Voilà un ouvrage collectif franco sénégalais qui offre une vision nouvelle de la ville africaine. L’introduction assure la cohérence entre des contributions diverses qui nous emmènent de Dakar à St Louis, de Touba jusqu’en Italie où la communauté immigrée est productrice d’un espace spécifique dans les villes du Nord. J.L. Piermay définit, dans l’introduction, le cadre conceptuel des diverses études: la notion de frontières internes et externes, la ville comme lieu de contact avec le monde, point nodal des échanges mais aussi lieu de cristallisation des enjeux sociaux, producteurs d’espace. La ville est aussi un lieu enjeu de la politique gouvernementale et des divers groupes sociaux : migrants, confréries islamiques, ethnies.
Réalisé dans le cadre d’une recherche en sciences sociales de l’IRD et du CODESRIA, Institut de Recherche pour le Développement et Conseil Africain pour le Développement de la Recherche en Sciences Sociales l’ouvrage propose une analyse socio-économique de l’évolution de l’espace urbain d’un état africain, le Sénégal qui peut faire figure sur ce point de précurseur de l’évolution de la ville africaine. Ce travail s’inscrit dans une collaboration entre l’université Louis Pasteur de Strasbourg, les universités Gaston berger de St Louis et Cheikh Anta Diop de Dakar.
Politiques et pratiques urbaines
Cheikh Sarr analyse l’évolution du rôle de l’état en matière d’urbanisme en particulier depuis l’arrivée au pouvoir du président Wade : entre volonté de “marquer” l’espace et politique libérale, action plus que nécessaire face à la vieille “ville coloniale” inadaptée et aux ceintures de bidonvilles. Il rappelle la politique volontariste de Senghor à Dakar puis le laisser-aller d’Abou Diouf mais aussi le cadre légal : 1988 code de l’urbanisme, 1996 lois de décentralisation. L’évolution actuelle concerne Dakar mais aussi le réseau des villes secondaires, les grands chantiers du président (Musée des civilisations noires, place du souvenir africain) et la spéculation privée avec l’apparition de nouveaux acteurs, les migrants ou “moodu” qui investissent l’argent gagné à l’étranger dans l’habitat locatif. Dans les villes de province, la “marque” officielle est celle des gouverneurs ou des maires comme par exemple l’espace promenade et le marché moderne de Kaolack, infrastructures d’autant plus utiles qu’elles contribuent par les taxes qu’elles génèrent à financer l’électrification, l’assainissement, l’éducation… des nouveaux quartiers.
Mamadou Khouma nous propose une étude de la production de l’espace dans la couronne périurbaine de Dakar. L’expansion urbaine est rapide, + 4% par an, aux dépens des espaces agricoles. L’étude du cas de Diammadio, espace situé sur la commune de Rufisque, au carrefour des deux grands axes vers M’bour et Thies est exemplaire. Sur ce site où sont prévus des équipements à intérêt national : grand marché, déplacement de services de l’état, futur aéroport de Ndias et projet du port minéralier de Bargny, les Lébous, ethnie locale, contrôlent la mairie et la propriété foncière de la partie nord alors que la spéculation foncière se développe dans la partie sud sur les parcelles assainies par l’état où se sont installés les divers groupes issus de l’exode rural. L’auteur montre comment la compétition sur l’espace limite la mise en oeuvre d’une politique urbaine.
Toujours à Dakar, Pape Sakho étudie l’apparition d’un nouveau centre dans la capitale. Le plan de Dakar est marqué par l’histoire coloniale, le quartier dit du point E était le quartier résidentiel des blancs, la capitale administrative et économique étant située au “Plateau”. Depuis les années 80, du fait de la dégradation des conditions dans le vieux centre engorgé, le “point E” voit se développer des activités tertiaires, en particulier tout ce qui est en rapport avec les nouvelles technologies du fait de la proximité de l’université, l’installation d’organismes internationaux. Ce quartier devient l’interface entre le local et l’international, il symbolise pour l’auteur la métropolisation de Dakar.
Discontinuités, jeux et passages, on s’éloigne de la capitale
Mouhamadou M. Diakhate consacre sa contribution à la ville de St Louis pour laquelle il dresse un tableau depuis le premier noyau colonial né vers 1758 sur l’île de Ndar, l’extension du XIX ème siècle sur la langue de barbarie, la capitale réorganisée par Faidherbe aux évolutions actuelles d’une ville frontalière implantée dans un site peu propice. Pour son étude, l’auteur s’appuie tant sur les sources françaises que sur la tradition orale. L’approche des différents quartiers montre la complexité de l’occupation du sol légitime ou non et les enjeux sur un espace dont les caractéristiques physiques : zones inondables, érosion des berges, élargissement du chenal d’évacuation des eaux du fleuve rendent toute politique urbaine à la fois indispensable et délicate.
Jean-Luc Piermay complète la présentation de la grande ville du Nord dans une réflexion sur les intermédiaires de cet espace frontalier. Sous le nom de courtiers, ils sont nombreux et divers en ville tant dans les pratiques, le niveau de fortune que la localisation de leur activité liée aux statuts fonciers très divers dans l’espace urbain. L’étude de ce groupe permet de mettre en évidence des “frontières” internes à la ville et le jeu des différents acteurs dans les projets urbains.
Les confréries religieuses
Cheikh Guèye analyse le territoire mouride à travers un exemple économique : le café Touba. Il nous décrit cet univers économique et religieux particulier qu’est la confrérie des Mourides. Mouvement musulman né à la fin du XIX ème siècle, il réunit aujourd’hui 1/3 de la population sénégalaise. D’abord rurales, les activités se sont diversifiées (commerce, transport, artisanat, micro-finance et depuis vingt ans import-export en lien avec les migrations vers l’Europe ou les USA) autour de la ville des Mourides, au coeur du bassin arachidier : Touba. Le projet mouride articule partage et accumulation, à la charnière du religieux et du profane. Il repose sur de solides réseaux comme on le perçoit par l’exemple étudié : produit de la vie quotidienne, introduit au Sénégal par le fondateur de la confrérie Cheikh Ahmadou Bamba ce qui lui confère un côté mystique, mélangé à des épices, le café Touba est un produit particulier. Les Mourides contrôlent son importation depuis la Guinée, sa transformation, sa vente en gros comme au détail au Sénégal et aujourd’hui en divers lieux du monde : Milan, New York ou Madrid.
Oumar Sow s’intéresse à l’autre grande confrérie musulmane présente au Sénégal : les Tijanes et leur ville sainte : Tivaouane où vit aussi une importante communauté mouride. La ville est une fondation ancienne, coloniale qui a connu un grand essor dans les cinq dernières années. L’auteur choisit d’analyser les représentations des populations sur leur espace. Il montre le jeu de mémoire et de revendication de l’autochtonie de la part des Mourides pour accaparer un quartier très dense et le commerce de cette ville alors que les Tijanes qui dominent le centre ville n’ont pas de réelle “politique d’implantation” et de contrôle de l’espace. On notera le marquage symbolique de l’espace (silhouette des dignitaires de la confrérie peints sur les murs).
Enjeux majeurs des villes africaines: les questions d’hygiène et de salubrité
Ibrahima Sy présente l’exemple de Rufisque ; il existe dans l’espace urbain des discontinuités renforcées par l’urbanisation galopante, des frontières entre quartiers liées à la plus ou moins grande salubrité. Le découpage repose sur les différences d’infrastructures (eaux usées, collecte des ordures) et l’implication communautaire plus ou moins efficace selon les quartiers. À partir de l’étude de 4 quartiers, il montre des situations très contrastées en fonction de la structure du bâti, opposition entre aménagement planifié et occupation sauvage, de la cohésion sociale permettant ou non de pallier les insuffisances structurelles : la frontière est donc ici un phénomène autant social que spatial.
Pascal Handschumacher étudie dans deux villes Richard Toll (à l’entrée du delta du Sénégal) et Tambacounda (à l’extrême Est du pays): comment la question de la salubrité, la lutte et le contrôle des épidémies se posent de façon différente selon les disponibilités financières des communes. Le cas de Richard Toll est particulièrement intéressant puisqu’il montre les progrès certains grâce à un appui financier et technique extérieur conséquent mais que la population doit se rapproprier.
La ville sénégalaise hors des frontières
Serigne Mansour Tall nous fait découvrir dans la dernière partie les “petits Sénégal” implantés en Italie. La migration internationale produit dans l’espace urbain des niches spatiales où se recréent les réseaux familiaux, ethniques et de confréries dans quelques villes de l’Italie du nord : Pise, et Brescia. L’auteur analyse le phénomène dans la durée, les évolutions dans pratiques migratoires, le rôle des Mourides dans le maintien d’une identité sénégalaise, il évalue aussi les transferts de fond vers le Sénégal, les conditions d’un retour au pays.
Cette analyse renouvelée de l’espace urbain en Afrique sera utile aux enseignants de seconde et de 6ème, 5ème, mais on regrettera que les cartes soient peu nombreuses et peu détaillées. Sur ce thème de la ville africaine on peut s’appuyer sur un dossier sur le site de l’Académie de Rennes ou la conférence d’Alain DUBRESSON, professeur à l’Université de Paris X Nanterre à Rouen en 1999.: http://hist-geo.ac-rouen.fr/doc/cfr/gva/gva.htm
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