Agrégée, docteur en histoire moderne, spécialiste de l’histoire des femmes aux XVe et XVIe siècles, Aubrée DAVID-CHAPY est l’auteur de Anne de France, Louise de Savoie. Inventions d’un pouvoir au féminin (2016), publié chez Classiques Garnier et qui avait fait l’objet d’un compte-rendu de ma part à la Cliothèque. Dans cet ouvrage, l’historienne « entend offrir un nouveau regard sur cette dame à la lumière de sources inédites qui renouvellent notre connaissance à son sujet ». C’est l’occasion également de proposer un ouvrage plus simple et plus facile d’accès que celui publié chez Classiques Garnier sur cette femme extrêmement méconnue du grand public.

Dans l’introduction du livre, l’auteure nous fait remarquer le contraste qui entoure la mort d’Anne de France le 14 novembre 1522 au château de Chantelle : la mort très discrète d’une femme qui connut pourtant une existence hors du commun et qui fut considérée comme l’une des plus puissantes de son temps (durant les années 1490-1500).

Les deux premiers chapitres reviennent sur la période où Anne de France se trouve encore « dans l’ombre ». Ils permettent de mieux s’intéresser à l’éducation de très grande qualité* qu’elle a reçue à la Cour de France mais également cerner la personnalité politique en devenir avant qu’elle rentre véritablement dans la lumière. Louis XI a paré sa fille d’armes qui doivent lui permettre de capter le pouvoir à sa mort : son mariage avec Pierre de BEAUJEU, un pilier du pouvoir royal et la désignation du couple BEAUJEU devant toute la Cour comme les récipiendaires du pouvoir à sa mort et comme conseillers naturels de Charles lors de sa minorité. En faisant cela, Louis XI installe sa fille au cœur du gouvernement et légitime le couple BEAUJEU dans les premières années du règne de Charles VIII.

PRENDRE LE POUVOIR ET LE LÉGITIMER

En effet, lorsque s’ouvrent les États généraux en 1484 à Tours qui doivent désigner ceux qui gouverneront le royaume durant la minorité de Charles VIII, le couple BEAUJEU est légitime à plus d’un titre : car il s’inscrit dans la continuité politique de Louis XI (testament oral) et car Pierre de BEAUJEU a déjà exercé le pouvoir et ceci de manière efficace. Et c’est également à eux (et à Anne plus particulièrement) que l’on demande de continuer « ce qu’ils ont bien commencé et qu’ils aient le soin, la garde et le gouvernement » de la personne du jeune roi. Ces États généraux se transforment ainsi pour les BEAUJEU en une véritable entreprise de légitimation : ils viennent de gagner l’appui du droit et des grands corps du royaume. Néanmoins, le parti des princes (à la tête duquel on trouve Louis d’Orléans, futur Louis XII) ne l’entend pas de cette oreille et choisit la voie de la rébellion à la fin du l’année 1484. Le couple BEAUJEU doit développer et parfaire un discours de légitimité pour justifier de rester au pouvoir. Ils le justifient par leur présence autour du roi et par le contrôle à l’accès au roi (notamment en écartant les princes révoltés). Anne de France joue, quant à elle, la carte de la fille d’un roi (épouse d’un des plus puissants princes du royaume et l’un des plus fidèles serviteurs de la royauté) et de la sœur du roi. A ce titre, elle est « comme une mère » pour Charles VIII, à la fois éducatrice et conseillère. Enfin, la manière d’exercer le pouvoir de façon prudente et vertueuse consolide également sa légitimité à la tête du royaume. C’est durant cette période qu’Anne de France développe une pratique novatrice du pouvoir.

UNE PRATIQUE DU POUVOIR AU FÉMININ

En effet, Anne de France se distingue des princes de son temps en développant la symbolique d’un pouvoir au féminin. Elle est celle qui cherche à « acquérir l’amour de tous et de toutes » (Christine de PIZAN) et qui joue le rôle d’intercession auprès du roi pour adoucir ou tempérer certaines de ses décisions. Elle devient ainsi la « dame de cœur » de Charles VIII, ce qui renforce le pouvoir du roi en lui donnant une dimension affective. Elle s’affirme également par son rôle de « moyenneresse » de paix et de concorde. Cet idéal l’amène à utiliser l’instrument de la paix par excellence au Moyen Âge : le mariage. Anne de France s’investit dans la réalisation d’une vingtaine de mariages dont deux princiers l’étaient pour obtenir une paix durable dans le royaume de France : le premier entre Charles VIII et Marguerite d’Autriche en 1483, le second entre Charles VIII et Anne de Bretagne en 1491. Elle devient la reine d’une cour féminine en mettant en place une « Cour des Dames », puis elle développe une mise en scène de cet espace curiale dans lequel elle occupe une place de premier plan et dans lequel elle peut affirmer sa puissance.

Le résultat du passage de l’ouvrage universitaire à l’ouvrage de vulgarisation est des plus réussi. En plus d’être un ouvrage nous offrant un éclairage nouveau sur cette personnalité incontournable de la fin du Moyen Âge, il est également une invitation, pour nous professeurs d’Histoire, à lui faire une place (et également à Louise de Savoie, à Anne de Bretagne et à Marguerite d’Autriche) au sein de nos cours pour ouvrir les élèves aux études novatrices autour du queenship et du pouvoir au féminin à la fin de la période médiévale et au début de la période moderne.