Dans cet ouvrage, l’auteur nous permet de suivre et de comprendre les grands combats menés par l’Eglise en Espagne dans cette période : l’époque des grands fondateurs au VII° et au XI° siècles , celle des premières résistances aux temps de l’invasion de l’Islam et des hérésies diverses, celle des reconquêtes territoriales, celle des remises en question.

Béatrice Leroy est professeur honoraire d’Histoire Médiévale à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour. Elle a publié plusieurs ouvrages sur la littérature politique, les sociétés et le judaïsme en Espagne médiévale.

Béatrice Leroy nous rappelle dans l’Introduction les controverses qui ont opposé les historiens sur ce sujet : Americo Castro qui soutenait que l’Espagne n’avait su évoluer que grâce à l’affrontement entre les gens des trois religions réunis sur son sol ,Claudio Sanchez Albornoz qui maintenait au contraire que l’Espagne a toujours fait triompher ses valeurs propres, romanes et wisigothiques sans une quelconque influence des religions périphériques. L’auteur fait le point sur les questions qui animent les débats actuellement : l’Espagne fut-elle conquise par les Arabes ou s’est–elle donnée à eux par une suite de capitulations ? La Reconquête n’a –t- elle pas été plutôt une « conquête féodale » depuis le Nord répondant aux seuls desseins politiques et économiques des responsables chrétiens du Nord de l’Espagne ? Peut-on parler de croisade en Espagne ? La féodalité a-t-elle bouleversé la société aux X° et XI° siècles (« mutation féodale ») donnant aux hommes des rapports de droit inconnus jusque là ou bien ont-ils agi selon des structures sociales et des idéologies séculaires en s’adaptant aux circonstances ? Béatrice Leroy se propose d’examiner les attitudes de L’Eglise en Espagne c’est-à-dire les façons d’aborder la vie politique et la vie sociale imprégnées de normes ecclésiastiques. L’Eglise c’,est-à-dire l’ensemble des croyants et leur hiérarchie, doit lutter en Espagne pendant ces siècles. Elle doit combattre sans cesse pour s’affirmer.

Les grands modèles

L’auteur nous présente d’abord les grandes références : A l’époque médiévale tardive, les rois de Castille se prétendent descendants en ligne directe des rois wisigoths. Le VII° siècle est celui d’Isidore de Séville et des grands législateurs puis ce royaume wisigoth a été conquis par les Arabes. Des chrétiens ont alors résisté aux tentations de l’Islam et sont devenus des martyrs .Béatrice Leroy nous détaille ces aspects en les documentant de façon précise : En 589,en Espagne, le roi Récarède se convertit à la religion romaine. Dès lors tout le peuple espagnol, hispano-romain et wisigoth forme une grande unité par cette communion dans la religion catholique. Saint Isidore va remplir la longue tâche d’expliquer, d’écrire, et d’organiser cette nouvelle Eglise chrétienne espagnole. Il demeure la référence de tout écrit ,de toute institution dans le domaine politique autant qu’ecclésiastique. Dans ses écrits il s’attarde volontiers sur le roi et établit le principe d’un roi voulu par Dieu qui en reçoit sa mission. Saint Isidore a fait du roi de l’Espagne wisigothique un roi chrétien, un responsable de tout l’édifice social devant Dieu : « être utile au peuple », « veiller sur lui en se faisant son égal », « le roi doit bien régir pour garder ce nom de roi ». L’auteur examine ensuite les successeurs de saint Isidore de Séville et notamment Elipand de Tolède .A partir de 711, l’Espagne revêt un nouveau visage car les Arabes et les Berbères ont été victorieux au rio Guadalete du dernier roi wisigoth Roderic. Les troupes maghrébines arrivent dans le nord de la péninsule puis en Narbonnaise qui relevait du royaume wisigoth puis en Gaule jusqu’à Arles et Poitiers. Leur première défaite dans la péninsule ibérique se situe en 722 à Covadonga dans la chaîne cantabrique près d’Oviedo. L’auteur nous explique comment des chefferies s’organisent alors vite en royaume, avec rois, comtes et évêques dans ces régions du nord. L’Espagne andalouse pour sa part, avait ses communautés mozarabes chrétiennes et juives autorisées dans leur culte mais tolérées selon le pacte d’Omar. Les chrétiens de Tolède, de Cordoue, de Séville sous le gouvernement des émirs (califes au X° siècle) avaient des évêques, des prêtres , des monastères, des livres, des écoles. Mais ils ne devaient pas gêner les lois de l’Islam, la religion des conquérants et de la grande majorité des espagnols devenus « Muladies » , convertis à l’islam. Dans une grande Espagne andalouse (les trois quarts du sol espagnol) vivaient des chrétiens tenaces et menacés au cœur d’une majorité de musulmans. Dans les territoires réduits du Nord vivaient des chrétiens libres et indépendants. Dans un milieu brimé sans lien direct avec Rome, nous apprend Béatrice Leroy, un clerc intransigeant pouvait sans trop de contrôle émettre une doctrine et s’entourer de fidèles heureux d’entendre un message conçu comme une raison de vivre. Ce fut le cas au VIII° siècle où sont arrivés en Andalousie des troupes de soldats syriens, de la région nestorienne. Nestorius voyait dans le Christ un dieu et un homme , l’un et l’autre ne se confondant pas. Les propositions d’Elipand de Tolède rappellent cette doctrine. Les évêques des premiers états espagnols ont-ils craint une mainmise franque (aide de Charlemagne contre l’islam) , une perte de leur indépendance spirituelle et culturelle favorisant ainsi l’écoute des doctrines de leurs collègues de l’Espagne andalouse ? Le fait est que diverses hérésies sont prêchées dans les milieux mozarabes, toutes remettant en cause la Sainte Trinité. Elipand de Tolède affirmait que le Christ était un homme adopté par Dieu .Le moine Beatus du monastère de Santo Toribio de Liebana, dans les Asturies, rédige un livre contre Elipand et contre sa théorie de l’adoptianisme. Il rédige également un commentaire de l’Apocalypse de Saint Jean dans lequel il évoque Saint Jacques le Majeur évangélisateur de l’Espagne, figure de la victoire du christianisme en Espagne. Vers 830-840 un premier culte populaire sera rendu au lieu dit Compostelle à la fin des terres chrétiennes de l’Occident. Beatus a donné ainsi à l’Espagne un symbole de ses combats. Béatrice Leroy évoque ensuite la décennie dramatique de 850 à 860 avec la personnalité d’Euloge de Cordoue. Au IX° siècle, les arabes sont là depuis plus d’un siècle et tout le peuple espagnol est arabisé. Les responsables chrétiens, abbés et évêques ressentent un réel danger. Les jeunes gens arabisés délaissent la théologie pour se consacrer à la poésie andalouse plus séduisante ou pour lire le Coran. Ce qui est pratiqué couramment est le mariage entre une chrétienne et un musulman en Andalousie puisque l’islam se transmet par le père. Les enfants de ces mariages mixtes doivent être musulmans. Ce sont ces musulmans ,peut -être chrétiens cachés par leur mère ,qui demandent le martyre au début du siècle se présentant dans les mosquées ou dans les cours pour parler violemment contre l’islam et la vie de Mahomet. Ils étaient, bien sûr, jetés en prison et exécutés. Euloge de Cordoue visite les monastères du Nord et en revient avec une bibliothèque de livres qui manquaient aux chrétiens de Cordoue. Parmi ces livres figurent les œuvres de Saint Augustin et les commentaires de la règle de Saint- Benoît. Euloge sera décapité à Cordoue après avoir prononcé un sermon offensif contre l’islam devant l’émir.les historiens s’interrogent sur cette décennie de martyres : l’islam était-il en cause ou était -ce l’intransigeance d’Euloge de Cordoue et de tous les prêtres et abbés qui craignaient pour le christianisme mozarabe ? En 985, Al-Mansour relance le Djihad et brûle Barcelone puis en 990 il brûle Saint-jacques de Compostelle. Les chrétiens qui ne voulaient ni le martyre ni l’apostasie quittaient l’Andalousie et se réfugiaient dans le Nord, chez les Catalans, les Navarrais, les Cantabres. C’est alors que des clercs rédigent les Chroniques relatant le combat de Covadonga de 722 et de Clavijo de 842. L’Histoire justifie désormais tout combat pour une guerre sainte en Espagne. La reconquista commence .

Abbés, évêques, princes de la terre Xe- XIe siècles

Au cœur de l’Andalousie, les mozarabes groupés autour des prélats wisigoths étaient fiers de s’affirmer face à diverses hérésies mais ils n’ont survécu que par la tolérance des émirs. A chaque époque de difficulté ces chrétiens partaient vers le Nord de la Péninsule, vers ces terres libres où les princes dirigeaient l’agrandissement territorial surtout dans le centre .Le rapport de forces n’était pas en leur faveur. Al-Mansour a voulu relancer le Djihad contre ces chrétiens qui luttaient pour leur indépendance et « les saífas » ( opérations de razzia) essayaient de les terroriser. En 1002 al-Mansour meurt puis le trône de Cordoue est ébranlé et éclate. En 1031 c’est « la Fitna « ( la déchirure). L’Espagne musulmane se partage en 25 petits royaumes , « les taifas » ( les bandes) de toutes origines. Les principautés chrétiennes vont pouvoir s’affirmer. L’Eglise conseille les Princes de ces premiers royaumes et participe à tout acte politique. Béatrice Leroy nous fait part de ses connaissances précises et détaillées sur ce sujet et nous parle de l’ensemble le plus original, l’ensemble catalan (le terme de Catalogne ne lui est donné qu’au XII° siècle ). Elle nous dépeint les alliances familiales et féodales qui structurent cet Etat et dont la politique, en vue de la stabilité intérieure, est l’alliance avec les voisins musulmans (jusqu’à la fin du XI° siècle).La Reconquista prendra corps chez les catalans, aux côtés du royaume d’Aragon dont ils partageront la Couronne en 1137.Au centre et à l’Ouest de l’Espagne chrétienne, la politique est différente car la Reconquista semble être dès le début la raison d’être de ces royaumes. Après 1085, dans toute cité reconquise, le premier acte des Chrétiens est de transformer la mosquée en cathédrale ou même en église paroissiale. Les ecclésiastiques et les seigneurs des régions françaises viennent combattre en Espagne. Les seigneurs viennent prêter leurs armes et, si possible s’établir dans la Péninsule qui se reconquiert et se repeuple. Les deux Princes bourguignons, gendres d’Alphonse VI de Castille participent à la prise de Tolède et à sa fortification, à sa défense. Il s’agit d’une guerre sainte ou croisade menée en Espagne comme ailleurs. Elle sert l’Eglise en Espagne et l’Eglise en général .On la met dans le patronage de Saint Jacques le Majeur dont on va toucher le tombeau à Saint Jacques de Compostelle .Jusque là l’Espagne chrétienne avait observé les règles monastiques et la liturgie des époques wisigothiques surtout les textes attribués à saint Isidore de Séville. Ces règles n’étaient suivies qu’en Espagne et était inconnues du reste de l’occident où depuis Charlemagne la seule règle des moines devait être celle de saint Benoît. Béatrice Leroy nous explique comment l’observance bénédictine se développe en Espagne (abbaye de Ripoll en Catalogne). L’Espagne va devenir un rempart de l’Eglise romaine, face à l’islam et les monastères fondés ou réorganisés et dotés par le roi de castille sont autant de monastères de frontière, lieux de prière mais aussi centres de peuplement sur les terres récemment conquises et bases de repli lors des expéditions militaires. Au cours de la reconquête il y eut « repoblación » , repeuplemnt des terres. Le repeuplement est une réorganisation sociale dirigée par le combattant chrétien victorieux du territoire et responsable des hommes, des terres et de l’Eglise qui s’y réinstalle. Des « fueros » (codes de droit urbain ou villageois) fixent les colons sous protection d’un chef et d’un prêtre.Ces colons ,groupés par leur curé paroissial doivent avoir une armée. L’Espagne qui se reconquiert est une société en guerre. Les liens féodaux aident à structurer cette société. On vit à l’abri des murs, nous dit Béatrice Leroy, et si on s’en écarte, c’est sous la garde armée collective des cavaliers du village. Telle est la société espagnole des X° et XI° siècles, structurée par des fueros et des chartes de peuplement où tout est trop incertain pour être laissé à la libre initiative des individus ou des petits groupes.

Des réussites, des ébranlements : les nécessaires héros de l’Espagne chrétienne XIe-XIIe siècles

L’auteur évoque les grandes figures de cette période comme Fernán Gonzalez , comte de Castille, l’un des premiers responsables de la reconquête dans la vallée du Duero. Au XIII° siècle, un Poema , une geste, relate ses actions d’éclat. La Castille ou l’Espagne chrétienne qui est pour beaucoup son synonyme existe grâce à des guerriers héroïques aidés par Dieu. L’auteur évoque également un autre personnage, le Cid de l’histoire et celui de la geste en faisant revivre les épisodes les plus marquants de son existence. Le « Cantar del mio Cid » ce long poème rédigé en castillan est tout de suite devenu le chant de gloire de la noblesse castillane. En 1135, Alphonse VII se fait couronner empereur à Léon, c’est-à-dire roi de plusieurs royaumes rassemblés sous son autorité et devient le chef de la guerre sainte en Espagne. A la fin de la période almoravide dont le pouvoir éclate en Taífas, il voit l’arrivée des Almohades. Mais au début du XII° siècle, les frontières avaient évolué et la carte politique avait changé en Espagne nous commente et nous explique Béatrice Leroy. Tout cela n’était pas supportable aux Almohades, berbères marocains fondamentalistes qui depuis 1130-1140 avaient durement soumis l’ensemble du Maghreb et qui , en 1151 passèrent en Andalousie. Ce furent de terribles défaites pour les chrétiens surtout entre 1170 et 1195.Béatrice Leroy évoque ici la fondation et le développement des ordres militaires en Espagne qui dès les années 1130 s’était couverte de commanderies de templiers et d’hospitaliers. Furent fondés alors l’ordre de Calatrava et l’ordre de Santiago .Les moines pouvaient se battre pour la cause chrétienne créant des commanderies, peuplant et cultivant des terres qu’ils remportaient sur les Maures et fondant à leur tour des ordres affiliés. La bataille de las Navas de Tolosa en 1212 permis de reprendre en main les territoires tenus par les Almohades. Dans ces années , l’Espagne est résolument ouverte sur l’Occident voisin qui ne peut que l’aider. En 1212, à la demande du Pape Innocent III une croisade est prêchée pour secourir l’Espagne menée par l’abbé de Cîteaux Arnaux -Amaury qui prolonge logiquement en Espagne sa croisade commencée contre les cathares. Mais les historiens espagnols aiment à dire que ces chevaliers étrangers se conduisant fort mal en Espagne avec le peuple, ont été vite renvoyés chez eux par le roi de Castille : la victoire sur les Maures ne concerne plus que l’Espagne. Il a fallu se battre encore près d’un demi siècle pour achever la Reconquista. L’auteur nous en explique les grandes étapes : Cordoue, Séville et comment la Castille parvient à encercler le royaume de Grenade où la dynastie des nasrides s’est installée en 1235 prêtant serment de fidélité au roi de castille et le payant selon la tradition pour lui acheter la paix. Béatrice Leroy fait apparaître des différences selon les royaumes pendant cette reconquista. La couronne d’Aragon recherchant le profit économique, le contrôle des ports et des voies maritimes autant si ce n’est plus que la récupération pour l’Eglise chrétienne de territoires tenus par les musulmans.L e christianisme s’installe dans la convivance « convivencia ». Ce terme résume mieux que « coexistence » et « convivialité » cette situation vécue par les espagnols des diverses religions, côte à côte sans jamais vraiment être mêlés partageant les mêmes moments de joies ou de peines mais réagissant différemment, obéissant à des impératifs spirituels particuliers tout en étant sujets d’un seul souverain. Les rois reconquérant une ville aux XII°- XIII° siècles y trouvent toujours une communauté de maures et une communauté de juifs, des « aljamas » selon le terme arabe. Les Maures qui le désirent s’en vont. Ceux qui restent sont reconnus par un « fuero » et demeurent avec leur autonomie sous la loi chrétienne. Les juifs ont leur « fuero » eux aussi, leur synagogue, leurs responsables. Dans l’ensemble du pays après la violence de la conquête, la convivance est totale jusqu’à la fin du XIII° siècle. Cette situation masque –t- elle une animosité qui pourrait éclater à la moindre occasion ? Tout dépend du poids démographique comme des politiques particulières. L’auteur développe le cas du royaume de Valence constitué au XIII° siècle d’une majorité de musulmans gouvernée par une minorité chrétienne.

L’Eglise dans la ville : XIIIe – XVe siècles

Lorsque les forces chrétiennes s’installent les armes ne sont pas rangées pour autant. La rébellion peut couver dans les murs mêmes de la cité. Les Maures tentent des remontées depuis leurs frontières .La Frontière devient une institution pour le trône de Castille et correspond à une suite de fortins, de villes emmurées, de cols surveillés, confiée à un Grand du royaume qui peut lever des troupes dans l’immédiat de sa seule initiative et dispose de finances exceptionnelles. La guerre sainte reprend contre Grenade au XV°siècle… ce sera la guerre de Grenade avec les Rois Catholiques de 1482 à 1492. Béatrice Leroy développe l’exemple de la Navarre où l’Eglise joue son rôle, effectue sa mission auprès du peuple. On y retrouve les traits de la traditionnelle Espagne des trois religions dans tous les secteurs de Repoblación où l’Eglise s’est installée avec ses évêques, ses chanoines, ses curés, ses monastères, ses couvents en laissant en lisière les mosquées et les synagogues. L’auteur développe ensuite le cas du royaume de Valence très spécifique au XIII° siècle, en faisant revivre ces époques troublées. Elle aborde le cas de la Castille et celui de l’Andalousie avant de clore ce chapitre sur le courant de grande mystique et de refus du monde qui anime certains ordres entre 1280 et 1320 environ. Les spirituels refusent toute vie en couvent, toute responsabilité, tous revenus et en viennent à refuser la hiérarchie (dans la Couronne d’Aragon). Le Pape Jean XXIII lutte depuis Avignon contre ce qui est une déviance de l’ordre franciscain. La controverse sera allumée en Biscaye avec le mouvement des « hérétiques de Durango » accusés de toutes sortes de folies comme le partage des femmes autant que de tout bien terrestre. Des ordres nouveaux donne une autre voie de charité et de pauvreté, ceux des trinitaires et des mercédaires qui s’illustrent dans le rachat des captifs en payant les rançons. L’Espagne du XIV° siècle fonde l’ordre des hiéronymites, ermites de Saint-Jérôme. Viendra le temps où les hiéronymites comme les franciscains appuieront les expéditions vers le Nouveau Monde pour élargir à toute la terre la parole de Dieu. Le peuple chrétien est groupé en confréries de métier ou de dévotion, un encadrement qui complète ou remplace celui de la paroisse ou de la famille. Mais l’Espagne des pélerinages et de la dévotion à la Vierge peut être aussi celle des guerres civiles, des heurts sociaux et des intolérances.

Les temps de violence : XIVe -XVe siècles

La jeune Espagne chrétienne, nous dit Béatrice Leroy, s’est reconquise avec l’aide des étrangers ( Raymond de Bourgogne, Henri de Chalon…).Mais au XV° siècle des français et des Anglo-gascons viennent faire la guerre en Espagne suivant des alliances politiques de leurs princes , attirés par des occasions de réussite économique. L’Espagne souffre de combats menés sur son sol par des étrangers dirigés par les chefs et les princes espagnols eux- mêmes. L’Espagne combat contre elle-même. Dans ce climat politique, les combats politiques deviennent vite des combats sociaux et très vite religieux,l’Eglise espagnole se donnant pour mission de clamer sa prépondérance sur les autres religions à éradiquer .Béatrice Leroy rappelle ces guerres intérieures pendant lesquelles les royaumes chrétiens luttent entre eux, loin de tout esprit de croisade .Les changements dynastiques en sont la cause, le prétexte ou la conséquence et l’Eglise ne dirige plus ces guerres intérieures. Aucun royaume espagnol n’y a échappé. Dans les villes, des luttes des partis au pouvoir peuvent être dramatiques. Les « Bandos » sont des clans nobles ou aristocratiques regroupant des lignages de marchands fortunés ou d’hidalgos qui dirigent les conseils urbains et s’y opposent en clans adverses voulant les hauts postes, la gestion des impositions et des droits sur les finances urbaines. Les lignages s’éliminent les uns les autres, et le plus souvent transportent leur violence sur le quartier juif. Dans le sous chapitre « Contra Judeos y Sarracenos » l’auteur rappelle que des « Aljamas » (communautés de Juifs et de maures) se sont constituées dans l’Espagne chrétienne au temps de la reconquête. L’Eglise a utilisé les possibilités linguistiques des Juifs et des Mudejares pour traduire « à quatre mains » de l’arabe au latin, Platon, Aristote, Ptolémée, Euclide, Hippocrate….Les juifs dans les « juderías » commercent, prêtent à intérêts, soignent, tissent et façonnent des pièces d’orfèvrerie. Les Maures irriguent, cultivent, construisent, travaillent le fer et les armes. Mais l’Eglise craint le retour toujours possible d’un fondamentalisme de l’islam comme elle l’a connu au XIII° siècle avec les Almohades. C’est alors que les ecclésiastiques reprennent le « Contra Judeos » de Saint Augustin ou Saint Isidore de Séville. Les attaques contre les autres religions se multiplient. Alfonso de Espina , franciscain prêche vers 1490- 1495 et demande une Inquisition contre les convertis et une mesure d’expulsion des Juifs. Les convertis du judaïsme sont présents au XV° siècle dans l’ensemble espagnol. Le converso est chrétien mais reste profondément Juif dans sa foi, ses pratiques et observances religieuses. Pour l’opinion publique de l’époque , le converso est un arriviste qui a choisi le christianisme pour parvenir à de hautes fonctions qui lui étaient refusées en tant que juif. L’Alcalde de Tolède, Pedro Sarmiento en 1449 fait prendre par le conseil de Tolède ce qui est considéré comme le premier statut de « Limpieza de sangre », la pureté du sang, ce qui sera demandé plutôt au XVI° siècle, interdisant les entrées aux conseils municipaux aux conversos, fils et petit fils de conversos. Ce statut ne sera pas appliqué et provoquera au contraire de belles réactions en langue latine propagées dans les milieux universitaires. En 1473 – 1475, une chaîne de massacres de convertis et de juifs part de Cordoue et ensanglante toutes les villes de l’Andalousie, surtout Jaén et Gibraltar, se propageant dans toute la Castille. Commence à naître dans les esprits la solution de l’expulsion de tous ceux qui ne sont pas catholiques et qui par leur seule présence provoqueraient ces mouvements .Béatrice Leroy s’attarde ensuite sur Pedro López de Ayala, un grand nom de la politique comme de la littérature castillane du XIV° siècle étudié par les linguistes et les historiens. Dans son » Rimado de Palacio » rédigé entre 1300 et 1400 il donne un « modèle de gouvernement des princes ».L’auteur nous donne la traduction des strophes 477 à 553 qui témoignent de la réflexion politique, du sens de la critique, de l’observation de ce grand officier des mœurs de la cour et des luttes d’influence autour des rois trop jeunes. Un roi ne doit conduire la guerre que si elle est juste, si elle est sainte. Un roi ne peut aider son peuple qu’en lui donnant la prospérité, et cette félicité sur terre ne vient que du refus de la violence et de la recherche de la Paix. Dieu veut la paix des cœurs et non la violence sociale, c’est le message traditionnel de l’Eglise. Mais au XV° siècle les rois comme les lieutenants de Dieu pensent que cette paix ne peut régner qu’en rétablissant l’unité de l’Espagne et de son peuple sur une terre chrétienne et dans une seule croyance. Ce sont les souverains de la fin du XV° siècle qui y parviennent. En 1482, la guerre de Grenade est relancée par les Rois Catholiques. Celle ci capitule en 1491.Le 2 janvier 1492 les Rois, l’archevêque de Tolède et l’infant héritier reçoivent les clefs du dernier émir et rentrent dans Grenade. Les Maures qui choisissent de rester doivent se convertir et sont désormais appelés les Morisques. Ils seront chassés au XVII° siècle. Le 31 mars 1492, les rois décident d’expulser les Juifs de leurs couronnes ou de les contraindre à la conversion. Au long du XVI° siècle l’Eglise a combattu ce qui était pour elle une hérésie, contre les convertis du judaïsme et contre les morisques. Simultanément l’Eglise d’Espagne menait de nouveaux combats au service de la foi chrétienne en Amérique.

Noëlle Bantreil Voisin © Clionautes