, et on peut déplorer qu’elles ne soient pas l’objet d’un commentaire un peu plus détaillé plutôt qu’une simple description.

Le vocabulaire et les expressions comme héritage

On retrouve l’origine bien connue de l’expression « mettre le couvert » ou celle peut-être moins connue du mot collation. Celui-ci vient des Collationes, c’est-à-dire des conférences de Jean Cassien, un moine du V ème siècle qui avait pris l’habitude de lire les textes lors de cette prise alimentaire de fin de journée .
Dans le chapitre 3, on peut s’intéresser à des entremets extravagants. C’est l’occasion pour les maîtres queux de faire preuve de leur savoir : on adorait par exemple donner à un plat de poisson l’apparence de viande. La couleur s’avérait également fondamentale et là encore en liaison avec le système de valeurs de l’époque. Ainsi le jaune symbolise la sagesse et la spiritualité et on l’obtient par le safran par exemple.
L’épicier c’est d’abord le marchand d’épices et on retrouve encore leur importance dans l’expression « payer en espèces », c’est-à-dire en réalité, en épices.

Au total on peut reprocher quelques trop grandes généralités à l’ouvrage, mais Eric Birlouez évite néanmoins les principaux écueils concernant par exemple ce bel autrefois alimentaire qui n’a pas existé. L’alimentation doit être liée et pensée en rapport avec la société d’alors. C’est un ouvrage agréable à lire et à feuilleter, à utiliser comme introduction à ce thème. On pourra conseiller, comme pour tout thème sur le Moyen Age, de lire la très bonne collection « Archéologie de la France », élaborée en lien avec l’INRAP qui livre un point très actuel de recherches parfois très novatrices et très instructives.

Jean-Pierre Costille © Clionautes