Les étés pourris succèdent aux hivers chauds, tout est prétexte à accuser le réchauffement climatique, les experts contredisent les experts, et le ciel va nous tomber sur la tête. Le climat est un sujet majeur de production de discours et d’expression de représentations. L’ouvrage « L’événement climatique et ses représentations (XVIIe-XIXesiècles, mais surtout XVIIIe) » a le grand mérite de présenter, pour la phase finale du « petit âge glaciaire », ces discours, images, usages convenus, topoi de la littérature, de la peinture, de la musique, qui se trouvent à la fois expliqués mais aussi repris par les historiens, eux aussi producteurs de discours.

Un historien dont les travaux sur l’histoire du climat sont légions (Emmanuel Le Roy Ladurie), et deux théoriciens de la littérature (Jacques Berchtold et Jean-Paul Sermain) ont regroupé 31 études dont le point commun est l’analyse d’un fait, d’une production, d’un topos, lié à une manifestation climatique (déluge, glaciers, forêt, avec une nette inclination pour les orages et tempêtes des temps romantiques). Il ne s’agira pas ici de les reprendre tous, mais d’en indiquer quelques grands traits.

Jacques Berchtold l’écrit en note dans l’introduction : « moins fin malheureuse que commencement, la catastrophe productrice de désordre l’est aussi d’un ordre : discours (information mise en circulation), représentations immédiates ou différées, son explication et son exploitation idéologiques. » (p.18, n.19)
Comment la littérature, la peinture, la musique, développent un discours que l’histoire, partiellement, cherche à expliquer ? Le titre de la présentation de Jacques Berchtold le révèle : il s’agira d’abord de « nature et passions ». Plus de réactions humaines que de descriptions de la nature, plus d’analyse de discours que d’explications de phénomènes environnementaux. Alors pour se dédouaner les organisateurs de ce qui ne se présente pas comme un colloque mais qui en fut un ont regroupé les communications en trois ensembles.

Le premier ensemble, « Climatologie et histoire », n’annonce rien de très nouveau dans l’historiographie mais a le mérite de faire le point. Sur le Petit Âge Glaciaire, sur les dates de vendanges, sur les gelées, des ajouts, des compléments, des synthèses intéressantes, mais rien de très neuf. Deux communications sont à relever. La première est une comparaison entre l’orage du 13 juillet 1788 et la tempête du 18 brumaire an IX (9 novembre 1800). Cette comparaison vient de Lamarck. L’étude qu’Anouchka Vasak-Chauvet (Poitiers) en tire est un modèle d’analyse historique. Elle avait déjà étudié l’orage de 1788 dans la revue Le Débat en 2004, cette étude se place dans une intelligente continuité. La seconde est une étude des usages du mot climat chez Montesquieu (surtout) et chez Rousseau (un peu). Pour une fois Voltaire n’y est pas. L’occasion est donnée d’une explication de termes. Le mot « climat » est un terme de mathématiques : d’aire située entre deux parallèles il devient aire géographique puis conditions atmosphériques (1762). Mathématique, géographie, météorologie : trois sciences donc une « théorie du climat » qui va faire le bonheur des descriptions d’explorateurs et des parangons de la colonisation. Il faudrait pousser l’étude à la littérature raciale du XIX° siècle, mais ce n’était pas le sujet. Rousseau se contente d’utiliser les différences climatiques comme un élément majeur qui explique les différences entre les familles de langues (Essai sur l’origine des langues). Un article riche, dense, et clair de Jean-Patrice Courtois (Paris-VII).

Pour ceux qui seraient fatigués de la littérature, un article sobrement intitulé « notes sur les fluctuations des glaciers au cours et depuis le Petit Âge Glaciaire » est une synthèse de géographie climatique claire, nette, organisée, qui remet en cause l’idée que l’étude des variations des glaciers soit la panacée des études d’histoire climatique, tant il y a de situations particulières. Publiée à l’invite de Le Roy Ladurie, cette note montre que l’historien sait se remettre en question (son Histoire du climat depuis l’an Mil portait fortement sur l’étude du rétrécissement des langues glaciaires pour expliquer le réchauffement climatique en cours). C’est rassurant.

Le deuxième ensemble, « Climats, orages, tempêtes, dans la peinture, la lyrique et la musique » n’est pas le moins intéressant. D’abord parce que Michel Delon a réussi une synthèse des peintures de tempêtes pour montrer la progressive laïcisation de ce thème dans l’art. Ensuite parce que Maria Susanna Seguin complète cette idée en la nuançant par l’étude des déluges : de phénomène plaçant l’homme au centre de la création, il évolue à l’ère romantique pour placer l’homme comme un « épiphénomène de l’histoire de la nature » (p.295). Enfin parce que l’étude du drame d’Idoménée (ce roi de Crète, pris dans une tempête au retour de la guerre de Troie, et qui promit de sacrifier le premier humain rencontré ; ce fut son fils) donne lieu à de belles analyses des usages de l’orage fatal sous la plume de Jean-Philippe Grosperrin qui vous font remercier les Jésuites d’avoir introduit ce thème au théâtre à la fin du XVII° siècle.

Le dernier ensemble, « Climats, orages, tempêtes, récits et représentations romanesques » est plus complexe à saisir pour moi (mais les professeurs de lettres en feront leur miel). La littérature peut-elle exprimer la brutalité de la nature ? et par là la pureté d’un sentiment ? Les études présentées sur le libertinage, sur Sade, sur Diderot, conduisent à répondre oui (p. 437) à condition de s’extraire de la description formelle de la nature pour en faire un usage intimiste, passionnel, intérieur et tourmenté. L’ère romantique s’approche à grands pas, l’inscription du poète tourmenté dans la nature agitée ne doit pas fait illusion : la nature est tourmentée parce que l’homme est tourmenté, et non l’inverse. Nous sommes à l’ère des Lumières, l’homme veut la nature à son image. Il faut attendre Chateaubriand, étudié par Aurelio Principato, pour que la tempête, l’orage, les éléments déchaînés, prennent un relief politique : si le volcan fait éclater le monde ancien, l’orage effectue une révolution (un tour sur soi-même), et les éléments naturels expliquent les passions humaines. Pour Chateaubriand, la description des éléments déchaînés est une manière d’affirmer le retour espéré à l’ordre ancien. Le Génie du christianisme se veut appel au génie des cycles et au retour à l’ordre naturel dont l’homme n’est qu’un élément, même central. « Parce qu’ils constituent un paroxysme, l’orage, la tempête (…) (permettent) d’atteindre le sublime de l’art et ainsi de pressentir le mystère du monde » (Béatrice Didier, sur Mme de Staël, p. 486). On atteint le spirituel.

Ouvrage d’une grande richesse, à la belle iconographie (bravo à l’éditeur d’avoir eu ce courage), à lire et picorer, au gré de nos climats intimes. Les professeurs de lettres y trouveront aisément leur miel, au gré de références, d’analyses et d’intuitions fort riches. Ceux des arts plastiques pourront également y trouver des indications sur la construction et l’origine de nombreuses œuvres (sur Géricault par exemple). Les professeurs de géographie et d’histoire se plongeront dans les arcanes de l’histoire du climat pour se souvenir qu’elle est aussi une construction, un discours à contextualiser.
Lire Chateaubriand ou écouter Haydn pour expliquer le contexte révolutionnaire voilà qui changera des habituels discours !

© Clionautes 2007