Ce bel et assez gros ouvrage de l’éditeur helvétique Infolio traite d’une période mal connue et qui a pourtant laissé de nombreuses traces dans les paysages, la toponymie : le Haut Moyen Age entre 350 et l’an 1000. A partir des fouilles archéologiques de la région du Léman et du haut Rhône, il est le fruit de la collaboration des musées de Lausanne et de Sion et l’œuvre d’une équipe d’historiens et d’archéologues. L’illustrateur des planches de début de chapitre a eu la bonne idée de partir d’une photographie d’un paysage actuel pour y superposer une représentation dessinée de la vie médiévale ou d’un événement comme, en page 12, l’arrivée des Burgondes sur les bords du Léman qui marque l’entrée dans la période.
L’ouvrage comprend de très nombreuses illustrations originales de qualité dans le texte comme dans les encarts à propos de tel ou tel lieu, objet en lien avec des travaux récents comme le tsunami de 563. Chaque chapitre est rédigé par un ou deux auteurs qui font appel à quelques collègues pour les encarts spécialisés ; une chronologie des souverains suisses de 443 à 1032, une carte des sites et une bibliographie complètent en fin d’ouvrage.

Le Haut Moyen Age, c’est quand ?

De 350 à l’an 1000, Justin Favrod1 propose un cadre chronologique. Après avoir discuté de la datation de la fin de l’Antiquité il prend la date de l’installation des Burgondes sur les rives du Léman après leur défaite face au général romain Aetius comme date origine pour le Haut Moyen Age entre Jura et Alpes, soit l’an 443. C’est aussi la date de la fondation d’un monastère à St Claude. Il rappelle les incursions germaniques des IIIe et IVe siècles et l’affirmation de la domination burgonde au Ve puis celle des Francs au VIe siècle.

Dans ce premier chapitre on retiendra l’exposé sur la catastrophe du Tauredunum2 en 563 que les travaux de modélisation récents apparentent à un tsunami sur le Léman à la suite d’un très important glissement de terrain.

L’auteur poursuit l’histoire politique de la région sous les différentes dominations : mérovingienne, carolingienne jusqu’à l’an 1000.

Les Lieux habités

Clément Hervé3 et Jacques Monnier4 font un bilan des installations humaines : cités romaines en déclin, cités épiscopales, nouveaux bourgs, vitalité des campagnes à partir des vestiges d’habitat et de nécropoles évoquant à la fois les contraintes (altitude, ressources en eau) et les modes de construction quand la pierre cède la place au bois.

Les auteurs présentent un certain nombre de sites tant urbains que ruraux : photographies de fouilles, croquis de reconstitution, notamment Genève, Sion …

Une nouvelle religion

Justin Favrod montre un développement rapide du christianisme du fait d’une conversion tardive, le plus ancien témoignage semble être une tombe à Avenches, près du lac de Neuchâtel, datée de la première moitié du IVe siècle.

Lucie Steiner5 montre la coexistence du culte des saints et des survivances païennes dans cette région qui constitue les diocèses de Genève et de Martigny.

De nombreux édifices sont érigés après 380, ils sont présentés par Jean Terrier6 : cathédrales, fondations monastiques notamment St Maurice d’Agaune.

Un dossier est consacré aux décors architecturaux notamment aux premiers vitraux. Quelques édifices remarquables et fouillés sont présentés par double pages : baptistère, chapelle, prieuré, église.

 

Des ateliers au marché

Ce chapitre est le fruit de la collaboration de plusieurs auteurs en fonction de leurs spécialités : étude des voies de communication, travail des minerais, monnaies…
Le Haut Moyen Age semble être le temps de la consommation locale, les échanges à longue distance de l’Antiquité tardive régressent sans toutefois disparaître comme le montre les sources d’approvisionnement et les produits trouvés dans les fouilles.

Le réseau de communication terrestre comme fluvial est un héritage antique. Les objets retrouvés y compris dans les trop rares fouilles de sites ruraux attestent d’un savoir-faire artisanal élaboré : tissus, travail du cuir ou des métaux notamment les boucles de ceinture. On notera que les vestiges religieux apportent de nombreuses informations sur l’artisanat.

Un dossier est consacré à l’histoire monétaire (pp. 116 à 121).

Vivre ensemble

C’est l’époque où la société tripartite : nobles, clercs, peuple se met en place, Justin Favrod en recherche l’origine dans les textes. Il constate une société aux statuts plus complexes : marchands, artisans, soldats… sans oublier les esclaves même s’ils sont absents des sources.

Encarts sur l’habitat monastique et sur la loi Gombette

Grâce à l’étude des fouilles de cimetières et d’églises Lucie Steiner montre comment les sépultures nous renseignent sur le monde des vivants et notamment les rapports hommes-femmes. Elle s’interroge sur la faible présence des jeunes enfants avant le VIIIe siècle.

Encarts sur le repas et sur la déformation du crâne de femme dans de nombreuses sépultures, liée aux pratiques germaniques.

Lucie Steiner analyse le contenu des tombes et y cherche les traces d’une acculturation ou non des migrants burgondes, francs ou alamans.

Sans doute parlait-on le burgonde dont il ne reste que peu de traces, le latin et le gaulois.

Des encarts présentent quelques fouilles : la nécropole du clos d’Aubonne, à La Tour-de-Peitz, le site de Bel-Air à Lausanne, la nécropole de St Sulpice sur la rive nord du Léman.

 

Espace culturel et création littéraire

Eric Chevalley7 montre la permanence de la culture romaine au sein des élites, renforcée par la christianisation. Il présente les divers types d’écrits : récits hagiographiques, poésies, chroniques ou documents administratifs. Il aborde la production et la diffusion de l’écrit notamment le travail des copistes et enlumineurs.

Encarts sur la musique, présentation de documents : Passion des martyrs d’Agaune d’Eucher, fragments d’homélies de l’évêque de Vienne, parchemins-reliques du chapitre de Sion, liste des livres d’une donation et plus ancien manuscrit de Sion.

 

La dernière demeure

Le Haut Moyen Age est une période de changements pour ce qui concerne les pratiques et les lieux de sépultures en relation avec la diffusion du christianisme. Si les cimetières demeurent longtemps à l’écart des lieux habités, la crémation cède la place à l’inhumation. C’est à cette analyse que Lucie Steiner consacre le dernier chapitre : limites des espaces, localisation et orientation des tombes, agencement, matériaux utilisés, objets retrouvés. Les textes liturgiques complètent utilement les fouilles, ils fournissent des informations sur la fin de vie, l’agonie, la toilette du mort, les prières, le transport jusqu’à la tombe, des éléments de plus en plus codifiés par l’Église.

Encarts de présentation de quelques sites : Mausolée de Plan-Conthey, nécropole de Premploz, ensemble funéraire de Mont-la-Ville, site d’Avusy-Sézegnin.

 

Cet ouvrage offre une vision large de cette région au Haut Moyen-Age qui est complète l’exposition actuellement présentée au Musée d’histoire du Valais – Pénitencier de Sion jusqu’au 5 janvier 2020 et sera ensuite présentée au Musée cantonal d’archéologie et d’histoire – Palais de Rumine à Lausanne du 7 février au 28 juin 2020.

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1   Spécialiste de l’histoire des Burgondes, sujet dont il a fait sa thèse. Il est aussi le créateur du mensuel romand d’histoire et d’archéologie nommé « Passé Simple ». Il a publié aux Presses polytechniques et universitaires romandes en 2002 Les Burgondes. Un royaume oublié au cœur de l’Europe ( accès gratuit en ligne).

2   Sur ce sujet : Pierre-Yves Frei, Sandra Marongiu, Un tsunami sur le Léman – Tauredunum 563, Presses polytechniques et universitaires romandes, 2019 ou dans la presse : Quand le fond du Léman explique un tsunami

3   Membre de de la société Archéodunum, un opérateur de l’archéologie préventive suisse

4   Service archéologique de l’Etat de Fribourg, Suisse

5   Membre de de la société Archéodunum, un opérateur de l’archéologie préventive suisse

6   Archéologue cantonal à Genève, il est professeur d’histoire antique à l’Université de Genève

7   Maître d’enseignement et de recherche à l’Institut d’archéologie et des sciences de l’antiquité de l’Université de Lausanne