C’est de de manière fortuite, au cours de recherches dans une bibliothèque romaine, que Jean-Baptiste Malet, journaliste et lauréat du prix Albert-Londres, a fait la découverte d’un ouvrage présentant une série de plans d’une cité idéale, le Centre mondial de communication.
Cette construction utopique est le fait de personnages singuliers et aujourd’hui largement tombés dans l’oubli : Hendrik Andersen (1872-1940), sa belle-sœur Olivia Cushing Andersen (1871-1917) et l’architecte Ernest Hébrard (1875-1933).
Hendrik Andersen, jeune norvégien immigré aux États-Unis avec sa mère et son frère Andreas, va connaître la misère et les violences d’un père alcoolique. Son frère aîné entame une carrière de peintre lorsque lui-même se forme à la sculpture.
Hendrik Andersen n’a que fort peu de commandes et il va , durant dix ans, travailler à une gigantesque réalisation, La Fontaine de vie, constituée de quarante-huit figures et censée symboliser le cours de l’existence humaine. Elle n’est pas un travail de commande mais une réalisation dictée par le désir créatif de l’artiste.
Hendrik Andersen part résider en Italie, à Rome et il est rejoint, à partir de 1903, par sa belle-sœur, Olivia Cushing, devenue Olivia Andersen à la suite de son mariage avec Andréas Andersen.
Jeune veuve, elle croit passionnément au génie d’Hendrik Andersen. Femme douée d’un réel talent littéraire, elle décide, avec son beau-frère, de créer, dans un premier temps, un musée afin d’y abriter les œuvres picturales d’Andreas Andersen.
Le musée se mue progressivement en un bâtiment aux dimensions importantes, le « Temple de vie ». Par évolution successive, le « Temple de vie » va devenir le « Centre mondial de communication », « devant servir d’abri et d’organe aux intérêts communs des nations, en vue d’aider tous les peuples à marcher, par la paix et la dignité, dans les larges voies du progrès humain (p.239) ».
L’architecte français Ernest Hébrard va être chargé de l’élaboration des plans. Grand prix de Rome de l’architecture et auteur d’études archéologiques (dont celle du palais de Dioclétien), Hébrard ne croit pas vraiment, initialement, au projet des Andersen. A la suite d’un congrès international consacré à l’urbanisme en 1910, à Londres, l’architecte s’investit et finit par donner vie aux plans de la cité voulue par les Andersen.
Dans la publication qu’ils réalisent en vue de transmettre le projet de leur « Cosmopolis » aux dirigeants et intellectuels de la première moitié du XXe siècle, les Andersen précisent que le Centre mondial s’organise de manière à respecter des principes hygiéniques tout en promouvant la beauté.
La ville devait comporter trois grands centres, « réservés respectivement à la Culture Physique, à la Science et à l’Art (p.240)». Une Tour du progrès (de 320 mètres de haut!), un Palais de la Cour internationale de Justice, un Temple des Religions, une Banque internationale et une Bibliothèque des Ouvrages de référence du monde entier, font partie des bâtiments qui devaient être érigés. Le Centre mondial adopte une organisation « rationnelle (voir plan ci-dessous) » et laisse également une large place aux espaces verts.
Loin d’être perçue comme une incongruité, le Centre mondial de communication va susciter l’intérêt de nombre de personnalités de premier plan : les belges Paul Otlet et Henri La Fontaine, Albert Ier, la lauréate du prix Nobel de la paix en 1905 Bertha von Suttner ou encore, via le comité de promotion de la cité idéale, le sculpteur Auguste Rodin, le poète Émile Verhaeren ou l’astronome Wilhelm Foerster.
La première Guerre mondiale va porter un coup fatal aux ambitions pacifiste et urbanistique des Andersen.
Le Centre mondial de communication va toutefois être une source d’inspiration pour deux projets bien différents.
Le premier est celui confié à Ernest Hébrard et concerne la reconstruction de Salonique. Par certains aspects, Ernest Hébrard s’est inspiré de son travail au service des Andersen afin de concevoir la nouvelle organisation de la ville grecque, ruinée pour un tiers par un incendie en 1917.
Le second projet concerne le projet fasciste de l’E42, pour « Esposizione 1942 », un projet visant à édifier un gigantesque quartier d’architecture fasciste afin d’accueillir une Exposition universelle.
Hendrik Andersen se compromet, en effet, en sollicitant l’aide de Mussolini pour la création de sa cité idéale. Les emprunts au Centre mondial pour la constitution de l’E42 sont nombreux et Jean-Baptiste Malet écrit (p.335) que « de nombreux hiérarques du Parti national fasciste, parmi lesquels Achille Starace (…), plaidèrent afin que le projet d’Hendrik Andersen soit pris en considération lors de l’élaboration de l’E42».
L’ouvrage de Jean-Baptiste Malet est une enquête rigoureuse, rédigée dans un style plaisant.
La capitale de l’humanité se lit comme un roman et rend justice à une utopie oubliée qu’il est désormais possible de ranger dans le panthéon des constructions ayant eu pour objet d’émanciper l’être humain.
Grégoire Masson