Domitia est la revue du Centre de recherches historiques sur les sociétés méditerranéennes de l’Université de Perpignan, centre qui réunit dans une volonté pluridisciplinaire des historiens, des historiens de l’art et des archéologues. Le nom de la revue est emprunté à la route créée vers -118 par le général romain Domitius pour relier l’Espagne à l’Italie, passant par Perpignan. Et il est vrai que les échanges et les voies de circulation dans l’espace méditerranéen constituent l’un des thèmes privilégiés de cette revue. Chaque numéro est thématique à raison d’une ou deux livraisons par an depuis 2001. Celui-ci réunit les contributions de chercheurs de l’Aude et des Pyrénées-Orientales faites à l’occasion d’une journée d’études tenue en 2006. Le sujet est la période située entre l’Antiquité classique et le plein Moyen Âge, période appelée autrefois Bas empire et Temps barbares, aujourd’hui Antiquité tardive et Haut Moyen Âge. Une période où « les confrontations entre histoire et archéologie ont le plus renouvelé nos connaissances pour tout l’Occident, depuis un quart de siècle » affirme Aymat Catafau dans l’introduction. Et le contenu de la revue y contribue effectivement. Quant à la problématique générale, elle est centrée sur les continuités et mutations.
Les deux premiers articles sont centrés sur les échanges et les voies de communication. Le premier porte sur un trésor monétaire du IIIe siècle ap. J.C., vestige d’un naufrage à Port Vendres. Composé d’imitations de monnaies impériales, il nous renseigne sur la circulation monétaire dans cette période de crise économique et politique. Le second article porte sur le réseau routier reliant Roussillon et Conflent de l’Antiquité à nos jours. L’auteur, Jean Pierre Comps, y étude en particulier les modifications de tracé de la voie de Conflent, attirée au Moyen Âge par les nouveaux centre de peuplement. Il restitue aussi la vie sur ce chemin à l’époque moderne : va et vient incessant des ânes et mules chargés de fer et autres marchandises, difficultés de circulation dues au mauvais état de la chaussée, insécurité, auberge mal famée propriété de seigneurs aux méthodes de bandits et mafieux…
Les trois articles suivants portent sur les habitats ruraux et insistent sur le foisonnement de nouveaux habitats du Ve siècle au XIe siècle souvent sans aucun lien avec l’occupation antique. Un fait jusque là passé inaperçu et révélé par l’archéologie. Les difficultés méthodologiques propres à cette période ne sont pas esquivées. L’interprétation et la datation des vestiges archéologiques restent difficiles, la toponymie est à manier avec prudence et les textes, qui réapparaissent au IX siècle, ne rendent pas facilement compte des mutations de l’habitat. Cependant quelques faits se dégagent. L’existence d’un habitat rural lâche et dispersé, se déplaçant sans doute à l’intérieur d’un terroir vivrier à l’époque wisigothique. L’importance des silos à grain creusés dans le sol, qui marquent tous les habitats. Plusieurs techniques d’ensilage y on été mises en évidence : chemisage en paille, remplissage du silo avec des épis… A l’époque carolingienne des habitats secondaires gravitent à quelques centaines de mètres de petits sanctuaires dotés d’un cimetière et d’un territoire. Puis à partir de la seconde moitié du Xe siècle on assiste à un premier regroupement d’habitats autour d’églises, caractérisés par la découverte de silos et de fonds de cabanes dans les cimetières. En corollaire, on assiste à un abandon des habitats secondaires. Ces premiers regroupements sont antérieurs à la féodalisation des années 1020-1060. La cause de ces regroupements n’est donc pas uniquement la recherche de la protection offerte par les espaces sacrés, réputés inviolables, pour échapper à la violence des seigneurs.
Les deux articles suivant sont centrés sur la métallurgie et l’exploitation minière. Du IIe siècle av. J.C. au premier siècle après, l’activité métallurgique se développe de manière très importante et se concentre. La fin de l’Empire voit l’éclatement de la production et il en est certainement de même au haut Moyen Âge. Mais là encore les chercheurs se heurtent aux difficultés de repérage et de datation des vestiges de cette époque. De nombreux petits ferriers non datés se rattachent sans doute à la période Ve-XIIIe siècle et sont les vestiges de forges de réduction dont l’activité fut éphémère. Le maintient de la production de fer est attestée aussi par la palynologie qui montre de fort déboisements à relier à la fabrication de charbon de bois nécessaire aux forges. Sur l’extraction minière et la production des autres métaux tout reste à découvrir pour cette période.
Un seul site a été fouillé. Il s’agit d’un habitat situé non loin de l’ancienne capitale de la Cerdagne, Llivia, et dont l’occupation est datée de 650 à 900 par le C14 et le mobilier. Les foyers et scories découverts sont interprétés comme ayant été utilisés à la fois pour la réduction du minerai de fer et sa transformation. La disparition de cet habitat est interprétée comme une conséquence de la réorganisation carolingienne et la création d’un nouveau pôle d’habitat : Villeneuve-les-Escaldes.
Avec l’article suivant on quitte les Pyrénées-Orientales pour un autre espace minier, le versant sud de la Montagne noire, situé dans l’Aude et l’Hérault. Marie-Élise Gardel et son équipe constatent la précocité de la christianisation dans la partie ouest de la Montagne noire. Et avancent comme preuve la table d’autel de Minerve, consacrée par l’évêque de Narbonne Rusticus en 456. La région possède ensuite la singularité de former une frontière du royaume wisigoth face aux royaumes mérovingiens aux VIe et VIIe siècle. Frontière gardée des castra dont celui de Cabaret attesté par une mention de Grégoire de Tours de 585 et par l’archéologie. A l’époque carolingienne le peuplement et la mise en valeur des terres se font sous l’impulsion d’établissements monastiques nouvellement créés. C’est à ce contexte que semblent se rattacher les habitats troglodytes découverts à Saint-Martin-le-Vieil et deux autres villages.
Aux contributions de la journée d’étude ont été rajoutées quatre articles. Deux sur l’Antiquité : l’étude d’une inscription dédiée à l’empereur Hadrien et une étude très pointue sur l’organisation et l’administration politique et militaire de la province romaine d’Hispanie citérieure aux IIe et Ier siècle av. J.C. Deux sur le plein Moyen Âge : l’étude d’une communauté rurale du Vallespir en 1339 à partir d’un livre de reconnaissances seigneuriales ; un projet de recherche très prometteur et déjà bien avancé sur les crues et inondations dans les Pyrénées méditerranéennes (Aude et Pyr.-Or.).
Le volume se termine par des comptes rendus de livres et une chronique des travaux universitaires soutenus à l’Université de Perpignan.
Au total on apprécie la qualité des illustrations en couleur, la richesse des communications, fruits d’une recherche exemplaire sur le plan méthodologique et dont les conclusions dépassent largement l’intérêt local.