Après la publication du Prince de Machiavel, les éditions Kurokawa proposent ce mois-ci l’adaptation par Yuta Naha de l’essai philosophique de John Locke intitulé Traité du gouvernement civil publié en 1690. L’auteur n’en est pas à son coup d’essai puisqu’il a aussi adapté le Discours de la méthode de Descartes.
Cette adaptation une nouvelle fois librement inspirée de l’œuvre de Locke afin de toucher un public large. Elle est aussi ambitieuse puisqu’elle se propose de traiter et de vulgariser en même temps les deux parties composant ce traité. En effet, l’essai philosophique de Locke regroupe en réalité deux textes : le premier est une attaque en règle des théories développées par le philosophe anglais Sir Robert Filmer [1558-1653], partisan de la Monarchie absolue et de la théorie de droit divin. Ici, dans l’adaptation, le rôle du partisan des idées de Filmer est tenu par l’infâme Neville qui appartient à la noblesse. Le second texte, beaucoup plus célèbre, veut être « un essai concernant les véritables origine, ampleur et fin du gouvernement civil », dans lequel il défend la propriété, droit naturel tirant sa légitimité du travail accompli par l’individu. Ce second traité et les théories développées par Locke sont incarnés par un second personnage prénommé Terry, ouvrier agricole.
L’adaptation débute par un prologue et une mise en situation classique : une fusillade aux États-Unis de nos jours. L’assassin déclare : « société pourrie… je vais tout foutre en l’air et le monde va… ». Comme d’usage aux États-Unis, le grand public commente la tragédie en invoquant les écrits de John Locke qui aurait légitimé le port d’arme dans son traité pour justifier son refus de voir une législation voir le jour. L’esprit de John Locke apparaît et se lamente que son traité ait été aussi mal compris par la société américaine. Dès lors, John Locke se fait lui-même le narrateur de l’histoire à venir afin d’expliquer au lecteur ce que signifie ses propos et dans quel contexte s’inscrit son raisonnement. Un très bref historique rappelant les bases du pouvoir en Europe en général et la guerre en Angleterre la guerre des trois royaumes ayant abouti à la mort de Charles Ier d’Angleterre, resitue le lecteur dans le contexte dans lequel Locke a rédigé son essai philosophique. Puis l’histoire débute réellement.
Le chapitre 1, intitulé « droit naturel et patriarcat » débute dans l’Angleterre du XVIIIe siècle, un duché anonyme. Un personnage caricaturalement ignoble nommé Neville fait son apparition et explique qu’il y a deux catégories d’individus, ceux qui ont l’argent et les autres. Très vite s’oppose à lui un de ses ouvriers agricoles prénommé Terry. Le récit se poursuit avec Neville qui justifie sa domination et défend la royauté de droit divin via les théories de Robert Filmer la définition de la royauté de droit divin qui justifie les inégalités s’appuyant sur le pouvoir accordé par Dieu à Adam sur sa famille et sa descendance
Dans le chapitre 2 « droit de propriété et discrimination entre riches et pauvres », Terry s’oppose à cette vision de la société et du pouvoir, aidé en cela par un livre que lui a légué son père : le traité du gouvernement civil de John Locke, justement. Ce livre devient sa voie à suivre. Terry finit par s’exiler avec son ami Cole dans les colonies anglaises situées en Amérique du nord où, en une dizaine d’années, il parvient à créer sa propre propriété, illustrant par là les théories de Locke sur le travail et la propriété qui en découle.
Le chapitre 3 intitulé « formation des états et du continent américain » prend pour cadre la guerre d’indépendance. Si Terry parvient enfin à devenir propriétaire et à réussir, il se retrouve très rapidement confronté à la question coloniale et à la tutelle du royaume britannique. La question du contrat entre l’individu et l’état, centrale chez les philosophes des Lumières, est posée. L’épisode de la Boston Tea Party marque la rupture et c’est le début de la guerre d’indépendance. Terry, décide de s’engager du côté des insurgés. Dans le chapitre 4 « pouvoir politique et droit à la résistance », Il se retrouve face à Neville venu pour en découdre avec lui, incarnant ainsi la Couronne britannique et ses abus. Terry devient par ses propos et son action l’incarnation de la pensée de John Locke et des indépendantistes américains selon lesquels tout peuple et tout individu a le droit de résister à un mauvais gouvernement, donc … de prendre les armes pour se défendre.
Graphiquement, si ce volume est en-dessous du Prince de Machiavel, pour autant le lecteur n’est pas rebuté, l’important étant avant tout le texte. Notons la ressemblance sur la fin entre Terry et Abraham Lincoln sans doute symboliquement recherchée par Yuta Naha. Quant au fond du texte, comme d’usage, il ne s’agit pas d’adapter l’intégralité de l’essai philosophique de Locke. Les grandes lignes sont présentes mais certains aspects plus nuancés de la pensée de Locke sont forcément absents. Rappelons-le, ces mangas sont d’abord là pour initier les jeunes lecteurs aux grands raisonnements philosophiques. En ce sens, ce volume atteint son but.