L’Église catholique en effet est dirigée par un chef d’État et il est reçu comme tel lors de ses visites, et elle dispose d’un puissant réseau d’informateurs et d’ambassadeurs dans toutes les parties du monde. Mais le christianisme s’est aussi, tout au long de son histoire divisé. Schismes et hérésies ont marqué son histoire et Rome n’est plus dans Rome dès loirs que le Patriarcat orthodoxe s’est engagé dans la voie schismatique en 1054. Moscou dans la lancée devient aussi la troisième Rome. La Réforme protestante au XVIe siècle vient porter un coup fatal à une unité de la chrétienté déjà largement contestée par ailleurs.
Paradoxalement, alors que le matérialisme devient la religion dominante, le christianisme, sous des formes diverses, redevient un facteur puissant d’affirmation identitaire. Les convulsions du monde viennent, pour nombre de personnes, redonner du sens à ce message entendu au Proche Orient il y a plus de 2000 ans.
Mais entre temps, comme l’explique Serge Sur dans l’article qui introduit ce dossier, le christianisme est devenu pour un temps, une puissance temporelle à part entière, enracinée dans la formation du monde occidental. La terre d’élection du Christianisme est submergée par la troisième religion monothéiste et l’Europe devient le foyer d’une identité chrétienne dont la réaffirmation a posé quelques problèmes il y a peu.
C’est que l’Europe chrétienne est aussi celle des lumières, celle qui a vu naître et se développer une nouvelle vision de l’homme pendant la renaissance. Peu à peu, l’idée que la religion, devenue affaire privée s’efface devant la raison, fait son chemin. La laïcité est une idée neuve et, dans la société française toute remise en cause suscite on le sait quelques velléités de croisade.
Ayant perdu une part de sa superbe temporelle le christianisme est devenu universel, et peu à peu s’étend loin de ses bases. Ce mouvement missionnaire largement traité dernièrement dans d’autres ouvrages présentés dans ces colonnes a laissé des traces indélébiles, y compris en Chine. Les conversions d’aujourd’hui apportent un écho à l’action de ces missionnaires qui étaient en même temps apôtres des âmes et médecins des corps vivant dans l’action charitable le message du Christ.
Le christianisme a grandi en se débarrassant des oripeaux de sa puissance tout en devenant message universel, diffusé en direction des humbles comme des puissants.
Dans ce numéro différents articles abordent l’histoire ancienne comme la plus récente du christianisme.
Yves Bruley retrace les différentes phases d’expansion du christianisme avec une large part consacrée à la fusion réalisée après la conversion de Constantin avec l’Empire. Une chronologie très détaillée fournit de multiples précisions sur les péripéties qui affectent le monde chrétien d’Orient comme d’Occident. Le choc a été sans doute, au-delà des ruptures théologiques de l’Orthodoxie comme de la Réforme celui des persécutions subies de la part de régimes politiques matérialistes et athées. Après leur effondrement, le Christianisme sous diverses formes revient sur la scène publique avec sans doute une vivacité plus grande que dans les situations où il n’a pas été remis en cause.
Claude Prudhomme qui a travaillé sur les missions chrétiennes et la colonisation revient sur cette géopolitique du Christianisme qui voit le Brésil et les Philippines et ensuite les Etats-Unis devenir les premiers pays catholiques en nombre de pratiquants tout en étant parfois contestés par des mouvements évangéliques issus de la Réforme. Dans le monde chrétien l’Asie, longtemps terre rétive compte désormais de fortes minorités chrétiennes. Le poids des nombres devient aussi celui des fidèles, pratiquants parfois ardents et encore mal vus des autorités dans certains cas. Chine ou Vietnam. Les flux missionnaires s’inversent et les africains désormais supplantent les européens dans les congrégations. L’idée d’un pape non-Européen fait désormais son chemin et, pour la succession de Jean-Paul II différents noms ont été avancés, d’autant plus que le poids de l’Amérique latine dans la Curie devient déterminant.
Claire Sophie Martin évoque pour sa part la situation des chrétiens en Chine, une présence désormais importante, marquée par des relations marquées par la méfiance entre les autorités chinoises et le Vatican. On retrouve d’ailleurs comme pomme de discorde entre les deux parties la question sensible de la nomination des évêques, la même qui avait opposé Grégoire VII et l’Empire romain germanique. Nul ne sait encore si le Président Hu Jintao est prêt à aller à Canossa, comme l’Empereur Henri IV en 1077.
Patrick Cabanel traite pour sa part des relations entre le Christianisme et les autres religions. On le sait, pendant longtemps les autres monothéismes étaient considérés comme des chemins qui ne conduisaient pas vers Dieu. Du peuple déicide aux infidèles, rejoints par les hérétiques de tout acabit et autres schismatiques, tous étaient sensés brûler dans les flammes de l’enfer, à moins qu’ils ne se convertissent.
Le Concile Vatican II a été de ce point de vue une révolution. L’Église d’occident abandonne , sans doute grâce à la colonisation et à la décolonisation sa posture triomphaliste d’autant plus qu’à l’exception de l’Orthodoxie, le christianisme s’est séparé des États même si parfois certaines tentations d’instrumentalisation peuvent poindre.
Sébastien Fath, dans son article sur les Églises chrétiennes et l’État évoque et oppose également le modèle européen et américain. L’article permet un tour d’horizon très complet des situations, balayant les systèmes de stricte séparation, comme en France, aux pays encore concordataires comme le Portugal.
Aux Etats-Unis, on retrouve de la même façon, avec cette lettre de Thomas Jefferson aux baptistes de Dambury en 1802, le principe du « wall of separation », le mur de séparation. Globalement, et même si l’on aurait tendance, surtout en France avec l’actuelle administration à penser le contraire, ce mur continuerait à tenir. Pourtant, les vagues créationnistes viennent régulièrement balayer les rives de l’école. On apprendra également dans cet article que, malgré l’influence des Églises chrétiennes, un financement public d’établissement scolaire chrétien reste impensable, tandis que le système scolaire français, reçoit des milliards d’euros de la part des contribuables par l’intermédiaire de l’État.
Célia Belin livre également une très belle mise au point sur les chrétiens évangéliques d’outre atlantique, très présents pendant les primaires républicaines jusqu’à l’affirmation récente de John Mc Cain. Mouvance aux contours incertains ils sont au cœur de la Droite religieuse et un des piliers du parti républicain. Toutefois, une partie du mouvement évangélique refuse cet amalgame. On parle désormais d’acteurs théopolitiques dont la diffusion des idées chez les républicains est telle que tous les candidats ont dû en tenir compte.
Gilles Ferragu rappelle également que le Saint-Siège est une force politique qui a su s’adapter aux circonstances. La diplomatie vaticane est à la fois traditionnelle mais également spécifique. Elle a pu proposer des médiations lors de crises internationales graves. On se souvient de la tentative de Paix blanche proposée par Benoît XV en 1916, et un peu moins sans doute de la médiation lors du conflit argentino-chilien de 1894. Lors du conflit du Kosovo Jean-Paul II a préconisé une trêve pascale tandis que peu de temps après il dénonçait l’intervention en Irak. Jean Paul II est ainsi présenté comme un pape voyageur, finalement assez proche de Paul VI et de Jean XXIII, tandis que Benoît XVI entend s’appuyer sur l’Église et la communauté chrétienne comme instrument d’action. L’action est désormais plus centrée sur l’Europe, ce qui peut être aussi considéré comme un moyen de conserver au vieux continent les rênes de l’Église.
Pierre Gonneau spécialiste de la vie monastique russe livre également un propos très complet sur le monde orthodoxe séparé de Rome depuis 9 siècles. On appréciera notamment la belle présentation de la querelle du filioque, mention rajoutée dans le Credo de Nicée qui précise que la Saint Esprit procède du Père et du Fils, ce que rejettent les Byzantins. C’est de là que partent les controverses qui conduisent au schisme de 1054.
Les Églises orthodoxes sont devenues au fil de leur histoire autocéphales, et épousent peu à peu les intérêts de leurs États respectifs. C’est le cas de l’Église russe, serbe ou Grecque. Le patriarcat de Constantinople étant quasiment privé de fidèles.
On aurait aimé par contre lire quelques éléments sur l’histoire, il est vrai complexe, des relations entre le Patriarcat de Moscou et les pouvoirs politiques en place, de l’Empire des Romanov à partir de Pierre le Grand jusqu’à Poutine et son successeur désigné en passant par la période soviétique. Ce qui est sûr en tout cas, c’est que les Églises de Russie sont pleines et qu’une certaine rhétorique nationaliste et slavophile anime l’orthodoxie, ce qui compromet sans doute les tentatives œcuméniques de Benoît XVI et surtout de son prédécesseur.
On terminera ce gros dossier par une présentation de la géographe Elizabeth Dorier-Apprill, du pluralisme chrétien en Afrique Subsaharienne, une zone que l’on présente sans doute à tort comme submergée par une vague verte liée au prosélytisme islamique. Entre les cultes prophétiques afro-chrétiens et la vague évangélique, le christianisme ne manque pas de dynamisme et se révèle capable de relever le défi de l’Islam. Cela par contre ne favorise pas la paix civile et des confrontations ethniques se retrouvent aussi portées par des oppositions religieuses.
Ce dossier sur le christianisme dans le monde est particulièrement intéressant et devrait fournir à toute personne ayant à travailler sur ces questions une documentation accessible de choix. On citera également entre autres bonnes feuilles de ce numéro, le très utile article de Jean-Paul Pancracio, un juriste, sur le statut des fleuves internationaux. Ce texte sera très utile pour tous ceux qui auront à traiter des questions hydrauliques et des problèmes d’hydroconflictualité.
Bruno Modica