Taina Tervonen scénariste, journaliste et documentariste, s’est associé au dessinateur Jeff Pourquié afin de livrer des articles militants dans la Revue Dessinée en association avec les éditions Delcourt. Cet ouvrage reprend cinq articles déjà parus à partir de 2015.
Une autrice immigrée blanche venant du Sénégal
« Quand je dis que je suis blanche et que j’affirme mon origine africaine, personne ne me croit ». Jeune migrante finlandaise, Taina Tervonen décide de partir en France car elle parle la langue, un héritage de la colonisation. Cette bédéiste se met en scène pour réfléchir sur le sort des migrants qu’elle rencontre au cours de ses enquêtes. Son passé africain lui a permis de comprendre ce qu’est le rêve d’autres horizons, dans le roulis des vagues sur les pirogues…
La bande dessinée, un médium de liberté
L’autrice choisit de transmettre ses expériences avec le dessin, qui lui permet une totale liberté par rapport à la vidéo ou l’écrit. On passe alors par la couleur, la figuration, le trait et l’utilisation des symboles. L’imaginaire prend plus de place. Par exemple, les cadavres ne sont pas représentés. La mort est transmise à travers les yeux des pompiers qui découvrent 45 corps dans une cale de bateau. « Il ne sert à rien de voir la violence ou l’horreur sans non plus les esthétiser ».
La Sicile, réceptacle des arrivants
Des cimetières avec des tombes sans nom, juste des numéros… Les témoignages des sauveteurs qui agissent dans l’urgence. Pourquoi 3279 personnes sont-elles mortes en 2014 selon les chiffres de l’OMI, en traversant la Méditerranée ? 5079 en 2016 ?
Selon Taina Tervonen, les disparitions en mer sont la conséquence d’une politique européenne qui limite les voies d’arrivée légale en Europe. Des contrôles de plus en plus stricts s’opèrent à partir des années 70, une aubaine pour l’industrie de l’armement qui développe et vend du matériel sophistiqué de surveillance utilisé aux frontières.
Les politiques migratoires
Lutter contre l’immigration irrégulière est inscrite dans le traité de Maastricht en 1992. En 2004 est créée Frontex. Cette organisation achète ou loue du matériel de pointe et paie des gardes-frontières. Pour l’OMI, l’Europe est la destination la plus dangereuse au monde car l’immigration transfrontalière clandestine est criminalisée. Dans l’ouvrage, le continent est représenté comme une forteresse de plus en plus protégée. Des sommes astronomiques sont dépensées pour assurer le contrôle aux frontières et l’arrêt des migrations, par l’UE et par les pays eux-mêmes. Par exemple, l’Italie a assumé seule l’opération Mare Nostrum qui a coûté 100 millions par an, relayée ensuite par Frontex avec un budget mensuel de 2,9 millions. Pourtant aucun radar ou aucun mur ne peut empêcher un migrant de partir.
Ce qui se décide à Bruxelles ou ailleurs, a des retentissements immédiats sur la vie de ceux qu’on appelle les migrants. Ces derniers paient des sommes gigantesques, on parle de plusieurs milliers d’euros, quand ils essaient depuis plusieurs années. Ces personnes n’ont pas d’autres options que de partir sur les mers car ils n’ont pas de possibilités d’avoir un visa. Ils choisissent donc l’illégalité…
Les frontières de l’UE ont été repoussées plus loin
Agadez, au Niger était la porte d’entrée du passage en Libye. Toute « une industrie de l’exil » s’était instituée avec des profits très lucratifs à la clé (sous-traitants, coxeurs (ceux qui s’occupent de la logistiques), hébergeurs, taxis). Une mère, rencontrée au Niger, venant du Nigeria pour passer en Libye. Un informateur lui indique les dangers (viols…) Elle répond : « ma décision est prise, Dieu nous protégera », je veux que mes filles aillent à l’école, je veux travailler… » Une référence au Mectoub…
Mais depuis les contrôles institués par le dirigeant, Mohamed Bazoum, les routes de l’exil se sont déplacées. La traversée du Sahara est de plus en plus chère et dangereuse. Alors que certains ex-passeurs se sont reconvertis, d’autres se voient proposer l’OIM, un aller simple offert vers leur pays de départ, enfin ceux qui acceptent.
En 2020, après une année de pandémie, la côte du Sénégal et le littoral gambien sont devenus une nouvelle route de passage migratoire. Les pêcheurs qui ne parviennent plus à vivre de leur métier, prennent la mer jusqu’aux Canaries, en territoire espagnol. Au large de cette zone de pêche, des bateaux étrangers de gros tonnage épuisent les fonds. Rien n’est fait contre ce phénomène bien connu, ce qui pousse les jeunes à partir vers l’Eldorado européen.
L’autrice achève son propos sur l’emploi des sans-papiers » par les entreprises françaises sur le territoire nationale.
Cet ouvrage militant est suivi d’une analyse de Catherine Wihnol de Wenden, chercheuse au CRNS, sur l’évolution de la politique migratoire en France et en Europe, mais aussi du témoignage de Maryse Poulain ancienne responsable CGT.