Après un premier volume stimulant en 2017, le collectif de médiévistes, qui s’est étoffé depuis, poursuit son approche renouvelée du Moyen Age. Son credo tient en quelques mots : « regard décalé » et « mise en dialogue de notre époque et du Moyen Age ».
Une méthode et des convictions
On peut tout d’abord souligner le souci du collectif de diffuser la recherche sur le monde médiéval de la façon la plus large possible. Ils rappellent d’abord leur conviction sur le Moyen Age : cette époque n’est pas synonyme de temps obscurs et, plutôt que de croire que notre époque est la première à se poser une question, regardons un peu en arrière. En effet, on constate souvent qu’on s’est déjà interrogé sur tel ou tel sujet, certes souvent en d’autres termes, mais la perspective comparatiste n’en est pas moins fructueuse. A partir d’un fait actuel, c’est donc l’occasion de replonger au Moyen Age. Les auteurs proposent des renvois entre les articles à partir de petits titres. L’angle est clairement assumé : « une touche d’humour, une pratique assumée de l’anachronisme ». Ce livre se veut également clairement politique et vise à déconstruire certains discours. Les auteurs ont bien conscience également de ne plus être les seuls à essayer de faire autrement l’histoire du Moyen Age. Le livre est structuré en six parties et comprend un cahier central avec des images commentées.
Famille, genre et sexualité
L’introduction du chapitre pose la question de l’écart qui pouvait exister entre les normes et la réalité quotidienne. A cet égard, on peut évoquer la question du célibat des prêtres : la part des prêtres concubinaires pouvait aller de 10 à 15 % dans les diocèses les mieux encadrés. Ensuite, on voit que, hier comme aujourd’hui, l’homme mûr attire tandis que la quadragénaire effraie. Florian Besson remarque qu’au Moyen Age l’union avec une femme plus âgée n’a pas de sens car le but est la reproduction. Aujourd’hui, alors que les configurations sociales ont évolué, l’image de la femme mûre n’a pourtant pas changé et apparaît toujours, pour certains, comme une étrangeté. Dans un autre article, Simon Hasdenteufel part de la question actuelle de la fessée pour s’interroger et exposer la situation au Moyen Age. Il souligne que le soin et l’éducation des jeunes constituaient une préoccupation centrale à l’époque contrairement à ce qu’on pourrait croire.
Au jour le jour
Tobias Boestad compare duels et tournois médiévaux avec les pratiques sportives contemporaines. Plus loin, il s’interroge sur les selfies et propose d’y voir un ancêtre dans les sceaux. Ne pas avoir de sceau constitue au XIII ème siècle un handicap potentiel comme l’absence sur les réseaux sociaux aujourd’hui. Hier comme aujourd’hui, il ne faut pas forcément croire ce qu’on voit car c’est avant tout une mise en avant de ce qu’on veut dire sur soi et pas forcément la réalité. Notre époque n’est pas non plus la première à imaginer des chantiers d’ampleur. En 1479, Ludovic II marquis de Saluces lance le premier chantier du premier tunnel alpin d’une longueur de 75 mètres. Il est fait pour permettre le passage d’un âne et le temps économisé est significatif. Maxime Fulconis propose un article sur « Microstoria et bigdata ». A priori, on se dit que le lien entre notre époque et le Moyen Age n’est pas pertinent tant les moyens techniques ont changé. En réalité, les registres fiscaux du XIIIe siècle s’avèrent être de véritables mines d’informations et donc de potentielles indiscrétions.
Religion et culture
« La religion ne se fossilise pas dans la pierre mais se déploie dans de multiples aspects de la culture ». Florian Besson rapproche les saints médiévaux et le loto avec l’idée d’ « irrationnel laïque ». « Remplir sa grille dans un lieu gagnant, c’est chercher à s’associer à ce qui est perçu comme un miracle ». « Là où l’homme du Moyen Age priait le saint pour obtenir pardon, …on cherche maintenant à s’associer au gagnant du loto ». Au passage, on apprendra peut-être que ce que les Français investissent chaque année dans les jeux de hasard suffirait à combler la moitié du déficit de l’Etat. Maxime Fulconis se focalise ensuite sur les monastères qui étaient, selon lui, les « paradis fiscaux de l’époque ». Ce rapprochement a priori étonnant est pleinement justifié après avoir lu sa démonstration. Parmi le legs intellectuel du Moyen Age, il faut rappeler que c’est à cette époque qu’on produisit des sommes scientifiques et que pour pouvoir organiser ce savoir un outil s’imposa : la table des matières. Le même auteur insiste dans une autre entrée sur l’importance du serment hier et aujourd’hui. C’est pour cela que les portes des églises sont ouvertes ; pour permettre à tous d’être témoin de l’engagement en train d’être conclu. Catherine Rideau-Kikuchi parle du tourisme médiéval et compare les enseignes de pèlerinage aux gadgets que l’on trouve aujourd’hui dans les boutiques de souvenirs.
Pouvoir, marges et écologie
Le Moyen Age fait office parfois de laboratoire politique. Très souvent, des comparaisons surgissent entre dirigeants politiques d’hier et d’aujourd’hui. La théorie du ruissellement ne date pas de notre époque et des théories du complot prospéraient déjà avec comme cibles les Francs-maçons ou les Juifs. Catherine Rideau-Kikuchi s’interroge sur l’identité et constate que « si dans la tête de beaucoup la carte d’identité ne suffit pas à faire le Français, au Moyen Age, le baptême ne suffit pas non plus à faire le chrétien ». Tobias Boestad envisage le cas du multiculturalisme viking. Celui-ci peut venir du Danemark, de Norvège ou de Suède et ce qui le définit c’est sa soif d’aventure et pas une langue. Lorsque les hommes du Moyen Age découvrent d’autres territoires, il leur faut donc nommer ces mondes. Ainsi, les Européens baptisent le Pérou du nom de Biru un chef indien local. Quant à Zhang He, il a mené sept expéditions et, même si ses bateaux n’étaient pas aussi grands qu’on l’ a parfois dit, ils affichaient tout de même une taille deux fois supérieure à ceux de Christophe Colomb. « Au Moyen Age les frontières entre nature et culture, végétal et animal et humain ne sont pas les mêmes qu’aujourd’hui ». La perception des espaces est donc très différente mais on peut néanmoins trouver des points de comparaison. Philippe le Bel lutta contre ce qu’on pourrait appeler la surpêche et les abeilles jouaient déjà un rôle essentiel dans l’économie médiévale : le miel servait pour des médicaments, il était la base de l’hydromel, seule façon d’adoucir les aliments à une époque où le sucre est rare, sans oublier la cire !
En conclusion, et au delà de tous les exemples cités et développés, les auteurs rappellent dans un article collectif l’esprit de ce qu’ils ont voulu faire : « répondre aux faussaires de l’histoire en proposant une histoire basée sur des sources…sans renoncer à proposer une histoire ouverte sur le monde et la société contemporaine … une histoire qui prend sa place dans la société en s’emparant des sujets politiques ». C’est donc un ouvrage en permanence stimulant et on ne peut qu’espérer un troisième volume. Certes, cela montrera que les stéréotypes sur le Moyen Age sont toujours présents, mais ce sera également le signe que ce collectif veillera toujours et fera confiance à l’intelligence du lecteur.
© Jean-Pierre Costille pour les Clionautes