Quatre chercheurs en histoire médiévale et un même projet : montrer que le Moyen Age n’est pas ce temps sombre, image souvent persistante pour le grand public. Ce livre, comme le dit en préface Elisabeth Crouzet-Pavan, ambitionne de répondre à «  ce besoin d’histoire avec humour et talent, science et joie de vivre ». A ce titre, il relève non du médiéval fantastique mais du médiéval scientifique.

Parler autrement du Moyen Age

Les auteurs ont choisi d’organiser leur propos en six chapitres après une introduction comme un manifeste : « dans les pages qui suivent nous insistons autant sur les héritages que sur les oublis, les contradictions, les aller-retours ». Cette déclaration d’intention est très enlevée et il faut reconnaitre aux auteurs un sens certain de la formule, que ce soit dans l’accroche par les titres de chapitres ou sous-parties ou dans le corps du texte. Ils assument de même certains rapprochements « tirés par les cheveux ». Le propos est donc vivifiant, stimulant et le ton employé par les auteurs y est aussi pour quelque chose. Les auteurs examinent notre monde à la lumière du passé avec toujours cette double intention : repérer ce qui a déjà existé sous d’autres formes et accepter aussi de montrer de réelles différences. Depuis quelques années, de nombreux travaux ont montré, par exemple, la créativité technologique de cette époque, loin des images toutes faites de temps arriérés. Cependant, les auteurs de cet ouvrage vont plus loin, ou du moins arpentent d’autres chemins pour revisiter le Moyen Age.
Ce livre est aussi la concrétisation sur papier d’un projet né en janvier 2016 qui s’est d’abord développé sur le site nonfiction.fr. Le livre comprend un cahier central avec des documents en couleur, un appareil de notes et une bibliographie indicative pour chaque chapitre. Chaque chapitre est introduit par un court texte et à l’intérieur de chaque chapitre les auteurs renvoient à d’autres paragraphes du livre en précisant son titre. Relevons quand même que l’exercice est parfois un peu ardu car dans les renvois les pages de ces sous-parties ne sont pas indiquées.

Famille, genres et sexualités

Le Moyen Age est une période centrale pour la construction des rapports au sein de la famille telle que nous la connaissons aujourd’hui. On a dès ce premier chapitre une illustration du ton vif des auteurs quand, prenant appui sur l’histoire de Colomban et de Brunehaut, ils affirment que «  les partisans de la manif pour tous …rejouent cette opposition » sur la définition de ce qu’est une famille. Derrière la formule, il y a une vraie réflexion car c’est l’occasion de souligner que la famille n’est jamais une donnée naturelle et toujours une construction historique. De même, il n’est pas forcément évident que le mariage doive durer toujours. Un autre passage propose un rapprochement entre Jeanne d’Arc et les guerrières kurdes pour montrer que ce qui plait dans les deux cas, c’est le courage viril. Ne reculant devant rien, Annabelle Marin propose ensuite un rapprochement entre les chevaliers et les dames du Moyen Age et la friend zone ! Pauline Guéna montre ensuite comment les pratiques sexuelles considérées comme licite ou illicites sont elles aussi le fruit d’une histoire.

Au jour le jour

Il s’agit cette fois d’examiner plusieurs aspects de la vie quotidienne. Florian Besson revient sur le tabou de l’argent et notamment combien il est parfois difficile de dire combien on gagne. Sur cet aspect, il ne se focalise pas que sur le Moyen Age et parle du rôle de la Réforme protestante. Notre comportement serait tenaillé entre trois attitudes possibles : «  le dédain du noble , la méfiance du clerc…la suspicion du protestant… ». D’autres chapitres s’arrêtent ensuite sur les habits ou sur la question de la beauté. Dans un autre passage est envisagée la question du rapport à la technologie car le Moyen Age lui aussi y a été confronté. Il n’est alors pas question de tablette à l’époque mais d’automate. On se méfie de ce qui imite le vivant. Le Moyen Age peut donc nous aider à penser le rapport entre «  vivant et machine, nature et culture, réel et artificiel ».

Religion et culture

Le premier point sur lequel il faut insister est que « l’écrit est bien plus répandu qu’on ne le pensait autrefois ». La découverte des gramota faite par des archéologues autour de Novgorod a modifié notre façon de voir. De quoi s’agit-il ?« On écorce un bouleau, on fait bouillir l’écorce et on grave son message avec une pointe en fer ou en os ». Il ne s’agit pourtant pas d’une invention à proprement parler médiévale mais elle disparait à partir du XV ème, c’est-à-dire quand le prix du papier baisse. Toujours du côté de l’écrit, Alde Manuce avait quant à lui imaginé d’autres mises en page. La correspondance est effectivement troublante avec la réflexion initiée par les journaux pour savoir s’ils devaient reproduire à l’identique leur journal ou l’adapter à la tablette, c’est-à-dire à un format particulier. Ce chapitre est aussi l’occasion de revenir sur l’importance du serment, comme en témoigne encore aujourd’hui la société américaine. Cela débouche ensuite sur une interrogation « Tuer pour Dieu » où Catherine Kikuchi invite à éviter tout simplisme. On passe ensuite en revue les jeux d’hier et d’aujourd’hui.

Jeux de pouvoirs

Ce chapitre se propose de réexaminer quelques questions toujours vives aujourd’hui comme la question du port des armes. Florian Besson se livre à une audacieuse comparaison entre les privilèges des Templiers et ceux des multinationales. Le ton est souvent vif comme le montre ce titre qui proclame « Trop de fonctionnaires ». On s’aperçoit que la remarque ne date pas d’aujourd’hui et qu’elle fut formulée …depuis le XVème siècle.

Aux marges du monde

Le tour d’horizon se termine en examinant par exemple la question des voyages au Moyen Age. Se déplacer à l’époque peut se faire à cheval, mais « posséder un cheval, c’est comme une Ferrari au niveau de la consommation, mais une Ferrari susceptible de tomber gravement malade ou de perdre un sabot. » Se déplacer était en tout cas très risqué. Les échos entre hier et aujourd’hui sont parfois étonnants comme lorsque elle montre que le surgissement de cette question n’est pas à lier à une quelconque modernité ou à la mondialisation. On revient dans un autre chapitre sur la valorisation de l’individu et il faut noter qu’avant, le mot anniversaire signifiait la commémoration de la date de mort avant de prendre son sens actuel. Florian Besson s’intéresse ensuite au cas de l’écologie : c’est un bon angle car indéniablement la façon d’aborder les choses est différente entre aujourd’hui et hier mais comme il le souligne « ce sont autant d’histoires qui peuvent nourrir notre envie d’agir ». De façon chorale, les auteurs concluent que « bien sûr le passé des hommes médiévaux n’est pas le même que le nôtre. Pour eux le passé prestigieux se cristallise autour de trois temporalités principales : le passé biblique, l’Antiquité gréco-romaine et le temps des Francs ».

Ces quatre historiens livrent donc une réflexion passionnante à travers ce dialogue entre hier et aujourd’hui. Tout n’est certes pas comparable tant la société actuelle et celle du Moyen Age diffèrent, mais des interrogations qui se posent aujourd’hui ne sont pas non plus toujours fondamentalement nouvelles. Armés d’un solide sens de la formule et d’un enthousiasme communicatif, ils emportent le lecteur répondant ainsi parfaitement à leur crédo : « éviter de retomber dans un Moyen Age des racines pour lui préférer un Moyen Age des routes ouvert, dynamique, changeant ».

© Jean-Pierre Costille pour les Clionautes