Ce numéro du Bulletin de l’AHMUF est issu de la première journée jeunes chercheurs et jeunes chercheuses en histoire moderne qui s’est tenue en Sorbonne, le 22 juin 2022.

 

« Retrancher les fêtes pour les nègres seulement »

La contribution de Domitille de Gavriloff montre comment le pouvoir royal et les Jésuites, en Martinique et en Guadeloupe, veulent mettre à l’écart des fêtes religieuses les chrétiens non-blancs, comme cela se pratique dans l’Amérique espagnole, dans la première moitié du XVIIIe siècle. Son étude se place dans la redéfinition de la « société esclavagiste ».

L’imposition du calendrier liturgique sert, dans un premier temps, à imposer le temps du planteur, à déposséder les esclaves de leur propre rapport au temps. Il leur laisse pourtant un espace hors du contrôle du maîtreTémoignage de Jean-Baptiste du Tertre, dominicain, en 1671.

Dans la société caribéenne, le travail servile et la volonté de christianisation se trouvent en opposition. L’article montre comment les autorités, comme les planteurs, voient, dans ces journées de fêtes, des moments de débauche et de trouble parfois source d’inspiration pour le marronnage.

L’autrice présente le cheminement de cette idée de retranchement des fêtes tant chez les religieux que chez les laïcs. Cette mesure concourt à créer une frontière raciale au sein de la communauté des chrétiens. Elle analyse le calendrier à Saint-Domingue.

Les esclaves des boutiques alimentaires du Cap-Français à la fin du XVIIIe siècle

Camille Cordier analyse le cadre matériel, l’organisation du travail hors du cadre métropolitain des corporations, les rapports entre société esclavagiste et développement urbain.

Partant des inventaires notariés, elle ouvre une porte pour saisir les formes de l’esclavage urbain. Elle décrit la taille des commerces (sucreries, caféières, boulangeries), les besoins en esclaves et leurs tâches et propose une analyse genrée des conditions de travail. Elle montre comment les outils de contrôle des esclaves sont inspirés de ceux du travail servile des plantations.

L’expérience de la boutique constitue un autre rapport à l’espace, des espaces ouverts qui offrent des possibilités d’autonomie et de sociabilité et de solidarité entre esclaves, même si la violence des maîtres demeure une réalité.

 

La milice en Guyane et les Amériques françaises au XVIIIe siècle

Anna Forestier s’intéresse à la construction d’un outil d’encadrement des populations, une institution coloniale au plein sens du terme.

Les milices apparaissent dès le début du XVIIe siècle. D’abord armées par les colons, elles s’institutionnalisent dans les années 1680. Elles mobilisent tous les hommes libres entre 15 et 50 ans, y compris les libres de couleur. Elles ont un rôle de défense face à toute agression extérieure, mais aussi de police locale. Si elles s’inspirent des milices des Caraïbes, l’autrice montre les spécificités guyanaises et les processus d’institutionnalisation. Une certaine uniformisation avec les Antilles se développe au XVIIIe siècle, notamment après le Traité de Paris.

L’autrice s’intéresse à la situation des libres de couleur et aux métis amérindiens qui ont, en Guyane, une place particulière. Son étude met en évidence, pour les officiers, des migrations individuelles et collectives depuis le Canada ou la Guadeloupe.

 

La chasse baleinière française

Cédric Coicaud présente cette industrie au cœur des échanges avec les Amériques des années 1780 aux années 1830. Il décrit l’intérêt des Américains pour les ports français après l’indépendance américaine qui les coupe de Londres. La pêche à la baleine renaît dans les ports français : Dunkerque, Lorient, après le déclin de la flotte baleinière basque au profit des Anglais et des Hollandais.

L’auteur s’appuie sur le cas de deux familles américaines au centre de ce renouveau : Jeremiah Winslow, et la famille Rotch, des négociants armateurs de Nantucket et New Bedford. Il étudie les échanges financiers, matériels, commerciaux et sociaux-culturels entre les deux rives de l’Atlantique jusqu’au déclin de l’huile de baleine avec le développement de l’éclairage au gaz.

Une route à travers champs : la mise en relation de l’Amérique rurale au commerce atlantique à la fin du XVIIIe siècle

Louis Bissières présente l’activité de collecte des farines dans le Maryland, le Delaware et la Pennsylvanie et le commerce vers les Antilles et l’Europe depuis Baltimore et Philadelphie. En retour les campagnes reçoivent des produits d’importation : tabac, sucre, rhum, café, textiles. L’auteur montre que la guerre d’Indépendance n’a que peu affecté les activités de la famille Hollingsworth. Il analyse la chaîne de crédit qui met en relation les fermiers de l’Amérique rurale avec le commerce atlantique.

Le contrôle de la route permet la création d’un réseau marchand tant pour la collecte que pour la redistribution des marchandises. Il est analysé grâce aux livres de compte et à la correspondance de la famille Hollingsworth qui, par son activité, met en relation la campagne avec les ports.

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