Déjà chroniquée dans ces colonnes les années précédentes, la dernière livraison de ce numéro est toujours aussi riche d’informations précises et d’analyses argumentées même si son sous titre, « la triple impasse » n’incite guère à l’optimisme.
Commencée en août 2007, la rédaction de cet ouvrage fait le bilan d’une période qui n’a pas été marquée « encore » par un conflit généralisé, mais plutôt d’une dégradation inéluctable de la situation. De ce point de vue, le terme d’impasse pour caractériser la situation de la région est parfaitement adapté. En ce début d’année 2008, et alors que les attaques de l’armée israélienne sur la bande Gaza viennent de se terminer, la situation reste bloquée, sous le signe de l’impasse.
Impasse sociale tout d’abord. La population se retrouve comme spectatrice impuissante d’une scène dont les acteurs sont usés. De plus, les possibilités d’ascension sociale se retrouvent freinées. La jolie formule de « l’économie généralisée de l’intérêt particulier », résume bien le vécu des populations. Stratégies de survie, accumulation de frustrations, on le voit ici le cocktail est devenu explosif. La population palestinienne tout comme l’Irakienne vit dans une prison à ciel ouvert. Une sorte de fossé se creuse entre les élites dirigeantes et la rue. Les marges de manœuvres sont devenues extrêmement étroites.
Les sociétés maghrébines sont aussi traversées par ce type de problème. La diffusion des chaînes de télévision en langue arabe, Al Jazeera et Al Arabiya accentue le ressenti de clivage entre les deux rives de la méditerranée. « Eux », ce sont les téléspectateurs des chaînes de télévision occidentales et au-delà l’occident tout court, « nous » c’est la rue arabe, celle qui reçoit les images et les messages des entrepreneurs politiques d’identité et de violence qui adaptent ainsi leur offre de solutions alternatives et de violences.
Ce sont donc des clivages sociaux complexes qui se développent. Des groupes sociaux difficilement analysables mais clairement identifiables s’affirment en tant que tels. La jeunesse urbaine pauvre, l’intelligentsia religieuse, la bourgeoisie pieuse sont autant de catégories qui pèsent dans doute peu ou prou sur l’opinion. Du point de vue des niveaux de vie, que les pays soient bénéficiaires ou non de la rente pétrolière, l’amélioration est faible et les frustrations s’accumulent là aussi.
L’impasse politique : pays légal et pays réel. Les différents régimes ne parviennent plus vraiment à se stabiliser. Le gouvernement irakien est en crise permanente, en Palestine la rupture est consommée entre le Hamas et le Fatah, au Liban, rien de vraiment stable ne peut se dessiner. Finalement, le risque majeur serait celui d’élections vraiment ouvertes qui entraîneraient une alternance à tous les niveaux de l’exécutif.
L’impasse internationale : le mythe néfaste de l’exception moyen-orientale.
Le moyen-orient est devenu un théâtre de conflits, d’avantage qu’un acteur. Toutefois les grandes puissances qui se penchent à son chevet semblent incapables de régler ses problèmes. Les Etats-Unis ne sont pas parvenus malgré la conférence organisée en fin d’année 2007 sont dans une période de fin de règne. Le Pakistan est devenu pour longtemps un partenaire instable et la victoire aux législatives des partisans de feu Benazir Bhutto peut-être à tout moment remise en cause par l’armée.
On le voit donc, cette situation instable n’est pas près de se résoudre. Rien n’a finalement changé pendant cette période, et le Proche orient, en ce début d’année 2008 fait toujours la « une » tragique de l’actualité.
L’opération « hiver chaud », les attentats sanglants en Irak et tout dernièrement en Jérusalem, montrent que les populations de cette région sont loin de sortir de l’impasse.
Parmi les articles qui méritent le détour, on notera la présentation d’Alain Diechkoff à propos des conséquences de la guerre des 33 jours en Israël. Cette guerre d’été, l’intervention massive sur la bande de Gaza en 2008 relevant d’une autre logique, montre les limites d’une stratégie. Le double objectif de briser le Hezbollah et de rétablissement de la capacité dissuasive d’Israël n’a pas été atteint. Pire, les attentats ne se sont pas arrêtés malgré la poursuite du processus d’enfermement de la population palestinienne. Le dernier attentat contre une Yeshiva en mars 2008, montre que la population de l’Etat hébreu peut se radicaliser d’autant plus que la menace d’un programme nucléaire iranien qui se poursuit de fait est très vivement ressentie. Il est clair que les gouvernements seront amenés à tenir compte de cette opinion qui serait encline à donner une prime au plus fort.
L’article d’Aude Signoles et consacré à l’analyse de la situation dans les territoires palestiniens et à l’opposition entre le Fatah et la Hamas après les élections législatives de janvier 2006. Le parti islamiste est désormais confronté à la réalité de l’exercice du pouvoir et a eu à subir, en février 2008 une véritable opération de pilonnage de la par de l’armée israélienne. Il est clair que cette défaite du Fatah est la conséquence de l’échec du processus d’Oslo de 1993. L’émiettement des territoires palestiniens, les restrictions à la possibilité de circulation des cisjordaniens et des gazaouites, est la manifestation visible de cet échec. Les réactions de la rue palestinienne après l’attentat contre la Yéshiva de Jérusalem le 6 mars 2008 montrent que le fossé de haine n’en finit pas de se creuser.
On reviendra alors sur les trois périodes du pouvoir exercé par la Hamas. Pendant un temps, des élections jusqu’en mars 2007, le pouvoir a été exercé seul par le Hamas, dans une situation de cohabitation hostile entre Ismaïl Haniyeh pour le Hamas et Mahmoud Abbas pour le Fatah. Pendant un temps une union nationale s’est mise en place, mais les deux factions se sont vite repliées sur leurs bases territoriales, le Hamas a Gaza, le Fatah en Cisjordanie et s’opposent désormais directement. De ce point de vue, il faut constater que l’Etat d’Israël qui a favorisé la naissance du Hamas avant la première intifada tire aujourd’hui les bénéfices de cette politique visant à diviser le mouvement national palestinien. Pour autant la situation n’est pas meilleure, le Hamas capitalisant le mécontentement des palestiniens et favorisant leur radicalisation.
Les articles de Bernard Rougier le Liban, de Tewfik Albert sur l’Egypte, de Selmaa Belaala sur le Maghreb, reviennent sur les dernières évolutions qui modifient en profondeur les sociétés concernées. Il est clair que l’Egypte a vu son processus de démocratisation interrompu, du fait de l’incertitude sur la succession de Hosni Moubarak et des dangers que représentent les frères musulmans qui ont renforcé leur implantation. Une situation à l’Algérienne n’est pas loin, avec un régime arc-bouté sur l’armée et des cercles dirigeants liés à elle. Le régime ne peut pour l’instant exclure les islamistes du jeu politique mais cela ne changera rien à terme. De la même façon, au Maghreb, la nouveauté depuis 2006 a été l’implantation de réseaux de type Al Qaeda. Les causes de cette implantation tiennent sans doute à la rupture d’avec la modernité de pans entiers de la société et à une arabisation qui entraine des franges de cette population, pas forcément les plus pauvres, à des postures radicales.
Bruno Modica © Clionautes